Je suis contente, ce mois-ci, j’ai pour vous trois titres consistants et enlevants. Dieu du ciel, que l’on aime les pavés (grand et épais format), lorsque l’histoire nous tient en haleine! C’est le cas pour les trois, à quelques nuances près. Je les ai dévorés, et le mot n’est pas trop fort. Dents gourmandes, prenez des notes!
La route du lilas d’Éric Dupont – Éditions Marchand de feuilles
Roman à plusieurs ramifications, autrement dit, plusieurs histoires en une. Ce roman est tellement touffu qu’il demeure difficile à englober pour analyse. En mal de l’histoire du lilas, je me suis accrochée à la route parcourue par trois femmes qui partagent, chemin faisant, leurs histoires personnelles. Et pas n’importe quelles histoires! Des histoires d’amour, sous toutes ses formes (amour filial inclus), avec des revirements imprévisibles. De par cette vaste fresque, on trouve un point commun : le Brésil. Le pays y joue un rôle à part entière, surtout lors de la consistante histoire de Léopoldine, première impératrice, celle-là même qui a manigancé pour obtenir l’indépendance du pays. À ses risques et périls, disons-le. Plusieurs femmes prenant place dans ces diverses histoires ont eu la vie dure et la cause prend sa source dans la violence des hommes (mâles). Déplorable à dire, mais cela reflète une réalité, particulièrement au Brésil, mais partout ailleurs également (#metoo).
J’ai adoré l’idée de continuellement revenir à la route du lilas, comme si elle était la colonne vertébrale du corps du livre. Entendre parler du lilas dans toute sa diversité adoucit les mœurs. Je vous assure que vous en saurez plus long sur cette plante printanière en suivant sa route d’éclosion, littéralement parlant. C’est avec Pia, dame excentrique au début de la soixantaine que vous passerez le plus de temps. Ses histoires sont tumultueuses et preuve en est qu’elle doit traverser la frontière en catimini. Quand nous arrivons au Québec, au départ à Montréal, ensuite on se dirige en Gaspésie, le ton et le style changent quelque peu. Probablement qu’aboutir dans la modernité a eu une incidence sur l’écriture de l’auteur. Je me permets de déclarer que j’ai préféré les premiers trois quarts du bouquin, car, à partir du moment où l’on quitte la route du lilas, il y a une espèce de magie qui s’évapore. À moins que ce soit tout bonnement mon regard qui, plongé dans du connu, a retenu le pratico-pratique. Je ne peux terminer ce commentaire de lecture sans vous parler de comptoirs de granit. Pour Éric Dupont, c’est de l’ordre de l’obsession. Cette planche de granit que l’on dépose lourdement sur nos comptoirs est assurément, à ses yeux, le symbole de notre bourgeoisie moderne. Dans la dernière partie, il y fait allusion abondamment, comme un leitmotiv.
Vous aimez les briques qui n’assomment pas, ce roman aux personnages féminins forts est pour vous.
Jeune femme aux cheveux dénouées de Denis Robitaille
L’amour de l’art pictural m’est toujours apparu précieux autant que mystérieux. Si j’ai un jour rêvé d’une fiction qui cernerait l’art et ses toiles de grands maitres, j’aurais trouvé ce roman pour me combler. De la première à la dernière ligne, on m’a entretenu d’œuvres réputées, de vieilles croûtes ou de raretés, mais inlassablement le regard revenait à l’essentiel : la pertinence de l’art pictural dans nos vies.
Denis Robitaille s’attarde au regard d’un courtier en art, Jean Meunier qui, lorsqu’il vise une œuvre, la met à nu. En transit à Montréal, ce réputé courtier s’attache à une jeune galeriste, Anne, qui tombe sous le charme suranné de cet homme qui transporte un lourd secret. L’histoire tourne autour de cet homme talentueux que nous rencontrerons dès sa jeunesse où, son œil expert savait trier le faux du vrai ou repérer l’émotion brute d’une toile. Un pan du roman se déroule durant la Deuxième Guerre où les nazis ont occupé Paris et dépoché les juifs de leurs richesses et, par conséquent, de leurs tableaux signés de grands maîtres.
Durant l’occupation, une histoire d’amour fleurira entre Jean Meunier et une jeune juive qu’il peignit dans son atelier à même son logis. Je marche sur des œufs en parlant de cette histoire, car, pour rien au monde, je ne voudrais en dévoiler les tenants et aboutissants. Cette histoire d’amour, attendrissante au possible, traverse le roman et accompagne la toile « Jeune femme aux cheveux dénoués ».
Même avec son enquête en filigrane, ou ses apartés politiques dans ce Québec de fin des années soixante-dix, c’est l’appréciation de l’art et de l’honnêteté qui a prévalu, et cela pour mon plus grand plaisir.
Le crime de soeur Marie-Hosanna de Claire Bergeron
Voici un suspense de bon aloi. Je ne suis nullement gênée de qualifier cette histoire de suspense, car ses rebondissements à répétition méritent amplement l’appellation. J’ai dû stopper mes activités pour avaler les presque 500 pages, tellement j’étais secouée pour l’héroïne, Ophélie. Cette jeune au caractère bien trempé est née d’une mère aimante et d’un père tyrannique. On la rencontre pour la première fois la journée de ses 10 ans où elle reçoit un cadeau : un petit frère, Félix, qui vient à peine de sortir des entrailles de sa mère Agnès.
Il y a bien des manières de maltraiter un enfant, mais la manière la plus efficace est en ne l’aimant pas. Son père Aristide, juge de profession est un être abject qui tient les rênes du ménage sans l’once d’une tendresse, et surtout pas à l’égard de sa fille qu’il a prise en grippe. Deux seules personnes ont réussi à l’amadouer; son héritier, le jeune Félix et sa maîtresse, Irma, une tenancière de bordel. Pour cet homme, les femmes ont une seule valeur, celle de servir l’homme. Sa femme, une comédienne a abandonné sa carrière pour se consacrer au foyer, mais devant un homme aussi froid, elle s’est réfugiée dans les bras du demi-frère de son mari, Rémi.
Des cachotteries, de lourds secrets, des accidents mortels, des disparitions, des réclusions, des accusations injustes, des héritages, vous ne serez pas à court d’émotions en lisant l’histoire de cette jeune fille qui deviendra religieuse par obligation. Quelques histoires d’amour parsèment le roman, vous pourrez également vous faire une idée des cloitres, des dispensaires en Abitibi, de la vie de domestique. La loi, la médecine, la religion, rajoutez à ces trois axes qui traversent cette abracadabrante histoire des touches théâtrales et musicales et vous obtenez une solide idée d’ensemble. Tout se tient, surtout si vous ne vous arrêtez pas aux détails. Obnubilée par les rebondissements et la force de mon désir que la vie donne le meilleur à Ophélie, je n’ai pas interrogé la pertinence du lot de découvertes surprenantes, surtout vers la fin. J’ai pris le tout comme étant plausible. Je reste cependant aux prises avec une question : est-ce qu’un être humain peut être aussi profondément mauvais?
Vous aimez les romans qui vous avalent d’une seule bouchée, quitte à mettre de côté votre vie une couple de jours? Ce roman vous attend.