Tranche de vie : Une petite bête en cadeau - Les Radieuses

Tranche de vie : Une petite bête en cadeau

Toutes les petites bêtes qu’on adopte ont l’histoire d’un humain à raconter.

Lors de ma visite à la SPCA, j’ai remarqué qu’il manquait un bout d’oreille à la chatte blanche tachetée de roux. On m’a informée qu’elle avait été trouvée sous un perron avec ses trois petits chatons et que le temps froid avait gelé son oreille.

Je n’étais pas amoureuse de cette chatte, mais, comme un appel, comme une attirance invisible, parce qu’elle avait eu moins de chance, c’est elle que j’ai choisie. J’avais le sentiment qu’en offrant la chatte tachetée à ce petit garçon que j’aimais, je leur offrais, à tous les deux, des jours plus beaux. Ça a été un moment important que de présenter la petite bête à sa nouvelle famille. Est-ce qu’ils sauront s’apprivoiser? Dans le choix d’un cadeau, il y a beaucoup de soi et, quand on donne un cadeau vivant, une part de responsabilité.

Un amour naissant

En quittant la petite enfance, ce petit de sept ans a perdu le sourire et parlait peu. Peut-être pourrait-il confier à l’animal ses petites tristesses et ses gros chagrins de même que ces autres moments où, trop souvent, il était mis en retrait et où il rageait silencieusement, sans les mots pour s’expliquer? Est-ce que cette chatte, qui serait à ses côtés tous les jours de sa vie, pourrait, à coup d’indulgences, empêcher son cœur de s’abîmer par trop d’injustices? Heureusement, la chatte s’est tout de suite prise d’affection pour le petit garçon. Elle était où il était et dormait près de lui. Les animaux savent d’instinct à qui donner leurs ronronnements.

À coup de frôlements, de collages et de miaulements, elle lui permettait de vivre ses petits drames d’adolescent et de se raccorder avec sa vie. La chatte le regardait avec tendresse et acquiesçait silencieusement à tous ses états d’âme sans les contester. Avec elle, pas besoin d’être en représentation, pas besoin de mensonges d’évitement ou de protection; il pouvait dire ses failles et tous ses mauvais sentiments avaient le droit d’exister. Avant même que ses larmes jaillissent, la chatte semblait savoir sa peine et le fixait de ses yeux tristes. C’est en sa compagnie que ses chagrins les plus étanches se relâchaient. Les animaux sont parfois plus compatissants que les humains.

Les petites bêtes ne pensent pas, mais elles ressentent les émotions que vivent ceux qu’elles aiment. Elles vivent la vie de leur maître; c’est un consentement tacite par pur amour. C’était la plus fidèle des affections qu’il m’a été donné de voir. Je lui souhaitais une amoureuse qui saurait le regarder ainsi.

Malgré la tendresse de l’animal, son quotidien de jeune adulte n’était pas tout le temps euphorique. Il apprenait à la dure ce que serait sa vie. Chaque fois qu’il s’approchait de plus de confiance en un devenir, une ombre en lui sabotait l’essai et il redevenait victime de la vie et le bonheur lui échappait.

Pendant que son corps devenait grand et solide, celui de la chatte devenait malingre et fragile. Jour et nuit, elle vieillissait, elle s’usait : elle est devenue sourde, sa démarche s’est faite incertaine, mais elle mangeait et cherchait encore les caresses. À mesure que les jours passaient, une part de lui avait de moins en moins d’espoir. Il avait le mauvais pressentiment qu’elle vivait sur des jours empruntés; il soupçonnait qu’elle approchait du bout de sa vie et que, dans un temps pas si lointain, le triste moment de sa mort arriverait. Il détestait penser qu’elle souffrait, mais il ne pouvait pas se faire à l’idée de l’euthanasier. Parfois, devant les questions douloureuses, on préfère éviter la vérité trop cruelle. Quand on aime, on est prêt à se bercer d’illusions. Pour adoucir la peine, on arrange un peu les faits.

Le temps qui passe…

Malgré les désirs les plus sains et malgré le plus pur des amours, chez les bêtes comme chez les humains, la vieillesse est incurable! Il n’y a pas de baguette magique pour se soustraire à la mort. C’est dans l’ordre des choses : toutes les trajectoires de vie se terminent un jour. Il ne pouvait y trouver un sens. Il laissait alors pleurer les mots pris dans sa gorge. Ce fut leur dernier hiver à se réchauffer ensemble.

Un matin, elle n’a plus bougé et ses journées ont commencé sans elle. Maintenant, dans sa maison, il n’y a plus aucune trace d’elle. On dit que pour oublier, il est nécessaire de créer la distance. Néanmoins, il lui est difficile de rentrer du travail sans la chatte qui l’attend. Sa vie est différente sans sa présence accueillante et réconfortante. Un petit bonheur quotidien n’est plus, mais il croit encore voir son ombre marcher dans ses pas. Ce n’était qu’un animal, mais il a partagé tant de jours avec elle. Dix-sept ans, ça compte!

Si les sons, la lumière, le soleil et la végétation colorée agissent sur nous, comment ne pas être touché et ne pas pleurer la perte d’un petit animal. Il se remémore ses rires d’enfant devant les folies de la jeune chatte; il se souvient des merveilleux moments de complicité. La fin de ceux qu’on aime est chargée de souvenirs et de sens. La patiente et silencieuse tendresse de cette chatte l’a incité à mieux vivre et il lui en est reconnaissant. Il a toutefois un petit regret, celui de ne pas avoir abrégé sa vie malade.

La mort, ça fait mal, mais en vivant ce qu’est la peine d’une séparation, les réflexions acquièrent de la maturité. La mémoire n’oublie pas la perte, mais on finit par voir le lendemain d’une autre manière, d’une façon plus claire. La mort rend plus conscient d’être vivant. Il ressent en lui comme un prélude à quelque chose. Il y a maintenant en lui un désir qu’il n’y avait pas hier : un désir fort et sincère de faire du beau avec sa vie.

La mort peut inspirer. Si cette chatte pouvait l’aimer comme il était, il allait devenir ce qu’il voudrait être et non ce que les autres croyaient qu’il deviendrait. Si la pierre et le sable deviennent du verre et si le dur métal peut se transformer, il le pourrait aussi. Cette fois, ce n’était pas qu’un souhait ou un vœu pieux, il était totalement franc dans son intention. Il allait se réparer. Il allait trouver le courage de tracer les contours de l’homme bien qu’il deviendrait. Il réaliserait ses désirs. Il aime faire plaisir! Participer au bonheur des autres le rend heureux! Alors, sans placer les besoins des autres avant les siens, il prendrait soin des autres. Peut-être bien que les petites bêtes qui nous aiment ont véritablement une influence sur nos pensées.

Les mois froids ont passé. Aujourd’hui, il fait beau soleil et il y a des chants d’oiseaux dans les oreilles. C’est un temps pour la vie et les chagrins ont moins envie de vivre. Les beaux jours contiennent les germes de vie, c’est bon contre la tristesse. La mort aura fini par avoir du sens. Entre la chatte et lui, tout a été bien dit.

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