La gifle - Les Radieuses

La gifle

Le 8 mars était la Journée internationale des femmes et cet événement, jumelé aux publicités sur la violence faite aux femmes, m’a rappelé la mauvaise expérience d’une jeune femme que j’ai accueillie dans un centre d’hébergement. Je vous partage une partie du verbatim.

Il était comptable, début trentaine. J’ai parlé de moi, de ma famille; lui, de son travail et de sa solitude depuis la mort de ses parents. Il a eu plein de regards et de mots flatteurs à mon endroit. Être en compagnie de quelqu’un qui a envie de vous connaître et pour qui vous êtes le centre d’intérêt, c’est flatteur et attirant. J’ai aimé être courtisée.

Il m’a fait bonne impression. Il menait une vie rangée. Il avait une tenue soignée et il semblait être un homme aimable et conciliant. Au bout de quelques rencontres, il m’a offert d’aller habiter avec lui. Je croyais en sa gentillesse et en sa générosité. Il n’avait pas de famille et je trouvais cela triste. J’ai accepté son offre. Au début de notre vie ensemble, tout s’est bien déroulé, mais un jour, il s’est emporté.

– Les tomates ne vont pas au frigo! Les bananes doivent être mises à part! C’est ridicule de changer d’assiette à chaque plat!

– On ne peut tout de même pas mettre le dessert dans la même assiette que le spaghetti.

– Ça finit au même endroit! Épargne le lave-vaisselle et cesse d’ouvrir les lumières sous l’armoire pendant la journée! Économise l’électricité! 

– Hé! Pourquoi tu n’as pas acheté le vin qui était sur la liste?

– Je l’ai acheté. Il est dans le cellier. Celui-ci était déjà ouvert, alors j’ai pensé que…

– Je n’aime pas ce vin, n’essaie pas de me convaincre que ça devrait me plaire!

Il m’a dicté ses règles… Même si ses propos me sont apparus arrogants et des plus suffisants, je ne l’ai pas confronté.

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Un samedi, j’ai souhaité inviter une cousine qui était en ville. Il m’a dit qu’il n’avait pas envie de socialiser les fins de semaine.

Quelques jours plus tard, j’ai invité une camarade d’étude à venir travailler à l’appartement. Il est rentré plus tôt qu’à l’habitude et il a visiblement été irrité par sa présence.

– À l’avenir, tu me préviens avant d’inviter des gens. Et puis, ton père non plus n’a pas d’affaires ici!

J’avais de nombreux contacts à l’université et je pouvais m’en accommoder. Mais sa phrase sur mon père me laissait la désagréable impression qu’il faisait le vide autour de moi.

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Il rentrait souvent tard et parfois un peu éméché. Ses sautes d’humeur, de plus en plus fréquentes, m’étaient incompréhensibles. Ce soir-là, il a ouvert la porte de la chambre et m’a lancé : « Même pas capable de me laisser un repas au frigo alors que je paie l’épicerie. »  Je découvrais que sous la surface bien vernie, il y avait un double hargneux et rageur. Pour la première fois, j’ai eu le sentiment d’un danger. J’ai eu peur.

Au matin, je l’ai trouvé affalé sur le divan, une bouteille de bière sur la table basse. En ouvrant les yeux, il s’est levé d’un bond et m’a dit : « Tu n’es pas la princesse ici! Tu dois apprendre à m’obéir! » Je savais qu’aucune réponse ne ferait son affaire et je n’ai pas répliqué. Je ne voulais pas lui donner une autre raison de me faire des reproches. Il me devenait évident qu’il avait une mauvaise nature.

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Je revenais du salon de coiffure. J’étais maquillée et je me trouvais belle. Il m’a foudroyée du regard. Mon plaisir s’est vite éteint.

– Pourquoi t’as coupé tes cheveux?

– J’avais envie de changer de tête pour l’été.

– Tu veux te déguiser en homme?

– Mais non! Quelle idée!

– En attendant, tu n’es plus montrable!

 – Des cheveux, ça repousse.

– Tu vis avec moi! Tu es chez moi, tu ne paies rien, tu me dois au moins le respect!

Il m’a bousculée. En me regardant de haut, il m’a dit : « Juste une profiteuse comme les autres! »

– Je suis prête à payer ma part pour la bouffe et le loyer.

Sans me répondre, il a pris son manteau et il est sorti. Ce qu’il voyait de moi me pesait. Je comprenais que j’étais pour lui un objet et que cet objet l’exaspérait.

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– D’où viens-tu?

– Je suis allé au cinéma. Ma superviseure m’a suggéré d’aller voir Mémoire vive. Ça serait inspirant pour terminer mon essai.

– C’est quoi ce film si inspirant?

– C’est le fils de Félix Leclerc qui en est le réalisateur et l’acteur principal est Roy Dupuis.

 – Bien sûr, comme il est beau, les femmes en sont folles.

– Dans ce film, il est très bon.

– Bien sûr, comme toutes les nunuches, tu l’aimes.

– Je vais aller prendre une douche et rédiger un peu avant de me coucher.

– Hé! Je n’ai pas fini de te parler!

– Moi oui…

J’ai reçu ma première gifle. J’aurais dû fuir tout de suite.

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Ma session s’achevait et j’avais des supervisions en soirée; j’en étais contente, je le voyais moins. Il s’est mis à me téléphoner prétextant qu’il s’inquiétait que je revienne seule à la noirceur.

– Tu avais une supervision juste sur l’heure du souper?

– Non. Je suis allée au vernissage de mon amie Christiane.

– Tu préfères aller voir des barbouillages plutôt que de travailler à ton essai.

– Et toi, tu n’avais pas un souper de bureau ce soir?

– Je voulais que tu viennes avec moi.

– Tu aurais dû me le dire.

– Madame me fait des reproches maintenant!

– Mais non. En fait, il n’est que 18 h 20. Veux-tu qu’on y aille?

– Tu ne vas certainement pas m’accompagner avec ce décolleté! Va m’enlever cette robe! Quelle image ça va donner de moi à mes confrères! De toute façon, tu m’as coupé l’envie de sortir!

– Dans ce cas-là, je vais aller prendre une douche.

– Tu prends ta douche parce que t’as forniqué avec quelqu’un?

– Voyons! C’était un vernissage et je ne suis restée qu’une heure.

Et j’ai reçu ma deuxième gifle. Après la douche, la crainte ne me quittait pas. Il m’a tiré vers lui.

– Je vais te faire un enfant.

– Je ne veux pas d’enfant. Pas avant la fin de mes études.

– Je ne suis pas assez parfait pour madame!

Il l’a fait! J’avais trop peur pour résister.

Est-ce que je payais pour ce que d’autres femmes lui avaient fait? Je n’en savais rien, mais je savais que je n’étais en rien responsable de ce qu’il était. Je ne savais pas ce qu’avait été sa vie avant moi, mais je ne voulais plus être la cible de sa vengeance une journée de plus. Le lendemain, j’ai profité de son absence et, avec l’aide de ma copine, j’ai ramassé mes affaires. Elle m’a accompagnée au centre d’hébergement. Je lui ai laissé la clé et un mot : « Je pars. Je n’aime pas recevoir des gifles. »

Les jours suivants, en discutant avec les intervenantes, ses commentaires me revenaient en tête. J’aurais dû « allumer » plus rapidement, mais je suis ainsi faite d’un peu trop de naïveté. On m’a dit qu’il avait vu cette faiblesse et qu’il m’avait choisie parce qu’il savait qu’il allait avoir du pouvoir sur moi. 

Je ne vivrai jamais plus avec quelqu’un qui me dicte des règles dès les premiers jours. Je me suis fait la promesse que je ne laisserais plus personne me gifler et que je resterais vigilante devant trop de perfection et trop de compliments. Cette expérience m’a fait perdre un peu de candeur et je ne vais plus me laisser porter par les événements aussi facilitants soient-ils. Ma naïveté s’est mutée en méfiance.

Après 3 semaines, elle a quitté le centre d’hébergement pour partager l’appartement de sa copine. Au cours des suivis, elle disait que lorsqu’elle sortait sans compagnie, elle était toujours sur le qui-vive et qu’elle regardait derrière elle.

Au centre d’hébergement, on prône qu’à l’instant où la peur s’installe, il faut immédiatement fuir. C’est, comme le dit Henri Laborit, L’éloge de la fuite.

Vous subissez de la violence conjugale ou connaissez quelqu’un dont c’est le cas? Communiquez avec des ressources spécialisées, comme SOS violence conjugale.

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