On dit que le monde va vite. Mais à l’ère des téléphones intelligents, il va surtout ailleurs. Entre un texto, un scroll et une story, notre attention fond comme neige au soleil. Et pendant que les pouces s’activent, les yeux oublient de voir. Chronique d’un temps où même les sauveteurs de plage surveillent leurs notifications.
Les millisecondes de l’attention
Je me demande souvent quand nous avons cessé de regarder le monde pour de vrai. Pas en photo, pas à travers une lentille, pas dans le reflet bleuté d’un écran. Juste le monde, là, devant nous, avec ses bruits, ses visages et ses silences.

Il fut un temps où le silence faisait partie de la vie. On attendait l’autobus sans l’angoisse de ne rien faire. Aujourd’hui, on a peur du vide, alors on scrolle. Comme si le néant était devenu une application à fuir.
Le problème, c’est que, pendant qu’on regarde nos écrans, la vie continue de bouger. Et parfois, elle bouge vite. Un répartiteur distrait, un chauffeur d’autobus absorbé, une éducatrice collée à son téléphone pendant que les enfants tourbillonnent : le monde tangue sous l’effet d’une simple notification. Deux secondes d’inattention, six cents millisecondes d’absence, et voilà la catastrophe.
Je pense à ce déneigeur, qui textait «Je suis en route» avant de quitter la route pour de bon. Une phrase banale, devenue épitaphe numérique. Est-ce un symbole du siècle : on meurt connecté, mais débranché du réel. J’espère que non… J’ajouterai avec un sourire en coin : on s’en va peut-être dans le mur, mais au moins, on y va en Wi-Fi!
Je ne blâme personne. Moi aussi, j’ai mes moments de faiblesse digitale. Le téléphone, c’est un peu comme le sucre : plus on y goûte, plus on en veut. Mais il y a une différence entre se sucrer le bec et se noyer dans le sirop. Nos métiers, nos vies, nos relations réclament encore un peu d’attention, ce muscle fragile qu’on atrophie à coups de «notifications push».
La latence du bon sens
En biologie, quand une grenouille saute, elle retombe. En 2025, quand un humain scrolle, il reste en l’air. Ton corps est revenu dans la réalité, mais ton esprit est encore dans le dernier TikTok de ton cousin. Et si tu veux t’en sortir, prends l’exemple du castor : ferme ton écran, et construis-toi une digue entre toi et la folie du monde.
Les chercheurs appellent ça l’inertie attentionnelle. Six cents millisecondes pendant lesquelles notre cerveau reste coincé dans le message qu’il vient d’envoyer. Mais moi, je crois qu’on y reste beaucoup plus longtemps. On sort du téléphone, oui, mais on ne revient pas tout de suite dans la vie. On flotte. On marche comme des somnambules numériques. Un œil sur le trottoir, l’autre dans le vide pixelisé.

Et pourtant, il suffirait parfois de lever les yeux. De regarder l’enfant qui rit, la lumière sur la vitre, ou même le vieux voisin qui attend son autobus sans rien faire — cet homme est peut-être le dernier sage parmi nous.
Je rêve d’un monde où on réapprendrait à attendre, à ne rien updater pendant deux minutes. Un monde où le silence ne serait plus un bogue, mais une respiration.
La nature, elle, ne scrolle pas. Elle pousse lentement, dans le sens du vent. Et peut-être que la sagesse commence là : dans ce geste simple de remettre son téléphone dans sa poche, de respirer un peu, de regarder autour.
Alors, la prochaine fois que mon cellulaire vibre, je le laisserai faire. Il m’attendra, lui. C’est le monde, lui, qui ne m’attend pas.
Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard
Tant qu’à y être
Plage Laval — Rafaële Germain — Éditions Libre Expression

Lorsque le père de sa fille la quitte après vingt-cinq ans de vie commune, Laurence décide de tourner le dos au monde et de s’installer dans un vieux chalet sur le bord de la rivière des Mille-Îles. Un projet unanimement décrié par ses proches, mais Laurence n’a que faire de leurs commentaires : à 48 ans, elle considère qu’elle est libre de commettre ses propres erreurs et d’embrasser une saine solitude.






