Cette année-là, je n’étais pas allée lui rendre visite pour la fête des Mères. J’étais enceinte jusqu’aux oreilles et préférait ne plus faire la route Mtl-Québec. Alors que ma date d’accouchement était prévue autour du 28 mai, j’ai reçu un coup de téléphone de mon père la nuit du 24 au 25. « Ta mère ne respire plus », me dit-il. Il avait appuyé sur le mauvais bouton programmé à mon numéro à la place de celui de ma sœur aînée qui habitait tout près. Elle m’a appelé quelques minutes plus tard pour me dire que maman était en route pour l’hôpital et qu’elle lui avait parlé. Ouf ! Mais ce n’était que pour retarder l’annonce de la mauvaise nouvelle une fois rendue à l’hôpital. Comment apprendre à sa sœur sur le point d’accoucher de son premier bébé que le pouls de sa mère n’est plus au rendez-vous ?
Maman n’avait que 66 ans et était en pleine forme.
Sœur cadette aux États-Unis et frère aîné en Ontario, leur présence à Québec a précipité les funérailles auxquelles je n’ai pas pu assister. Après consultation de mon médecin me confirmant que mon col n’était pas encore effacé et que je n’étais pas dilatée d’une parcelle d’un centimètre, il m’a spécifié qu’il n’était pas rare que ça se passe très vite, surtout avec des émotions intenses. Il s’est permis d’ajouter en regardant mon chum, que « perdre ses eaux en route, ça te magane un banc de char ».
Ce fut la décision la plus difficile à prendre de toute ma vie. Vais-je à Québec et risquer d’accoucher sur la 20 ? J’ai même tenté de louer un hélicoptère, mais aucune compagnie n’était assurée pour une grossesse aussi avancée. J’ai pris cette décision en me demandant ce que maman m’aurait conseillé. Je l’ai entendu me dire : « qu’est-ce que ça va changer, je suis morte. Occupe-toi de ton petit bébé pour qu’il naisse dans les meilleures conditions et ramène-le dans son lit pour sa première nuit ».
Mes bonnes amies avaient eu l’idée de m’emmener à l’église vide de ma banlieue, à l’heure exacte où avait lieu les funérailles de maman. Ma petite sœur me faisait un compte-rendu, en direct au téléphone. Il n’y avait malheureusement pas le FaceTimeen 1996. Je m’en souviendrai toute ma vie. Alors que l’on tentait de se recueillir, un groupe d’enfants est entré pour je ne sais trop quelle raison. J’ai senti cela comme un signe de ma mère qui ne voulait pas que je sois triste alors que je m’apprêtais à vivre le moment le plus important et le plus heureux de ma vie : donner naissance.
Encore aujourd’hui, vingt-deux ans plus tard, je regrette toujours de ne pas avoir roulé les 250 km qui me séparaient d’elle, surtout que j’ai finalement accouché une semaine en retard : césarienne en catastrophe après seize heures de travail intense parce le cœur de poulet #1 était en détresse.
J’aurais voulu assister aux funérailles pour voir tous ces gens présents parce qu’elle avait été une personne significative pour eux. Tout le monde aimait maman! J’ai manqué les témoignages de toutes ces personnes qui l’avaient fréquentée à différentes périodes de sa vie.
Ces rites de passage sont extrêmement importants et je l’ai appris à mes dépends.
Son sac était prêt. Elle attendait mon appel pour venir nous prêter main-forte à mon chum et moi, à l’arrivée de notre premier bébé. Perdre sa mère et devenir mère pour la première fois est un sentiment extrêmement paradoxal, voire même violent. Pour se protéger, on ne peut pas faire autrement que de vivre dans une certaine bulle, une bulle où rien d’autre n’existe que l’arrivée de notre poupon. Mais le deuil doit être fait, et il finit inévitablement par nous rattraper.
Mes garçons n’auront jamais connu cette belle dame solide qui dissimulait toujours ses inquiétudes. Cette femme qui espérait voir ses enfants bien matchésparce que ça n’avait pas été son cas.
J’aurais tellement aimé que mes poulets la connaissent, qu’elle les prenne un week-end de temps en temps, qu’ils mangent son macaroni tomates-fromage, son rosbif du dimanche et ses tartes au sucre. J’aurais été émue qu’elle porte sa main caressante sur leur dos pour les réconforter comme elle le faisait avec moi ou qu’elle rit de bon cœur à leurs insolences.
J’aurais été si fière qu’elle lise mes livres. La grand-mère extraordinaire de mon dernier roman porte son prénom et a eu une vie que maman aurait appréciée, je pense…
Je ne suis pas croyante, mais je me dis que les âmes sont sûrement recyclables. Je suis née neuf mois après la mort de ma grand-mère maternelle et mon premier fils est né quelques jours après le départ subit de maman. De bonnes âmes ne peuvent pas disparaître comme ça. Elles doivent poursuivre leur distribution de bonté. Alors je crois au recyclage des âmes ?
Avec des enfants devenus adultes, je ne peux m’empêcher de penser à ma mère quand une inquiétude maternelle m’assaille. Toutes ces fois où je voyais sa lampe de chevet s’éteindre alors que j’entrais à la maison à quatre heures du matin. La fois où je lui ai annoncé que je partais pour Toronto apprendre l’anglais, ensuite travailler en Gaspésie pour finalement faire mon nid à Montréal et ne jamais revenir. Toutes ces fois où elle n’a pas voulu me montrer combien elle s’inquiétait pour ne pas brimer ma liberté. Sincèrement, je ne suis pas bonne comme elle. J’ai beaucoup plus de difficulté à dissimuler mes angoisses à mes poulets. J’y travaille…
Mes hommages, maman
3 Responses
C est tellement touchant ma. Belle Maryse, bravo pour ce partage. Bonne fête des mères.xx
Touchant Maryse!! Je me souviens de cette période comme si c’était hier!! Magnifique texte!
Vraiment émouvant!!!:)