Il parait qu’on n’aura pas un Noël des plus agréables cette année, à cause de la COVID.
Comme je fais partie de ceux et celles qui voient toujours le verre à moitié plein, je me dis, qu’au fond, c’est un mal pour un bien. Devant choisir notre entourage, on redonnera à la fête ses notes de noblesses en n’acceptant, par ce choix imposé, que le plus essentiel autour de nous. Et nous aurons une raison toute trouvée de retirer cette tâche qu’on a à plaire à tout le monde en cette période de l’année, en ne gâtant que ceux que l’on aime inconditionnellement, et en négligent un peu plus ceux qui nous indiffèrent.
Vous arrive-t-il parfois de chercher à distinguer celui qui a été le plus beau Noël de votre vie? Il y en a toujours un qui refait surface, dénué de contingence, d’obligation, jusqu’à ce que dans une demi-conscience on retrouve une image isolée, puis une autre et une autre, collée comme un moment béni au souvenir de l’enfance. Vous savez, celui où le bonheur, les odeurs, les caresses reçues reviennent, envoûtants, et reste, au point d’en égarer les autres. Du moins, si le sens de la fête s’y est imprimé.
J’ai huit ans…
On se prépare, ma sœur Judith et moi, à faire le long chemin qui nous mènera en voiture, malgré une tempête à ne pas mettre un chat dehors, chez mes grands-parents, Lauda et Jean-Baptiste Bruneau, à Windsor Mills tout près de Sherbrooke. On nous attend dans cette maison de planches blanches de 25 pièces, où vivent 3 familles, et qui se remplira de la famille de ma mère : Doris, Yvan, Jovette, Marie-Paule, Maurice, Charlotte, Suzanne, André, Louise, Hercule, Hermance, Robert, Hortense, Georges… et j’en passe… Plus d’une vingtaine de personnes joyeuses, dans bien peu de temps, vont sauter partout, heureuses de partager ce moment unique.
Mais en attendant le départ, mon père me demande d’aller mettre dans la voiture une série de cadeaux que le père Noel (trop occupé le pauvre homme!) est venu porter à l’avance chez mes parents pour la famille… Les nôtres, il est évident, seront sous l’arbre à minuit. Donc, j’ai une grosse boîte à porter à la voiture, que j’ai bien de la difficulté à manipuler, car l’escalier en colimaçon intérieur de l’appartement de mes parents qui mène au stationnement quelques deux étages plus bas et trop étroit et le paquet m’oblige à une rude épreuve de contorsion. Plus haute que moi, me bloquant la vue, je lève la boîte, la redescend, à gauche, à droite… Oups… échappe le paquet. De cette boîte, bizarrement s’échappe un drôle de son. Tellement bizarre que j’ai peur de la rattraper. On dirait qu’il y a quelqu’un d’enfermé là-dedans! Mais voulant couvrir ma possible immense bêtise, de peur d’avoir cassé quelque chose, je la récupère rapidement et la conduis à la voiture. Puis, ce sera le long trajet de 3 heures sur cette route au paysage poudreux, vers le bonheur à l’état pur.
Ma sœur et moi, couchées sur la banquette arrière, transies par le froid et prêtes souvent à vomir, car mon père fume le cigare et ma mère ses éternels Philipp Morris nous ont enveloppées dans une couverture à carreaux de laine rouge rêche, que j’ai encore d’ailleurs, et qui sent toujours mon enfance. Dans cette fumée à couper au couteau, mes parents ont donc ouvert la fenêtre pour y faire entrer l’air et y voir un peu plus clair. Trois heures, c’est long pour deux petites filles qui n’ont pas de tablettes, de téléphones et de gadgets électroniques pour passer le temps. Mais sans même valider l’arrivée par le paysage, mues par je ne sais quelle prémonition, on se lève d’un bond Judith et moi, sautant comme des pucerons, dès que la voiture remonte la pente jusqu’à la porte principale de la maison de mes grands-parents. Glissant dans les escaliers, enfermée par les faisceaux des lumières de la voiture dans cette noirceur naissante, je devine mes cousines se précipitant à notre rencontre. On dirait qu’elles nous attendent depuis l’aurore. Pas de manteau, pas de lainage, ce n’est pas grave! Sent-on vraiment le froid devant tant d’euphorie? Gros bisous à tout le monde. Longue et réconfortante accolade accrochée à la magnifique poitrine généreuse de ma grand-mère Lauda, que j’aime presque plus que ma mère, on nous retire les manteaux à capuchon fait de laine grise et le foulard rouge, interminable, celui qui s’enroule autour de la tête, couvre le front, les lèvres et le cou en une seule fois. Puis à la fin on retirera les galoches en caoutchouc brun si laides, dans lesquelles on se glisse avec nos propres chaussures. Pourtant elles se remplissent à chaque fois de neige, même si elles sont bordées de fausse fourrure, et sont retenues en porte-feuille par une languette métallisée.
On place tout ça sur le lit de grand-maman, comme le fera toute la famille un peu plus tard, ce qui donne aux enfants un lieu de délices pour se vautrer en s’y jetant après une course folle, dans chaque manteau et foulard de nos « matantes » qu’elles ont parfumés à la lavande de Yardley pour l’occasion.
Comme nous ne mangerons qu’après la messe de minuit, et qu’on s’est raconté notre semaine, il est temps du dodo pour un réveil à 22 heures. Et comme à l’habitude, on se retrouve ma sœur et moi à coucher tête-bêche avec mes cousines Suzanne, Louise et André que j’idolâtre, dans leurs lits à montures de tuyaux gris arrondis qui fait entendre par ses ressors à l’air libre, et pas du tout « ensachés » comme ceux de maintenant, la musique d’une petite souris tout excitée, à chaque fois que l’on se retourne.
Protégé d’un couvre-lit en « chenille » blanc à larges fleurs jaunes, mon nez caressera ses fibres qui chatouillent le nez et m’aidera à m’endormir, moi qui suis toujours la dernière, longtemps après les autres, à le faire.
Une douce chaleur se dégage du tuyau de poêle qui monte du fourneau situé dans la cuisine d’en dessous, qui traverse le plafond jusqu’à la chambre. Se glissant bien au centre, il stoppe le froid des deux fenêtres toutes petites, mais sans coupe-froid, coincées par le toit et le plafond en pointe. Dehors un spectacle tourbillonnant de neige folâtre apaise. De l’ouverture du plancher par lequel passe ce tuyau, l’odeur de la fête prend son envol. La dinde qu’on a fait cuire toute la nuit en se plaignant d’avoir mal dormi, car il a fallu l’arroser régulièrement, me laisse assurément la certitude qu’on viendra bientôt nous réveiller pour célébrer. Mon oncle Paul a déjà sorti sa « grosse Dow » et se demande s’il ouvrira cette bouteille de vin de cerise de terre amère et infecte, qu’il fait lui-même l’été et qu’il entrepose dans son sous-sol en terre battue, ce fameux vin qui laisse les lèvres, la langue et les dents d’un rouge bleu douteux quand on le boit.
Et tout à l’heure, je sais que Floriane, ma tante, ouvrira ce pot de ketchup vert qu’elle fait « maison » que j’adore et qu’elle me réserve en premier, à moi seule, pour les tourtières de cette fête. Si je suis chanceuse, ils auront eu le temps d’aller chercher du fromage en grains à St Georges, le village voisin, ce fromage que l’on achète encore tout chaud et qui fait « skouik » sous la dent quand on le mange. Jamais au grand jamais je n’en ai goûté de meilleur, et ce n’est pas de ne pas avoir testé!
Mais en attendant, il est l’heure de se lever pour la messe de minuit. On aura respecté les 6 heures sans boire ni manger avant de communier, ce qui à l’époque est la norme. Pour être installés à l’avant à l’église, les bancs ont longtemps été loués à l’avance. On mettra nos belles robes toutes neuves achetées expressément pour la fête, car c’est connu, Noël, Pâques et les anniversaires sont les moments les plus propices à ces achats. Car comment serons-nous jugées en montant l’allée vers le « corpus cristi » si l’on n’est pas dans ses plus beaux atours? C’est aussi un peu ça la messe de minuit. L’occasion — bien peu religieusement — de jalouser et de juger son voisin en le voyant passer dans ses plus beaux atours, et de devoir s’en accuser à confesse éventuellement. Puis, une fois pardonnés par un curé compatissant, la punition consumée par une série d’Ave et de Notre-Père, récitée les yeux fermés, les mains jointes et à genoux sur le prie-Dieu, on risque de pouvoir communier le cœur léger.
Dans la poche, nous les enfants, on nous a glissé quelques sous pour aller les déposer dans la casette devant la statue en plâtre, mal peinte et pas trop jolie, représentant un ange. Elle est tout de suite placée à côté de la crèche montée dans un coin. Et dès qu’on le fera, puisque les sous donnés nous le font attendre avec vénération, cet ange nous remerciera en hochant la tête… Le « merci » d’un ange, c’est bien connu, c’est comme une grâce divine qui se jette sur nous! C’est si bien élevé un ange!
Mes tantes et ma mère, devant monter les tables pour les deux services — enfants d’abord et adultes ensuite —, heureuses probablement de se soustraire plus vite à la messe, reviendront à la maison peu après le « Minuit Crétien » chanté par le ténor local qu’on dit si talentueux (bien-plus–que-celui-de-la-paroisse-d’à-côté-c’est-évident!) et qui fera sa finale dans l’apothéose d’un concert formé de voix plus amateures, enterrées par la musique d’un orgue à la soufflerie agressive. « Ite missa est » les portes vont s’ouvrir, Jésus est né, enfin allons à la maison!
Et il est temps d’ouvrir les cadeaux. On n’a plus faim, on veut d’abord voir ce qu’il y a sous l’arbre! Le père Noel, ce « vlimeux », est passé pendant la messe et on ne l’a pas vu passer. Mais il a tant à faire… au Noël suivant peut-être serais-je chanceuse.
Et on me donne enfin ce paquet que j’attends depuis bientôt un mois et pour lequel j’ai fait tant de sacrifices, de bonnes actions, car mes parents disaient toujours : le père Noël ne passera pas si t’es pas gentille… Moment charnière qui fera de moi une grande fille heureuse… mais cette fois-ci, oh malheur, bien désabusée d’un seul coup! Je ne le sais pas encore, mais la magie de mon enfance va basculer dans une bien dure évidence pour une petite fille de 8 ans. Car, ma mère me tend LE paquet que je reconnais, car je l’ai moi-même descendu à la voiture quelques heures plus tôt. Je l’ouvre… Une magnifique poupée aux joues rosies, en robe de taffetas bleue, avec de vrais cheveux bruns, des yeux qui s’ouvrent et se referment et qui sont bordés de cils véritables, un bébé à qui je peux donner un vrai biberon, mais à qui je dois changer la couche, car elle fait automatiquement pipi dès que je la nourris… et qui me « parlera » en faisant « maman » si je la brasse. Mais alors c’est donc « ça » que j’ai entendu venant de la boîte quand on m’a demandé de la transporter? Donc, si je comprends bien, le père Noël n’existe pas!!!!!
Quel désappointement, quelle déchéance! Je n’en dis mot, ne pose aucune question, mais maintenant je sais! Je sais que mes Noëls ne seront plus jamais pareils et je ne veux pas que l’on m’enlève mon rêve. Alors, je vais croire en silence, même en sachant que ce n’est pas vrai. J’aime ma poupée. Ma sœur a reçu la même, mais en blond! Eh oui, pour ça et uniquement pour ça je ferais semblant d’y croire… voir jusqu’à aujourd’hui… ou sans faiblir, j’ai continué la tradition pour mon fils quand il était petit et sa fille quand il s’est marié, pour les enfants de mes frères et sœurs, en m’assurant de ne jamais au grand jamais donner un cadeau à porter avec un objet qui fait du bruit dans la boîte…
C’est si beau un enfant qui croit. Et c’est si beau un adulte qui croit qu’un enfant y croit.
Et si on mangeait maintenant!
Vers les 3 heures du matin, grand-maman me prendra sur ses genoux, me collera le nez dans son cou qui sent le savon à la rose, savon qu’elle a mis partout dans ses tiroirs et qui imprègne de leur odeur chacun de ses vêtements. Elle me bercera près du poêle à bois, chauffé à blanc, en me chantant, « Petit papa Noël »… ou celle-ci que je préfère :
Trois anges sont venus ce soir
M’apporter de bien belles choses
L’un d’eux avait un encensoir
L’autre avait un bouquet de roses
Et le troisième avait en mains
Une robe toute fleurie
De perles d’or et de jasmin
Comme en a Madame Marie
Noël, Noël, nous venons du ciel
T’apporter ce que tu désires
Car le Bon Dieu au fond du ciel bleu
Est chagrin lorsque tu soupires
Depuis, dès les premiers jours de décembre, j’écoute les chansons du disque de Noël de Marie-Michèle Desrosiers, où je la retrouve, intacte, et ma grand-mère est là… malgré mes 70 ans passés, à presque encore me bercer.
Demain, papa nous entraînera sur une route de campagne déserte, il nous placera dans des « traînes sauvages » bien accrochées les unes aux autres et nous tirera à grande vitesse — du moins c’est ce que je ressens malgré un maigre 20 milles à l’heure! — avec ces « bolides » attachés à son parechoc jusqu’à ce que l’on tombe en riant, cul par-dessus tête, dans la congère. Et en bon père « dégénéré », mon papa me donnera une petite gorgée de 3 gouttes de son gin De Kuyper si je dis que j’ai trop froid.
Au retour, Suzanne fera bouillir, en mettant 4 bûches dans le poêle, en cachette, un chaudron de sirop d’érable qu’on versera sur la neige, pour se gaver d’une tire délectable.
Je vous le dis : un magnifique Noël pour les enfants… ce n’est pas les tablettes, les téléphones, les jeux qui les isolent. Noël, c’est une famille qui les aime en leur donnant des souvenirs hors du commun. Soit non pas de les regarder jouer, mais bien de jouer AVEC eux.
Allez… Le bonheur n’est nul autre que là.
Courez vite acheter une « traîne sauvage » ou une boîte de sirop d’érable.
On vous remerciera jusqu’à 50 ans plus tard! Promis.
Et bon Noël à tous.
6 Responses
Ce souvenir est l’un de vos plus beaux textes.
tu es tres volubile comme dans la vraie vie…j’ai de bons bons souvenirs de cette grande maison blanche; je revais d’en avoir une aussi…de ma grand-mere je me souviens de cette boite de bonbons-satins qu’elle nous offrait en entrant ; de mon grand-pere homme de peu de mots qui fumait sa pipe pres de la fenetre . j’avais 5ans a la meme époque que toi….quand meme de beaux Noel je souhaite de te lire encore en 2021 prend soin de toi et salutations a vous les Ouimet
Merci pour ce beau texte, que de magnifiques souvenirs.
Un texte magnifique qui résonne dans nos têtes et nos cœurs! Merci pour cette plume qui ravive nos souvenirs et qui indique combien notre génération a vécu une révolution à divers points de vue: comme le temps a passé et changé les choses!
Wow ! Quel magnifique texte qui a remué tant de beaux souvenirs de mon enfance !… Merci du fond du coeur, je m’en vais essuyer quelques larmes de nostalgie … Merci encore Danielle, du plus profond de mon coeur… Longue vie à vous !
Que c’était le bon vieux temps.. comme disent souvent les gens de nos générations . J’ai 54 ans, et en lisant très lentement votre histoire , je me replongeais quand j’étais à peine plus âgée que 4-5 ans et que mes parents recevaient toute la parenté dans notre maison… quels merveilleux souvenirs que ces Fêtes-la… Si la magie pourrait nous replonger dans ces beaux moments ?❤️?
Mille Mercis à vous chère Danielle de nous avoir fait partager vos Noëls… on s’y croyait présent en même temps que vous !
Et surtout, quels beaux conseils vous donnez aux familles d’aujourd’hui ❤️Pour que leurs Fêtes , et en particulier celles de 2020 , soient aussi magiques que celles d’antan et de s’en souvenir pour très longtemps.