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Lecture: 3 romans portants sur l’enveloppe charnelle

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Trois romans consacrés à l’enveloppe charnelle. Le premier « Grosse » l’aborde de plein fouet, on s’en serait douté par le titre, surtout lorsqu’écrit par une femme. « Roux clair naturel », qui se cache derrière une couleur flamboyante? Fanie Demeule va au fond de la question. « La page manquante » traite du corps, de son fonctionnement après l’atteinte d’un virus qui l’attaque. Le cerveau, ce siège de la mémoire peut laisser des pages blanches, comme un trou creusé en pleine vie.

Grosse de Lynda Dion

J’ai lu les trois titres précédents celui-ci et, toujours, Lynda Dion nous entretient de véracité, de nudité, de crudité. Et cette fois, plus que jamais. Je me demande même : comment aller plus loin? C’est une question de lectrice, l’auteure a sûrement ses réponses.

Vous l’aurez deviné, on y parle abondamment d’apparence, mais pas en utilisant un ton superficiel. L’importance de l’enveloppe charnelle va loin, c’est le socle où s’érige une vie. C’est la racine qui traverse la terre meuble de notre moi, de notre surmoi, de notre inconscient.

Vous trouverez quelques dessins de l’auteure. J’ai apprécié ces dessins chargés d’émotions lourdes, où le moi est géant, surtout ses descriptions, sous la plume ailée de l’auteure. La charge émotive est forte. Lynda Dion a une manière de décrire ces dessins grossièrement esquissés qui en révèlent long sur son habileté à rendre une réalité par les mots.

Vous saurez tout, vous verrez tout, vous creuserez tout ce qui est visible du corps : comment l’habiller, comment le camoufler, comment l’exulter. La relation à la nourriture y est bien sûr abordée, en monologue ou avec un psy. Comment être aussi consciente de son apparence, en fouiller les tréfonds, sans s’accompagner de voix thérapeutiques pour tenter de calmer la souffrance. Tenter de comprendre pourquoi la plénitude se vit en mangeant ou buvant tout son saoul.

Un rêve récurrent nous est raconté. L’auteure se retrouve avec des roches dans la bouche. Je m’y suis arrêté et je l’ai interprété à mon gré. L’auteure n’est pas tendre à son égard, elle ne manque pas une occasion de se dénigrer. J’ai prêté aux roches le sens des mots. Une quantité de mots durs, s’entrechoquant sur les dents, ça peut être lourd et nous amener au fond des eaux troubles. Jusqu’à se caller, s’enfoncer, se noyer.  

Chez Lynda Dion, la souffrance apprivoisée est de plus en plus bien exprimée.

Roux clair naturel de Fanie Demeule

Le club select des roux. Des « vrais » roux, ceux qui naissent avec une tête flamboyante à la Fifi Brindacier. La narratrice n’est pas assez rousse, ses cheveux sont d’un châtain douteux. Une couleur dans un entre-deux, une chevelure baignant dans les limbes. Comment peut-on avoir du caractère avec une couleur aussi terne et tiède se torture cette jeune fille à l’aube d’une vie amoureuse active.

Une solution à son problème cuisant se trouve sur les tablettes des pharmacies : une boite de teinture. Elle se lance et entame le processus, malgré le désaccord de sa mère qui la met en garde devant cette accoutumance qu’elle considère de l’esclavage. En plus, c’est faussé la donne, elle n’est pas rousse, point à la ligne.

Sa relation amoureuse repose sur l’amour de son chum pour les rousses. Il est coi d’admiration devant cette couleur rare. Pour lui, les rousses font partie d’une race pure. Au départ, lors des fréquentations, le subterfuge de la couleur se déroule assez bien, mais lorsque l’évolution de la relation implique la cohabitation, les choses se compliquent.

Toutes les astuces que celle-ci déploiera pour cacher la réalité sont époustouflantes. On finit presque par oublier qu’il n’est question que d’une couleur de cheveux ici. Ça devient une question de vie ou de mort.

Comme le fil de l’histoire est mince comme un cheveu, beaucoup de l’intérêt repose sur la forme. Heureusement, le style est non seulement habile, alerte et audacieux, mais le rythme en est soutenu.

Jusqu’à quel point une question de couleur de cheveux peut devenir aussi vitale que la transplantation d’un rein? À réfléchir dans ce monde où l’apparence règne en maître.

La page manquante de Valérie Langlois

Se réveiller du coma, ce n’est pas comme se réveiller d’une bonne nuit de sommeil réparateur, Valérie Langlois en sait quelque chose. Un œil qui s’ouvre, tandis que tout le corps reste prisonnier de son immobilité. Apprendre que le Destin t’a choisie pour te donner une inflammation du cerveau. L’apprendre de la bouche de ta mère à tes chevets depuis des semaines, ou des lunes, c’est le même temps lorsque ton corps prend une pause indéfinie.

Habilement, l’auteure nous ramène en arrière : de quelles manières a commencé ce cauchemar? On entre dans la vie de l’auteure par la porte de l’amour ouverte sur un beau jeune homme, Édouard. « Veut-il s’engager? » est la question à 100 piastres. Et celle à 1 000 piastres : « Voudra-t-il s’engager? » si le corps de l’amoureuse est en redémarrage complet. Réapprendre à marcher, manger, parler, aimer, ce n’est pas une mince affaire, encore moins quand il est question du corps d’une mère de deux fillettes qui misent sur sa solidité pour croître en sagesse.

L’intrigue médicale est intéressante avec ses tâtonnements d’usage avant de connaître la cause des ratés. Permettez-moi cette acrobatie langagière : le cerveau a le dos large dans le milieu médical. L’intrigue amoureuse est forte dans la première partie de l’ouvrage, mais lorsque commence la réadaptation, elle se dilue, puis reprend vie. L’intrigue familiale, elle, traverse le roman de part en part, avec les enfants, les grands-parents, l’ex, tout le branle-bas de combat d’une famille dont il manque un membre durant trop longtemps.  

Ne pas avoir déjà lu quelques romans traitant de réadaptation complète, j’aurais probablement apprécié encore plus. Le récit est solide, on s’attache à la narratrice, on fait des efforts en même temps qu’elle. Roman qui ramène le regard à la base même de la Vie : l’autonomie. 

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