– Allo Danielle. Comment vas-tu? As-tu besoin de quelque chose? Je peux aller te le porter si t’en as besoin?
Celle qui s’inquiète aussi généreusement pour moi a 88 ans et qui plus est, en pleine pandémie, aurait pourtant bien plus besoin que je m’occupe d’elle, qu’elle de moi.
Elle me donne l’impression de jouer le rôle d’une mère affectueuse, privilège que ne lui a pas accordé la vie et qui lui va à merveille. Alors des enfants, et la liste se compose de coup de cœur nombreux, elle s’en ai fait qu’elle adore, bichonne, aide tout au long de sa vie, et j’ai l’immense privilège de la voir s’épanouir quand elle me parle, les yeux bordés de tendresse, de chacun d’eux.
Dominique Michel, la petite Aimé Sylvestre de son vrai nom, je le dis souvent avec énormément d’affection, c’est véritablement ma mère. Ma mère d’un show-business familial d’autant plus important que nous lui avons, elle et moi, chacune à sa manière, sacrifié toute notre vie.
Pas un amoureux, pas une maladie, pas un désavantage ou une fortune un peu plus libératrice ne nous a donné cette envie de tout quitter pour une vie privée légitime. Par mimétisme peut-être, j’ai fait « comme elle » parce qu’elle l’a vécu devant moi, avec ses hauts et ses bas, et j’ai su grâce à elle qu’en mettant son énergie vers ce qui nous anime vraiment, que l’on vit pleinement. Ce métier, elle l’a dans les veines et elle nous a donné à tous les leçons nécessaires, non seulement pour l’aimer, mais pour ne jamais le tenir pour acquis. Le travail, la rigueur ont toujours fait partie de ses plus belles valeurs. Elle nous a tricoté serré dans le chandail de son affection. On y est au chaud depuis toujours, sans aucune défection.
À l’époque je venais de faire le film Valérie. Était-ce la façon dont je passais à travers le scandale, les reproches, les critiques où l’on me prédisait une bien courte carrière (petit souvenir respectueux à monsieur Pierre Brousseau qui ne passait pas une semaine sans le mentionner dans les journaux par des termes qui aujourd’hui devraient le faire rougir) ou tout simplement son instinct à se dire : « celle-là ne lâchera pas le morceau, on peut lui faire confiance », elle s’est prise d’affection pour la jeune fille que je voulais devenir sans jamais me sentir attaquée par une certaine forme de peur inhérente à certaines femmes qui croient qu’on va tout leur voler en les fréquentant. Elle m’a, au contraire, tout appris du métier… et de la vie aussi à bien des égards, avec patience et affection.
Il en fallait pour s’occuper de moi qui n’était issue d’aucune école, d’aucune présence sur scène ou sur un plateau, si l’on exclut, à 10 ans, une apparition à « Rendez-vous avec Michèle » de Madame Tyssère, à Radio-Canada, car elle y avait fait passer l’école de ballet de sa fille, ou quand venait le temps de chanter avec la chorale du Collège Marie-de-France au spectacle de fin d’année, devant un Camilien Houde dépassé par ce qu’il venait de provoquer. Hé oui, petite – je m’en rappelle fort bien — j’ai rencontré cet homme, qui avait fait pleurer une de mes petites camarades, en se penchant trop rapidement devant elle. Il faut dire qu’il avait un nez… à faire peur!
Donc j’ai connu Dominique, j’avais 21 ans.
Elle me fit faire tout d’abord un sketch dans « Moi et l’autre ». Me fallait-il avoir une certaine dose d’inconscience! Non, mais mettez-vous à ma place! Pas d’expérience, je n’ai jamais fait de comédie et je me suis retrouvée à jouer avec les deux plus grandes comédiennes dans le domaine — Denise y comprise — tout cela sans préparation!
Et en effet, pour me préparer à ce si implacable, cruel, mais si merveilleux métier qui demande tant de détermination, elle allait me l’apprendre. Elle me donna alors la première et la plus importante leçon de ma vie en m’indiquant que la règle d’or était d’arriver sur le plateau préparée, avec son texte appris par cœur « … à l’envers et à l’endroit » s’il le fallait. « Le reste on s’en charge », ajoutait-elle!
Je n’en dormais plus. J’avais si bien appris la leçon que je savais par cœur les lignes de tous les comédiens. Quand l’une de ces phrases faisait défaut chez l’un ou l’autre, je la lui donnais, ce qui me vit attribuer le surnom de « la petite consciencieuse »… que Dominique me réservait, en dérision, sourire aux lèvres quand à mon tour la mémoire me faisait défaut. C’était rare. Pour rien au monde je ne l’aurais déçue.
Puis elle m’imposa sur deux Bye Bye. Celui de 73 et 74. Et bien plus important, elle me fit connaître cet auteur si merveilleusement amusant et talentueux qu’était Gilles Richer. Ce dernier, pris au jeu par la confiance qu’elle m’accordait, n’oubliait jamais de m’écrire des rôles sur mesure, sachant que Dominique allait suppléer à toutes mes faiblesses. On me fit comprendre lors de ces sketches — et Dominique était la première à s’y formaliser — qu’il fallait avoir le sens de la dérision, ne pas se prendre au sérieux, et qu’il était préférable de participer à une « niaiserie », fût-elle scandaleuse, que d’en être la victime.
Anecdote :
Au Bye Bye, je fus le sujet d’un exercice qu’on appelle un « quickie », moment court qui consiste à être d’une drôlerie vitriolique en 3-4 phrases, pour passer à une autre « vacherie » tout aussi efficace, pour en multiplier les effets. On me fit endosser la plaisanterie par ma présence à la toute fin pour désamorcer l’insulte… Que je vous raconte :
Paul Berval dit à Benoit Marleau;
Benoit, sais-tu que j’ai pris une nouvelle résolution pour cette année?
Benoit : Ah oui, laquelle?
Paul : Je vais devenir l’amant de Danielle Ouimet!
Benoit : … et pourquoi donc?
Paul levait le doigt en et en levant les yeux au ciel l’on entendait la ritournelle publicitaire de CKAC à cette époque qui disait :
— Tout le monde le fait, fais-le donc!
C’est donc elle qui me fit rencontrer Paul Berval, Benoit Marleau, Denis Drouin, André Dubois… nous étions dirigés par une équipe fabuleuse. J’étais présente lorsqu’elle nous fit ce numéro d’une richesse incroyable pour notre patrimoine culturel, soit la personnification du syndicaliste Michel Chartrand, moment béni des dieux et jamais égalé depuis, de même que cette prestation sur les performances d’une Diane Dufresne débridée. Quel talent!
C’était l’époque faste où l’on nous faisait, à Radio-Canada, des costumes sur mesure.
Et nous avions, moments rares aujourd’hui, des répétitions.
À cette époque, nous en avions pendant cinq semaines avant l’enregistrement. Certaines « leçons » cependant, pendant ces journées de 8 h de travail, n’étaient parfois pas sans souffrances.
Anecdote :
On est toujours à l’un des Bye Bye. Celui de 73 plus précisément, Louis-Georges Carrier était un réalisateur de dramatique d’une grande rigueur. Il exigeait que l’on apprenne, selon certaines paroles, une chorégraphie compliquée qui impliquait une discipline impeccable puisque ça allait jusqu’à un changement de direction de la tête sur tel mot, mot qui correspondait pour lui à un découpage précis pour ses caméras. En d’autres mots, en charge de trois caméras à faire fonctionner tour à tour à un moment précis (explication aux néophytes : ce qui se fait d’habitude selon ce que ses 3 écrans qu’il regarde dans la régie lui donnent, et qui sont reliés à ce que ses caméras perçoivent sur le plateau) il avait décidé à l’avance que la caméra 2 ou 3 serait à tel endroit au moment de tel texte débité par nous. C’était de la haute précision. Et en répétition il nous arrivait de l’oublier. Il arriva donc un jour avec une badine — long fouet à lanière de cuir — qu’il s’amusait à faire claquer soit sur un bras ou une jambe du premier comédien fautif à sa portée, si le texte ou le geste avait été oublié… ce qui nous faisait rire tout d’abord, et danser dans un ballet souvent grotesque par la suite.
Jusqu’au jour où il me « péta » littéralement une veine du poignet… ce qui ne l’empêcha pas non plus d’arrêter, mais bien de frapper moins fort la fois d’après.
Au bout de quelques jours, Benoit Marleau arriva aux répétitions totalement caparaçonnées dans un habit de gardien de but, avec jambières rembourrées et masque, qu’il refusa d’enlever une bonne partie de l’avant-midi. Jusqu’à ce que Dominique dise, à ce réalisateur despotique (lol), dans un langage « fleuri » bien à elle, que c’était fini ces moments de tortures inutiles. Et quand Dominique parlait sur un plateau, c’était parole d’évangile. Dieu avait parlé!
Donc elle m’a tout appris. Merveilleuse Dominique qui débordait de son rôle de protectrice allant même jusqu’à couvrir mes peines d’amour.
Anecdote :
À cette époque je sortais avec un homme qui ne comprit pas que je puisse lui refuser ma présence sur son seul temps de vacances de l’année pour ne pas l’accompagner à l’étranger, puisque j’étais prise à faire le Bye Bye. Il décida de partir en m’imposant un silence boudeur pendant 3 à 4 jours avant son départ, que je voulus réparer. J’étais follement amoureuse de cet homme. La veille de son voyage, je l’appelais pour régler ce froid, mais une voix féminine répondit à l’appel. En pleine répétition, je devins lunatique. Dominique s’en aperçut immédiatement. Je ne pouvais rien cacher à « ma mère »! Je lui racontais le tout et elle se mit tout de suite à me rassurer… « Ça peut être la femme qui fait le ménage, quelqu’un à qui il va prêter son appartement… » Elle voyait bien que rien ne me calmerait. Sachant que l’homme » n’était pas chez lui, de son plein gré, elle me demanda son numéro de téléphone et partit dans une enquête auprès de la « répondante », qui lui fit découvrir… qu’elle la connaissait. Et que fait une mère lorsqu’elle aime son enfant? Elle la protège en lui disant n’importe quoi pour la rassurer : ne t’en fait pas c’est une petite insignifiante, une sans envergure, elle n’est même pas belle, même pas intelligente, ça va passer, tu vas voir…
Voilà bien encore la leçon que me donna ma merveilleuse Dominique à cette occasion :
– Oui je sais Danielle, quand on aime on ne peut pas s’en empêcher. Le gars a beau te cracher dans la face, tu t’essuies du revers de la manche et tu lui dis : quand est-ce qu’on se revoit?! Mais ne fait pas ça. Aime-toi davantage…
« Aime-toi davantage ». À chaque peine d’amour, je me suis souvenue de ces paroles. Je n’ai, de ce jour, jamais failli à la tâche.
Je crois que je la faisais rire dans mes aventures rocambolesques. Et je l’aimais tellement que j’étais prête à les lui faire toutes vivre, que pour la distraire. Bon public, elle entrait dans chacune de ces histoires, prêtes à y participer aussi quelquefois.
Anecdote :
On est en 1975. Nous sommes 5 sur la scène de la Place des arts. Le comédien Français Jean Lefevre (Le gendarme à St Tropez), Benoit Marleau, Suzanne Lévesque, Dominique et moi. Le spectacle s’appelle : La grande patente. Les textes sont encore de Gilles Richer. Au piano : Stéphane Venne. Nous jouions dans un montage de sketches pour la 3e et dernière semaine dans ce théâtre, avant d’entreprendre une tournée à la grandeur du Québec. Je viens de rompre avec un amoureux qui ne comprend pas la raison pour laquelle je ne m’intéresse plus à lui, et qui me harcelle plus ou moins au téléphone, histoire de me faire changer d’idée éventuellement. J’ai appris, toujours par Dominique, que si la vérité est le chemin le plus court en tout, qu’il n’est pas bon tout de même d’avouer au délaissé qu’il y a éventuellement un nouveau prétendant qui a pris sa place. Du moins pas trop vite tout de même. Or, c’était le cas à cette époque. Et que fait la demoiselle – moi en l’occurrence — qui veut impressionner la galerie? Elle invite le nouveau venu à aller la rejoindre en coulisse dès la fin du spectacle, pour le présenter à tous. Et voilà que la finale approche.
La chorégraphie alors est faite de façon à ce que 3 comédiens soient à l’avant-scène en train d’entamer une chanson que nous finirons tous ensemble pour clore le spectacle, mais… et le « mais » est de taille, Dominique et moi sommes dos au public, près du rideau du fond et en ligne directe avec les coulisses, en attente de la note qui nous fera nous retourner. Voyant à ma droite l’élu de mon cœur me faire un beau sourire, je fais un geste à Dominique pour qu’à son tour elle se tourne vers la droite et contemple l’objet de ma félicité… mais je la vois soudainement me regarder avec des yeux à la Jean-Luc Mongrain, et sans cligner d’un cil, elle me fait un geste assez brusque m’indiquant la coulisse du côté opposé. Et en effet, j’ai le cœur qui s’arrête. L’ex est là, lui aussi, avec son plus beau sourire, qui me regarde fixement. Ma Dominique, mon amie, ma sœur, ma complice, ma mère me dit : dis aux autres de ne pas s’inquiéter si je sors du mauvais côté, sors à droite, je vais sortir à gauche et je vais m’en occuper. Ce qui fut fait. Je n’ai plus jamais revu cet homme dans les mois qui ont suivi. Enfin pas tout à fait, car nous sommes devenus amis tout de même quelques années plus tard. Je connais sa femme et ses enfants… ça aussi Dominique m’a appris. Ne jamais rejeter ce que l’on a été, peu importe l’occasion.
Comment… mais dites-moi comment ne pas aimer cette femme! Impossible!
Le mois prochain, je vous réserve de nouvelles anecdotes avec « ma Do » cette femme hors de l’ordinaire.
Je l’aime tellement.