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D’un Noël à l’autre

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Chaque année, en pensant à ma table de Noël, je me rappelle combien j’étais excitée à l’idée de choisir un bonbon coloré et d’enfoncer mes doigts dans la chaudière de fer blanc Lowney’s que mon père ne manquait pas de sortir après le repas de Noël. Cela signifiait que la distribution des cadeaux approchait et le plaisir parcourait alors tout mon corps. Le sourire de mon père semblait dire qu’il était satisfait de son effet.

La table de Noël de Claudette en 2016.

Dans les livres de contes, on décrit Noël comme une nuit illuminée d’étoiles où l’on célèbre la naissance d’un enfant incomparable. Tout est ravissement! Mais pour certains, dans ce ciel parsemé d’étoiles, il s’infiltre de noirs souvenirs.

On ne connaît pas tout sur les gens. Les apparences sont parfois trompeuses. Plus loin que la surface, des tragédies tapies dans un sombre recoin du cœur rebondissent soudainement; de douloureuses émotions, aussi implacables et lointaines soient-elles, s’évadent sans prévenir. Pour eux, la période de Noël attire la tristesse; ils farfouillent alors dans la mélancolie.

Généralement, les gens blessés se cachent quand ils sont tristes, mais on dirait qu’au temps de Noël certains ont particulièrement besoin d’être consolés. On dirait qu’ils n’arrivent pas à échapper aux mauvais moments de leur passé. Ces personnes-là n’ont pas pu réinventer totalement leur histoire et c’est comme si, pour avoir accès à certaines grandes joies, il leur fallait se délester de leur tristesse.

Ma mère était de celles-là. À tout moment, sa tristesse se ranimait, mais à Noël quand l’effet du verre d’alcool qui l’avait poussé à rire s’estompait, son passé l’envahissait et elle persistait à ressasser son sort d’orpheline et à le pleurer. On ne raffolait pas de cette habitude de retourner dans la douleur du passé d’où elle venait, mais elle semblait persuadée que lorsque nous étions tous réunis, c’était le moment de nous mettre au courant de l’ampleur de ses malheurs d’enfant négligée.

Partager des parcelles de son passé avec nous semblait être sa manière d’affronter les lendemains. C’était comme si elle vivait à côté de sa vraie vie; comme si elle n’avait pas le mode d’emploi pour vivre pleinement ses bonheurs et qu’il lui était essentiel de replonger dans son passé pour mériter son présent. En elle, il y avait des ombres qui nous échappaient; elle semblait avoir besoin d’être rassurée sur notre amour, comme si c’était ainsi qu’elle se donnait l’élan de reprendre son quotidien. En grandissant, on s’est dit que la partie d’elle qui restait souffrante et triste avait un rapport avec un manque d’amour et on lui donnait cette preuve d’attachement qu’elle semblait réclamer.

On la connaissait bien et on savait tous que ce Noël finirait comme les autres : dans les larmes. Même si, pour nous, c’était du déjà-vu, on savait qu’il valait mieux ne pas l’interrompre, car tenter d’empêcher ses redites, c’était parler à une sourde. Le destin l’avait mal servie et après tout dans un même contexte, on aurait pu être pareil à elle. Elle attendait de nous qu’on la laisse vivre ce moment de retour en arrière, alors on faisait à sa façon.

Après la distribution de cadeaux, par rituel, elle mettait sur le phono des 78 tours qui lui rappelaient sa vie d’avant : Souvenirs d’un vieillard et La Charlotte prie Notre-Dame. À partir de ce moment, elle devenait une autre; c’était la métamorphose! Ses yeux perdaient leur gaité et ses pensées faisaient escale dans son ancien monde. Elle écoutait ces chansons avec un cœur douloureux; elle versait des larmes anciennes qui semblaient lui être impossibles à retenir. Déclamer tout haut et pleurer ses peines semblaient les seuls remèdes pour se soulager et panser ses misères d’orpheline. À cause de la tendresse que nous avions pour elle, nous la laissions radoter; ça semblait lui enlever des soucis. Nous étions ses témoins, le public qu’elle avait choisi.

Y avait-il des détails inventés et jusqu’à quel point ses malheurs étaient réels? Nous ne l’avons jamais questionné pour en vérifier toute la véracité; entre nous, il y avait cet accord d’accepter que le passé dont elle nous parlait avait eu lieu. Parce que nous avons été ses enfants et qu’elle s’est levée tous les matins pour nous préparer une belle journée, nous l’aimions comme elle était, avec ses états d’âme et ses fragilités. Ces moments d’épanchement et de mélancolie mettaient un terme à la fête. Elle nous remerciait de notre présence et de l’avoir écouté; elle nous embrassait, serrait fort ses petits-enfants et on rentrait chacun chez nous. Du plus lointain de mes souvenirs, tous les Noël se terminaient ainsi.

Chaque Noël, je pense à la tristesse de ma mère et je fais le vœu que ceux que j’aime ne soient jamais blessés aussi profondément qu’elle.

Chaque Noël, je pense à mon père qui était doué pour faire plaisir sans rien attendre en retour et je fais le souhait de faire au mieux pour faire plaisir à ceux qui comptent pour moi.

Dans les faits, les cadeaux de Noël les plus précieux ne sont pas emballés; ils ne s’achètent pas, ils sont vivants. Se souvenir de ceux qui nous ont aimés et se soucier des autres plus que de nous-mêmes, c’est peut-être ça la vraie magie de Noël.

Claudette Rivest

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Une réponse

  1. Tellement bien décrit, et avec beaucoup d’indulgence qui vient avec l’âge, malheureusement.
    Oui c’est une période qui fait regretter les absents et qui pèse sur les parents et qui rends triste tout le monde de la famille qui eux sont présents et qu’ils se sentent ignorés, et impuissant à consoler .

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