Avez-vous remarqué une différence entre les écritures de femmes et celles des hommes? Je serais intéressée de connaître votre réponse. Je vais vous donner la mienne : oui, j’y vois une différence, dans le choix des thèmes, dans le style, même dans les personnages. Entendons-nous, je ne suis pas mûre pour rédiger une thèse sur cette différence, loin de là. Le sujet m’apparaît trop instinctif et variable. Autrement dit, je n’en fais pas une question scientifique, démontrable et prouvable. En général, les autrices abordent l’émotion de front et approfondissent la psychologie des personnages. Les thèmes m’interpellent comme du connu tandis que l’attrait des écritures d’hommes est de m’éduquer sur des sujets qui, de prime abord, ne m’attiraient pas. On peut aussi se dire « qu’importe » le masculin ou le féminin. C’est vrai, c’est à peu près mon état d’esprit. Par contre, j’avoue qu’entre deux romans qui me tentent également, je vais choisir l’autrice. Est-ce pour cela que ce mois-ci j’ai lu trois autrices?
La géographie du bonheur de Véronique Marcotte
Quel beau titre, n’est-ce pas? Il m’a immédiatement attiré. Comme si on allait me donner l’itinéraire pour me rendre à l’état de bonheur tant convoité.
D’emblée, on apprend que Marine, atteinte de sclérose latérale amyotrophique, en a que pour quelque temps sur la terre. Pourquoi étirer ses souffrances? Elle réclame à son amoureux de mettre fin à ses douleurs. Va-t-on entraîner le lecteur dans la tourmente de la culpabilité et du deuil? Non. La mort consentie et désirée de Marine nous lance sur le pied de l’action, des solutions, de la découverte. Cette Marine cachait à son amoureux un pan de sa vie vécu en Haïti. Il n’en faut pas plus pour partir en voyage vers l’inconnu. L’amoureux, de descendance haïtienne, n’a jamais mis les pieds sur sa terre d’origine. Heureusement, il y a une voisine qui veille au bien-être de cet homme traumatisé par ses découvertes sur sa femme. S’il y a une géographie, c’est celle des strates qu’il détachera une à une, en creusant la vie de sa bien-aimée. Vous n’avez pas encore visité Port-au-Prince, Jacmel, Kabik? C’est le temps ou jamais de déambuler dans les rues d’Haïti. Vous ne serez pas accueilli comme un touriste, mais comme un être qui y vit de l’intérieur. Sur les terres de la perle des Antilles, on découvre des pans inconnus de l’histoire de Marine. On ira à la rencontre de l’écrivaine en résidence d’écriture : Véronique Marcotte. On ira de découverte en découverte pour chacun des personnages. Les actions se présentant en tête échevelée, on tentera d’y passer le peigne fin. Un récit loin d’être linéaire et ennuyeux, l’autrice nous envoie de gauche à droite sans nous étourdir, plutôt en nous faisant réfléchir. L’émotion se boit d’une traite, cul sec.
Pour qui je me prends de Lori Saint-Martin
Un récit sur les langues. Présenté ainsi, plusieurs passeraient à côté de ce trésor de renseignements, de confidences, de révélations sur notre langue maternelle versus la langue apprise. Comme c’est l’histoire de Lori Saint-Martin, aussi bien mieux la connaître. C’est une autrice, une traductrice, une enseignante, une chercheuse née à Kitchener, Ontario. Depuis son jeune âge, elle s’interroge sur le bien-être éprouvé avec une langue, appelons ça, les affinités. Vous êtes vous déjà imaginé qu’une anglophone peut se sentir à l’étroit ou pire, pas elle-même avec sa langue maternelle ? Eh bien, c’est ce qui arrive à l’autrice de ce récit qui va jusqu’à changer de nom de famille, en prenant un à la consonance francophone, pour se sentir mieux dans sa peau. À l’âge de neuf ans, elle a un premier contact avec la langue française à l’école. C’est un choc. Ce choc amoureux se transformera en un but clair et précis : l’apprendre comme si c’était sa langue maternelle. Quelle ambition, n’est-ce pas? Cette ambition la portera jusqu’au Québec, à Montréal, cette ville théoriquement bilingue. Elle n’en restera pas là, elle approfondira plus tard la langue espagnole qui occupera la troisième place, mais qu’elle n’osera jamais étiqueter de « langue maternelle ».
Ce récit peut aussi être vu comme un éloge à la langue française. Tout est en place pour cet hommage. Ce qui est particulier dans ce récit est cette conviction : l’on change de mentalité lorsque l’on change de langue. C’est inéluctable pour l’autrice. « Je pense, donc je suis », étendons l’adage à « Je parle le français, je suis Français ». J’ajouterais une condition, si la motivation de l’apprentissage est l’amour et non l’obligation. Tomber en amour d’une langue pour la vivre, non pas uniquement la maîtriser.
Il préférait les brûler de Rose-Aimée Automne T. Morin
C’est une première pour moi. Lire de la même autrice « Ton absence m’appartient » qui traite du poids du père dans l’éducation de sa fille et trouver que le sujet n’a pas suffisamment été exploité. Et que mes vœux s’exaucent avec « Il préférait les brûler » qui accule le thème dans ses derniers retranchements.
Au départ, j’avais une légère appréhension; y aurait-il des répétitions? Allais-je m’ennuyer? Oh que non! Avant tout, qu’importe le sujet, on dirait bien que cette autrice a le doigté pour peaufiner un objet littéraire. Elle a le tour! Rien n’est banal, son sens de la concision et du mot juste nous comble presque à chaque ligne. Le sujet central, le plus consistant et le plus singulier, est son éducation par son père, lequel est condamné à quitter cette terre à n’importe quel moment. Ce n’est pas banal. L’enfant vit sur du temps emprunté, elle est sur les dents, ne peut jamais dire « papa, on se reprendra à un autre moment », car elle ne sait jamais si « cet autre moment » surviendra. Ça change l’état bienheureux de l’enfance qui doit être cette bulle insouciante se tenant à l’extrémité de la mort.
Cette fois, en comparant avec Ton absence m’appartient, la relation entre le père et la fille est exposée sur une longue période, on comprend mieux la position de l’enfant et du père. Ce dernier s’est donné un but : en peu de temps, donner tous les atouts pour que sa fille puisse être une femme forte lorsqu’il quittera cette Terre. Dans le premier opus, Rose-Aimée Automne T. Morin a présenté son éducation comme si elle était un cobaye, tandis que sous ce titre cette éducation se présente comme allant de soi pour un homme condamné à mourir bientôt. Et puis, nous avons l’ensemble de l’éducation, car cette jeune fille a une mère après tout. Et même une tante! Nous faisons la découverte du contexte de son éducation, les allers-retours de la garde partagée, ce qui par contraste donne encore plus de bizarrerie à la relation intime entre le père et sa fille. Attention, il n’est pas pour autant question d’inceste, l’intimité provient du fait qu’il forme un couple, atypique, mais tout de même un couple.
Évidemment qu’avec une famille aussi atypique, l’anxiété de performance rôde à mesure que cette jeune fille grandit. Une travailleuse sociale la suit de loin, mais cet enfant n’est pas facile à aider. Trop performante justement. Un beau cas! Et surtout, un roman riche en pistes de réflexion!