J’ai entre les mains un trio de trésors féminins. Je vais en parler en suivant l’ordre chronologique de mes lectures. Le premier est Ouvrir son cœur d’Alexie Morin. Ce titre, je serais certainement passé à côté si ça n’avait été du Prix des libraires décerné en 2019. Ce prix m’intrigue toujours autant. Un comité de libraires, ces grands lecteurs devant l’éternel, choisit un titre parmi sûrement une centaine. On rit pu. Le deuxième titre, je l’ai choisi non tant pour le sujet abordé que pour l’auteure Rima Elkouri, mieux connue comme chroniqueuse à La Presse. C’est son premier roman et ceux qui me connaissent savent combien j’aime encourager les premières œuvres. La chroniqueuse y parle de sa grand-mère. Le dernier, et non le moindre, je parle d’Habiller le cœur de Michèle Plomer qui aborde le surprenant personnage qu’est une mère de 70 ans qui a été se ficher dans le Grand Nord à sa non-retraite.
Ouvrir son cœur d’Alexie Morin
Roman qui sort de l’ordinaire, ce que j’avance d’emblée. Pourtant, il pourrait sembler banal : une jeune fille, se trouvant poche physiquement et psychologiquement, nous ouvre son cœur page après page. D’après elle, elle n’est pas à la hauteur avec ses yeux croches et myopes. Elle se tient loin des autres, se sentant différente. Sous le charme d’une petite fille très malade, elle veut en faire son amie exclusive, mais cette dernière aime la compagnie de plus d’une personne. S’en suivent de grandes déceptions pour son petit âge. Elle se trouve des atomes crochus avec la petite condamnée, celle-ci se faisant régulièrement opérer. Elle aussi se fera opérer, dans son cas, l’œil, ce qui la rapprochera – est-ce dieu possible! – encore plus de son amie fusionnelle. Je le répète, le propos n’est pas exceptionnel en soi, ce qu’il l’est est la manière de déballer cette enfance, cette adolescence perturbée. On y rencontre ce que l’auteure nomme de la honte. Oui, de la honte, précise-t-elle sur la quatrième de couverture. Est-ce cette émotion que j’ai débusquée dès qu’on s’écartait de la surface lisse (c’est-à-dire souvent) et que l’on se mettait à creuser? Je ne sais pas si j’aurais identifié cette émotion comme étant de la « honte », mais je l’aurais certainement nommée : aveu poussé, confession bouleversante, dénuement complet. Il n’y a aucune demi-mesure dans ce récit poignant. Le « moi » y est déballé tout entier, sans failles ni pudeur. Tout y est captivant, terrassant, bouleversant. Tout se tremble, se remue, se secoue, surtout les assisses du moi. L’inconscient d’Alexie Morin est à fleur de peau et elle a su le laisser remonter à fleur de stylo. Elle nous invite à nicher avec elle dans son moi intime, pour rencontrer une honte qui s’y terre et s’en suit un roman qui m’a chamboulé.
Manam de Rima Elkouri
L’auteure chroniqueuse est connue pour sa main de fer dans un gant de velours. Sa délicatesse de dire, sa lucidité de penser, je voulais les rencontrer dans ce roman qui creuse la vie de sa grand-mère morte à 107 ans ici au Québec. Son héritage est arménien, lequel peuple a vécu un génocide dont on parle rarement, sinon jamais. Rima Elkouri a opté pour se donner un alter ego, Léa, une institutrice. À mon avis, il n’était pas nécessaire qu’elle se déguise, le moi de la chroniqueuse est si fort et si connu que le personnage d’enseignante m’est apparu esquissé et même, disons-le, emprunté. Dommage, mais loin d’être dramatique puisque le lecteur a tous les droits, dont celui de continuer de suivre Rima Elkouri au lieu de Léa l’institutrice, jusqu’aux confins de la Turquie et de la Syrie, dans le village de Manam.
L’auteure désire réveiller la mémoire collective qui dort et se tait. Elle entreprend son pèlerinage prudemment, en engageant un guide qui prendra une place importante dans l’histoire. Il ouvrira des portes, ne les refermera pas toujours. Chose certaine, la quête de l’auteure sera résolue en partie, certains silences de son aïeule seront remplacés par des mots pesés et, surtout, pesants. Le plus lourd mène au mutisme devant les traces floues laissées par le génocide. L’extermination d’un groupe ethnique, personne ne s’en vante. Pour veiller sur la flamme de l’espoir, sa grand-maman a tenu sous silence les atrocités qu’elle a vécues. Sa petite-fille a tenu à présenter au public cet ouvrage qui témoigne et dénonce, tout en n’écorchant pas la pierre brute et précieuse de l’espoir. Rien n’est noir et elle a misé sur le caractère tendre de sa grand-maman, sa fermeté, son engagement. J’ai aimé cette couleur maternelle donnée au récit. Cette lecture remplit notre cœur de compassion pour les Arméniens que je vois maintenant comme des personnes plus que précieuses.
Habiller le cœur de Michèle Plomer
Je suis de près Michèle Plomer, nos affinités sont indéniables. J’attends toujours son petit dernier comme un cadeau. Je le lis comme s’il s’adressait un peu à moi, juste à moi. J’avoue aussi que je relis certaines phrases plus d’une fois pour être certaine de bien saisir tous les tenants et aboutissants. Plus j’aime, plus je deviens scrutatrice.
Ce roman est tendre, ne serait-ce que parce qu’il tend vers une personne : la mère de l’auteure. Tout le monde sait que la tête d’une maman est constamment remplie de questions : est-ce que mon enfant va bien, est-il en sécurité, fait-il de bons choix? Tout le monde le sait, mais est-ce que l’on sait tout autant combien la tête d’une fille peut se remplir des mêmes questions?
La mère de l’auteure, surnommée Moe, compte soixante-dix ans à son actif. Comme son âge le suppose, elle est à la retraite, mais pas pour longtemps puisqu’elle a pris la décision d’aller travailler dans le Grand Nord, non pas pour se prélasser, mais pour y travailler comme intervenante en chef dans un milieu jeunesse. Quel choc pour la fille qui retirait sa tranquillité d’esprit de savoir sa mère à l’abri des soubresauts de l’existence! Il est assez rigolo de voir les rôles inversés, la fille s’inquiétant pour la mère au lieu du contraire. L’auteure a pris l’option de nous amener sur les chemins fréquentables de l’humour pour nous raconter ses attentes fébriles, lorsque la septuagénaire prend le parti de se taire à la suite d’une de ses frasques.
La relation mère-fille est le cœur du roman, quoique le Grand Nord et son peuple agissent comme des piliers. La fille résidant dans un complexe de tours à logement à Côte-des-Neiges nourrit le contraste face à l’infinitude des espaces nordiques. La fille se tracasse (froideur) pendant que la mère s’amuse (chaleur), l’insouciance versus la préoccupation nous envoie dans les extrêmes.
Une autre quête de la mère, outre celle de se sentir vivante, est le projet de trouver le parfait parka. Vous savez ce genre de manteau léger comme des plumes et qui se détaille de dentelles inuites? Cette confection est un art. On le saura.
Bienvenus à tous les lecteurs qui connaissent peu la contrée nordique, car, mine de rien, on noue de près avec les us et coutumes qui, à nos yeux, peuvent apparaître des plus originaux. Moe est si ouverte qu’elle est prête à tout expérimenter, même croquer dans du phoque gelé et cru. Partez à la rencontre de cette femme forte et dense et, surtout, avant de quitter le quai de vos attentes, habillez-vous le cœur au chaud!