*Il suffit parfois d’un simple sourire, d’un café fumant et d’un regard un peu trop insistant pour que la vie prenne une teinte nouvelle.*
Je ne sais pas exactement quand tout a commencé. Peut-être le matin où il m’a demandé si je voulais mon latté plus chaud que d’habitude. Ou celui où il m’a glissé un sourire complice en me voyant plonger le nez dans mon roman. Ce que je sais, c’est qu’à 58 ans, je ne m’attendais pas à être troublée par un barista de trente-six.

Je m’appelle Claudine. Traductrice à mon compte, je travaille presque toujours dans le même café de quartier, mon petit bureau ambulant. J’aime la musique douce, le parfum du café torréfié, les conversations qui se mêlent sans vraiment déranger. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Émile. Ses bras tatoués, son rire facile, son regard franc… Tout chez lui respirait la jeunesse, la confiance, l’instant présent.
Au début, ce n’était que de la politesse. Puis il s’est mis à retenir ma commande, à commenter mes lectures, à me taquiner sur ma manie d’ajouter de la cannelle à tout. Une fois, il m’a demandé si je venais écrire un roman d’amour. J’ai ri, un peu trop fort peut-être. Il ne savait pas à quel point le mot « amour » me paraissait lointain.
Les semaines ont passé. Je choisissais ma table près du comptoir, « par hasard ». Un matin de pluie, il m’a proposé de m’abriter sous son parapluie pour traverser la rue. Il m’a invitée à une lecture de poésie le jeudi suivant. J’ai hésité. Puis j’y suis allée.

Je me souviens de la lumière tamisée, de la voix du lecteur, et du regard d’Émile posé sur moi. Pas avec curiosité ou amusement, mais avec une douceur qui m’a fait frissonner. Il ne voyait pas la femme de 58 ans, il voyait *moi*. J’ai compris que le désir n’a pas d’âge, qu’il sommeille parfois, attendant qu’on ose simplement ouvrir la porte.
Nous ne sommes pas devenus un couple. Nos vies étaient trop différentes. Mais cette parenthèse m’a redonné quelque chose que je croyais perdu : la légèreté. Le plaisir d’être vue, d’être choisie, d’exister autrement qu’à travers les rides qu’on compte dans le miroir.
Aujourd’hui encore, quand je passe devant ce café, je souris. Parce que c’est là que j’ai appris qu’il n’est jamais trop tard pour ressentir ce petit battement d’aile au creux du ventre — celui qui rappelle que la vie, parfois, a encore envie de nous surprendre.
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