La beauté et le chat

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Je vis avec un chat. Ou plutôt, la version féminine est parmi nous (la pognez-vous?). Je ne sais plus trop, avec le temps, qui tolère l’autre dans cet espace partagé où le silence est roi et le regard, une langue à part entière. Elle est là, souvent, allongée sur le rebord de la fenêtre, comme une sculpture offerte au soleil, et je la regarde, fasciné. Elle ne fait rien, et pourtant, elle est tout. C’est peut-être cela, la beauté.

Je crois que les chats ne cherchent pas à être beaux. Ils le sont, tout simplement, sans effort, sans prétention. Ils n’ont pas besoin de miroir. Leur élégance n’a rien à prouver. Ils existent, ils respirent, ils traversent la pièce comme une idée. Et cette idée, c’est souvent celle de la grâce. Une forme d’intelligence tranquille, ancrée dans le corps.

Moi, je suis un humain. Je pense beaucoup trop. Je me regarde trop souvent dans le miroir, à la recherche d’un éclat dans l’œil, d’un soupçon d’assurance, ou d’un accord fragile entre ce que je montre et ce que je suis. J’ai appris à douter, à me justifier, à corriger mes gestes. Le chat, lui, n’apprend pas cela. Il est. Et son être n’est jamais désavoué par l’ombre de la honte.

Une vie sans remords

Il y a quelque chose d’injuste, parfois, à observer cette chatte. Comme si sa paix intérieure me renvoyait à mon agitation. Sa tranquillité me provoque, doucement, comme une griffe silencieuse. Elle dort sans remords, en boule, les pattes repliées comme une promesse tenue avec soi-même. Elle s’abandonne au sommeil avec une confiance insolente, celle que je n’ai jamais su apprivoiser. Moi, je ferme les yeux avec des listes dans la tête, des calculs, des scénarios, des regrets. Mon corps est tendu, même en repos, comme s’il craignait encore de ne pas suffire, même allongé. Elle mange quand elle a faim, sans se demander si c’est trop, sans se punir d’avoir cédé à l’envie. Moi, je mâche avec des questions dans ma tête. Avec des jugements. Avec des voix lointaines qui ont laissé en moi des règles absurdes.

Elle s’étire sans raison, pour le simple plaisir de sentir ses muscles s’éveiller, alors que, moi, je m’excuse de trop parler, de trop être, ou de ne pas l’être assez. Elle se retire dans un coin, là où la lumière chauffe le bois ou la céramique, et elle y reste des heures, habitée par la simplicité de l’instant. J’ai du mal à rester. Le silence me fait peur. L’immobilité me rappelle ce que je fuis.

L’indifférence féline, mais avec de l’éducation

Et pourtant, dans son indifférence, elle m’éduque. Elle m’apprend la lenteur, le retrait, la présence pleine. Chaque mouvement est une leçon muette. Elle ne me regarde pas pour me plaire, ne se blottit pas contre moi pour me consoler — et c’est précisément cela qui me touche. Ce n’est jamais un geste pour obtenir quelque chose. C’est un geste pour être. Elle me rappelle que la beauté ne se crie pas, qu’elle n’a pas besoin d’être validée, applaudie, partagée. Elle n’est pas une construction fragile qu’on expose pour recevoir une approbation. Elle est dans la courbe du dos qui s’étire à l’aube, dans l’ombre du poil qui se lisse, dans l’économie des gestes. Elle est dans la respiration régulière d’un être qui ne doute pas de sa place.

Je la regarde s’installer, choisir avec soin l’endroit exact où la lumière est la plus douce, où le coussin est tiède, et je l’envie. Moi, je cherche sans cesse l’endroit juste : dans les relations, dans le travail, dans mes pensées. Je me débats avec les possibilités, les doutes, les contradictions. Elle, elle choisit, elle s’y dépose. Et elle reste. Ce n’est jamais spectaculaire. C’est toujours essentiel. La beauté qu’elle incarne est une forme de vérité : discrète, durable, enracinée dans l’instant. Une beauté sans vanité. Peut-être même sans conscience. Et c’est cette absence de regard sur soi, justement, qui fait toute la différence.

Je me demande parfois si la chatte comprend ce que je suis. Mes hésitations, mes absences, mes élans absurdes vers des choses qu’elle ne peut nommer. Elle me regarde parfois comme on regarde un animal étrange : bruyant, désordonné, incapable de rester immobile plus de cinq minutes. Mais elle demeure. C’est peut-être sa forme d’amour. Une fidélité sans chaînes, une présence qui ne cherche pas à réparer, juste à être là.

La banquière du geste

Je crois que la psychologie féline repose sur une économie du geste. Rien n’est gaspillé. Pas un mouvement de trop. Elle piétonne, pas comme les marcheurs qui traversent le bitume de l’indifférence, mais plutôt pour faire sentir sa féline présence. D’ailleurs, chaque déplacement est une chorégraphie millimétrée, comme si elle répétait en secret pour un défilé de haute couture invisible. Sa démarche? Un mélange de noblesse silencieuse et d’arrogance douce. Même quand elle traverse la maison pour aller à sa litière, elle le fait avec une telle prestance qu’on dirait qu’elle va recevoir un prix. Et moi, pendant ce temps, je me prends les orteils dans le tapis.

Et si je traduisais cela dans ma propre vie? Si je cessais de courir après ce qui s’efface? Si je choisissais, comme elle, les endroits lumineux pour m’y déposer? Si je cultivais, moi aussi, une beauté silencieuse, née du repos, du regard juste, de la respiration pleine? Et si, pour une fois, au lieu de vouloir briller, je me contentais de rayonner doucement, comme une chatte assise dans un rayon de soleil, persuadée que le monde tourne juste assez bien… tant qu’on ne dérange pas son coussin?

La chatte ne m’explique rien. Elle n’a pas besoin de mots. Mais elle m’enseigne, chaque jour, qu’on peut habiter le monde sans chercher à le dominer. Qu’on peut traverser une pièce sans bruit et y laisser une empreinte. Qu’on peut aimer sans promesse, sans drame, juste par la constance d’une présence.

Alors j’apprends. Lentement. Je m’allonge un peu plus souvent. Je respire. J’observe la lumière qui glisse sur le mur. Et parfois, je crois que je deviens un peu chat. Que je touche, du bout des doigts, cette chose mystérieuse et tranquille qu’on appelle la beauté.

Bref, allez comprendre : moi, je lis des livres de pleine conscience. Elle, elle s’endort dessus. Et c’est toujours elle qui a l’air le plus zen.

Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard

P.S. Comme je ferai le pacha en juillet, on se reparle à la mi-août (s’cusez-là!)

Tant qu’à y être

The New Yorker: l’humour des chats — Jean-Loup Chiflet — Édition ARENES — Les chats ont-ils le sens de l’humour? Depuis 1925, le New Yorker est « LA » référence du dessin d’humour. Le trait léger, décalé, parfois ravageur, de ses dessinateurs est célèbre dans le monde entier. Pour la première fois en français, 300 dessins pour découvrir, enfin, qui est vraiment votre chat (ou presque)…

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