Ça ressemblait au chant d’une cigale. Mais contrairement à celle de la célèbre fable de La Fontaine, la mienne ne chantait pas que l’été, mais en tout temps.
De mon plus lointain souvenir, cette sensation d’être prisonnière de moi-même en raison d’un bourdonnement incessant dans mon oreille gauche a toujours fait partie de ma vie. Je crois que, depuis ma naissance, je me suis inconsciemment adaptée à mon état pour fonctionner le plus « normalement » possible.
C’est le télétravail imposé par la pandémie qui m’a fait prendre conscience que le silence, le vrai, je ne l’avais jamais connu. Dans le calme de ma demeure, je me trouvais désormais isolée des bruits de mon quotidien de bureau (exit la sonnerie du téléphone, le fracas des portes qui ferment, les pas, la voix et les rires des collègues et le vrombissement du système de ventilation!). Mais voilà que je percevais en permanence un cillement, dont mon cerveau n’arrivait pas à se défaire, et qui drainait mon énergie et rendait pénible ma concentration.

Puis, de fil en aiguille, un enjeu d’audition s’est ajouté à ce son persistant. Mon fils a remarqué que je n’entendais pas les « bips » du frigo m’indiquant que j’avais laissé la porte ouverte. Et que je lui demandais souvent de me répéter ce qu’il venait de me dire. J’ai aussi observé que conduire est devenu pour moi une source de stress, puisque je ne parvenais pas à savoir d’où provenaient certains sons, comme les klaxons et les sirènes des véhicules d’urgence. J’avais peur pour ma sécurité, mais aussi pour celle des autres.
À la découverte des sons
À la fin de ma quarantaine, j’ai décidé de faire la lumière une fois pour toutes sur cette mystérieuse bestiole vivant dans mon oreille. Après une évaluation auditive qui a révélé un acouphène et une perte d’audition, j’ai choisi de recourir à des appareils auditifs. Ma sympathique audioprothésiste m’a alors mentionné que je ne pourrais plus me passer de ces « petites merveilles ». Et elle avait raison : elles ont complètement transformé ma vie!
C’est comme si la magie opérait à chaque moment, tel un nouveau-né découvrant le monde avec les sons environnants :
- En voiture, je suis tout étonnée d’entendre mes mains glisser sur le volant, les essuie-glaces en marche et les clignotants que j’active, en plus de la provenance des klaxons;
- Je suis fascinée par les craquements subtils d’un papier mouchoir ou d’un sac de plastique;
- Je suis sidérée de constater que je ne peux plus endurer les cliquetis de mon clavier et les clics de ma souris! J’ai dû m’en procurer des plus silencieux;
- Dans la nature, au bord de l’eau et à la plage, je perçois clairement le bruit des vagues, du vent qui souffle dans les branches et des feuilles qui tombent;
- J’entends des sons provenant de tous les étages de la maison : l’imprimante qui réclame du papier au sous-sol, mon chat descendant l’escalier et se dirigeant vers moi pour se blottir, mon ado qui marche vers le garde-manger ou le frigo;
- La mélomane en moi est comblée par une toute nouvelle expérience ambiophonique lors de l’écoute de sa musique ou en assistant à un concert;
- En bonus, je fais bénéficier les autres : le volume du téléviseur est au plus bas, je parle et rie moins fort, je ne fais pratiquement plus répéter mes interlocuteurs.
Entendre…
Même si je n’ai pas une baisse flagrante d’audition, j’ai l’impression d’être passée à côté de mon existence durant toutes ces années sans bien entendre, ou plutôt sans savoir que je n’entendais pas bien.

Pour réaliser tout ce que je manquerais si je ne portais plus mes appareils, je m’amuse sans cesse à les retirer et à les remettre pour comparer le « avant » et le « après ». Par exemple, au printemps, je m’installe sous un arbre. Sans mes appareils, j’entends à peine quelques piaillements et je ne peux trouver d’où ils proviennent. Avec mes appareils, une vraie symphonie retentit dans mes oreilles! J’entends des dizaines et des dizaines d’oiseaux chanter et je sais où ils se trouvent. Les oiseaux sont l’exemple parfait que les sons à haute fréquence me sont maintenant perceptibles.
Mieux comprendre
Je sais maintenant ce que mon père a pu ressentir lorsqu’il a obtenu ses premières prothèses auditives, dans la cinquantaine. Ayant exercé le métier d’opérateur de machinerie forestière à une époque où le port obligatoire des coquilles protectrices n’était pas instauré, papa a perdu l’ouïe de manière radicale. À partir du moment où il a eu accès à ses appareils auditifs, je l’ai vu devenir carrément un autre homme. Lui qui ne pouvait placer un mot lors d’une activité sociale, car indisposé par le bruit, entendait maintenant la totalité des discussions de ses interlocuteurs plutôt que des bribes ici et là. Il pouvait désormais se sentir partie prenante d’un groupe. Il est devenu plus sociable, joyeux, épanoui.
Papa a maintenant plus de 80 ans et il est très allumé! Sachant que la vie sociale est importante pour bien vieillir, je suis rassurée de savoir que ses appareils auront contribué à établir des liens et à améliorer ses relations interpersonnelles. Des études rapportent également que le port d’appareils auditifs préviendrait la démence, puisque le cerveau est toujours occupé à percevoir des sons et continue à faire des connexions. Et lorsqu’un acouphène est présent, le fait que le cerveau soit stimulé par une multitude de sons détourne son attention de ce son persistant pour se concentrer sur d’autres. C’est ce qui fait en sorte qu’on oublie presque l’existence de l’acouphène.
Un choix personnel
Ceci dit, le port d’appareils auditifs reste un choix personnel. En demandant à mon audiologiste si mon niveau de baisse d’audition nécessitait le port de prothèses auditives, elle m’a répondu que certains patients ayant une basse moins marquée que la mienne en portaient, alors que d’autres ayant une baisse plus importante que la mienne n’en portaient pas.
Pour ma part, si je le pouvais, je dormirais avec mes appareils pour éviter de retrouver cette impression d’être enfermée dans une boîte et que mon cerveau ne se concentre que sur mon acouphène. Je suis reconnaissante, remplie de gratitude, de pouvoir porter ces petits miracles. Comme le dit mon père, ces appareils sont un vrai cadeau.
Oui, je sais, j’ai une étape qui s’ajoute à ma routine du coucher. Le nettoyage et la recharge de mes appareils s’imposent à travers l’application de lotion tonique, de sérum, de crèmes pour peau de 50 ans et plus, le trempage de mes lentilles cornéennes et le lavage de ma plaque occlusale pour le grincement des dents. Mais aucun inconvénient ne battra ses avantages!
Une symphonie dans mes oreilles
Vous me direz (et avec raison!) qu’au prix qu’ils ont coûté, j’aurais pu m’offrir un beau voyage en Europe. Mais je considère que je vivrai jusqu’à ma mort une excursion dans un univers qui m’a été longtemps inconnu. Faisons le compte : si je vis jusqu’à 100 ans, j’aurai quand même passé près de la moitié de ma vie sans apprécier tous les sons du quotidien, toutes ses subtilités.

Chaque saison n’est plus la même depuis qu’ils sont entrés dans ma vie… Et davantage l’automne, car en plus de percevoir nettement le chant des grillons et des cigales (celui de VRAIES cigales, pas celles camouflées en acouphène!), j’entends maintenant les battements d’ailes accélérées des libellules puis l’envol des colibris et de mes belles outardes vers les pays du Sud.
Bref, je n’ai pas fini de m’émerveiller et de sourire! Je compte profiter au maximum de mes « nouvelles oreilles ».
Mon aventure ne fait que commencer. Cette symphonie dans mes oreilles ne sera jamais terminée.
C’est ma Symphonie infinie, rien qu’à moi.
Dates importantes
13 mars 2025 : Journée nationale de l’audition
Mai 2025 : mois de l’audition. Surveillez les diverses activités de sensibilisation (pour avoir une idée des activités, voici celles de 2024 de l’organisme Audition Québec)
On peut lire d’autres textes de l’auteure sur son blogue personnel Mes inspirations.