Tranche de vie : La faille, la suite

Raconter aux côtés de Clara sa démarche de réparation a augmenté le plaisir d’être son amie. J’en ai compris que, lorsqu’une faille déchire et bouleverse le quotidien, c’est une alarme qui peut signifier que quelque chose de non réglé cherche à se faire entendre. Clara est la preuve que dans une période perturbée, il faut oser demander de l’aide et qu’il importe d’être accompagné par le professionnel avec qui on a des affinités, sans quoi on ne va pas au fond de soi.

Lire la première partie du texte La faille.

Auparavant, avant cette sorte de rêve éveillé devant mon miroir, dans mon quotidien avec les gens, j’étais plutôt aimable, je savais prendre des nouvelles, féliciter et sourire amicalement. Depuis, je deviens tout ce que je déteste : je manque de contrôle dans mes propos, j’en ai ensuite le cœur au regret et je suis anxieuse. Je m’astreins à refuser les invitations pour ne pas répliquer de façon brusque ou blesser en prononçant des mots fâcheux. Je vis en SPM : je suis constamment en état de susceptibilité et j’ai des réactions excessives. Je ne suis pas en ménopause et les antidépresseurs me rendent zombie et me donnent mal au-dessus de l’œil gauche.

Depuis ma première consultation, mes symptômes n’ont pas changé. Après des mois de tests, de vitamines et d’antidépresseurs, rien n’était réglé et, à chaque rencontre, mon médecin me rétorquait : « Dites-m’en plus ». J’avais peine à croire que j’en étais encore à m’évertuer à lui exposer mes symptômes. J’avais l’impression de ne pas être prise au sérieux. Je me sentais comme dans la chanson de Marilyn Monroe : « […] un objet sans profondeur ».

Pour le résultat de mes derniers examens, il m’a donné rendez-vous à son bureau dans sa maison privée. Pendant qu’il était plongé dans le dossier, je me questionnais : il avait une Rolex au poignet et pourtant il vivait dans un cabinet sans fenêtre et sans aucune beauté. Est-ce que ceux et celles qui entraient dans cet espace éclairé par une seule lampe de travail voyaient, comme moi, un lieu triste à pleurer et à rendre le corps malade? Est-ce que j’étais maladivement attachée à la beauté? Je ne savais pas si je devrais en être honteuse, mais ce que je savais, c’est que dans cette coquille sombre, je me sentais mal à l’aise. Est-ce que j’étais en train de lui faire un faux procès à cause des murs beiges? Je me détestais d’être, sans fondement, agacée par le lieu, mais je n’arrivais pas à passer outre le cadre.

« Vos analyses ne rapportent rien d’anormal. Votre histoire dans le miroir ressemble à une hallucination visuelle due à une anxiété mal gérée. C’est sans doute psychosomatique! Je parle de votre trouble de la parole et de votre anxiété avec Dr Esther. J. psychiatre. Vous présenterez cette ordonnance lors de votre rendez-vous. En attendant, continuez les antidépresseurs. »

Je ressentais l’urgence de sortir de ce lieu exigu et sombre et de me retrouver sous la lumière d’un ciel ensoleillé. En marchant, ses mots « votre histoire dans le miroir » défilaient dans ma tête. Ses paroles m’apparaissaient froides et sans âme comme les murs de son bureau. Je me disais qu’un fossé nous séparait, que la communication avait été, depuis le début, inexistante et qu’il se défilait en me transférant à une psychiatre. Après réflexion, j’ai corrigé ma pensée : il ne pouvait pas connecter emphatiquement avec tout le monde et mes symptômes étaient simplement hors de son domaine de connaissances.

J’étais contrariée que toutes ces rencontres inutiles me conduisent en psychiatrie. J’ai mis des jours à assimiler le fait que ma santé mentale était en danger. Quoi qu’il en soit, je me suis rendue à ce rendez-vous le cœur battant, car je craignais de rencontrer un autre regard d’incompréhension. Je n’étais pas anxieuse, j’étais à l’acmé du stress! Au cœur de mon chaos, cette fois, il me fallait m’exprimer de la bonne façon et la convaincre de s’intéresser à mon problème et d’investiguer davantage. C’était réellement un SOS et j’y mettais tous mes espoirs. J’avais survécu jusque-là et, même si j’en avais grandement envie, je n’allais pas m’enfuir.

Dans la salle d’attente, quatre chaises en cuir blanc, une pile de revues et un plat de bonbons enveloppés, sur une table de vitre carrée. La psy a eu un bonjour souriant et une poignée de main chaleureuse. Dans son bureau, la fenêtre, côté soleil du matin, donnait sur le feuillage vert d’un arbre. Une odeur de lavande, pas entêtante comme certaines huiles, flottait subtilement dans l’air. Sur une longue table blanche de style Jacobin, un ordinateur, quelques dossiers et des Saint-Paulin dans les tons de rose. Devant, deux larges fauteuils en velours d’un vibrant rose cerise. Ici, ce n’était pas le cagibi sombre du Dr F. : c’était un lieu clair et vivant.

En cet instant, j’ai cru très fort en cette phrase de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde ». Ici, la beauté et la lumière m’apaisaient et, au plus profond de moi, j’espérais qu’à travers cette beauté, je retrouverais ma belle vie. C’est fou, mais j’étais ravie d’être dans cette atmosphère de calme, dans ce lieu élégant et de plus, comme moi, elle aimait le rose. J’étais arrivée si stressée que j’avais envie de pleurer devant cette femme qui, quelques minutes avant, m’était complètement inconnue.

« Nous allons trouver ce qui se passe en vous. Il y a parfois dans la mémoire, des souvenirs enfouis, des empreintes héritées de ceux avant nous et dont nous ne sommes pas responsables. Généralement, quand les symptômes apparaissent, c’est que le subconscient sait que nous avons la solidité et la capacité d’y faire face. Ce que Dr F. a appelé hallucination visuelle vous a fait peur? »

C’était comme si, à travers les traits de mon visage, quelqu’un d’autre était caché à l’intérieur de moi, ficelé au milieu d’une toile d’araignée. C’était moi et ce n’était pas moi. J’en avais une perception confuse comme une enfant apeurée après un cauchemar. J’ai eu peur de devenir folle! Depuis, je crains sans cesse que ça se reproduise. Je suis irrationnelle, émotive, explosive et comme en colère et ça me rend anxieuse.

« Je peux comprendre que ces sortes d’hallucinations bouleversent et déstabilisent profondément. J’ai vu dans votre dossier médical le diagnostic de maux de tête au-dessus de l’œil gauche et celui d’un intestin irritable. C’est ce que nous les psys identifions comme un mode symptomatique. »

Elle ne me parlait pas comme à une illettrée et elle me regardait en face. Dans son ton, il n’y avait aucune réprobation : ce n’était qu’une piste d’explication et à mes yeux, c’était plausible! Cette première séance m’avait mise en confiance et j’étais prête à laisser dire ouvertement mon désespoir. Je la sentais attentive et sensible à mes propos.

« J’ai tendance à penser que cet état d’irritabilité et ce soudain trouble émotionnel sont le détour qu’a trouvé votre psychisme pour exprimer ce qui l’a blessé. Je crois bien que, dans votre mémoire, quelque chose qui vous a été un irritant a d’abord agi sur votre corps. Puis, n’ayant pas été réglé, votre cerveau a tenté de vous alerter. Il se peut que ce qui vous arrive aujourd’hui et qui s’ajoute à l’intestin irritable vienne d’une irritation lointaine.

Je suis désolée que vous ayez à vivre ce mauvais moment et je ne peux pas vous dire qu’il y a une recette miracle et que vos symptômes disparaîtront tout de suite et en totalité, mais nous allons essayer de trouver leur point d’origine et de dénouer les fils de la toile d’araignée; ce qui vous rendra plus de légèreté.

Si vous acceptez, je souhaiterais d’abord vous faire passer un scan et quelques autres analyses afin d’écarter qu’il ne s’agit pas d’une tumeur ou d’une problématique interneuronale. Si vous le voulez, pendant qu’on élimine ces hypothèses, dès la semaine prochaine, petit à petit, on pourrait chercher dans le coffre secret ce que votre mémoire interne a retenu d’irritant et veut exprimer à travers vos symptômes extérieurs. Vous savez, le corps est plus étroitement lié au cerveau qu’on ne le croit. Il y a souvent une cause émotionnelle à une réalité extérieure tangible; il y a souvent un lien étroit entre un pattern psychique et un pattern physique. »

Que j’ai aimé ses paroles! J’étais remplie de gratitude envers cette Dre Esther J. et malgré tout reconnaissante envers le médecin généraliste qui m’a recommandée. Pour la première fois depuis des mois, j’avais enfin l’espoir de ne plus repousser les amis et de redevenir aimable et vivante. Elle ne me trouvait pas si étrange, si immature, si anormale, si folle. Je n’appréhendais plus l’échange. J’avais à nouveau envie de pleurer.

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