Tranche de vie: L’épreuve du deuil

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René Chatigny, 5 août 1936 – 5 décembre 1975, décédé subitement, sans préavis, sans un dernier au revoir, foudroyé par une crise cardiaque à 39 ans. J’avais 11 ans!

L’horreur, je ne vous dis pas, le cauchemar qu’on ne pense jamais vivre.

Je suis consciente que mon texte va faire verser des larmes à plusieurs d’entre vous. Mais moi, pleurer, ça me fait du bien; j’en ai besoin pour évacuer. Vous allez trouver peut-être ça bizarre, mais pleurer, ça me réconforte, pas toujours, mais souvent.

Perdre son père

J’ai perdu mon père à 11 ans, j’appelle ça un drame. Un film d’horreur. En plus, à l’époque, le corps, embaumé, trônait trois jours dans une tombe au salon funéraire. Un vrai calvaire. Celle de mon père était verte avec une moitié ouverte pour voir le défunt et l’autre moitié fermée sur laquelle un énorme arrangement de roses avait été déposé. Une expérience extrêmement traumatisante. Pour ajouter à l’effet théâtral dramatique, à la fin de l’après-midi du troisième jour, le directeur de funérailles arrivait avec une démarche solennelle et fermait la tombe devant la famille en détresse.

À 11 ans, être témoin d’une scène aussi épouvantable m’a tétanisée. Ma mère qui se « garroche » littéralement sur la tombe en hurlant. Des proches qui essaient de la retenir, elle se débat comme une furie pour se jeter à nouveau sur la tombe fermée en criant des mots incompréhensibles, mais que l’on devine être ceux du désespoir. Surréaliste. À tel point que j’avais des doutes sur ce qui venait de se passer. C’est une mauvaise blague, pensais-je. Tout ce cinéma qui se jouait devant moi me semblait tellement de mauvais goût que ça ne pouvait être réel.

Choc et incompréhension

Un tel choc entraîne assurément des séquelles, ça ne passe tout simplement pas! Alors, probablement dans un grand besoin de réconfort, mon imagination a pris le dessus. Je voyais, dans mes pensées, mon père revenir quelques jours plus tard. Ayant vécu un kidnapping, on avait fait croire à sa mort afin que sa famille ne le recherche pas. Il avait, car c’est un héros, mon père, réussi à s’enfuir et revenir à la maison. Tout deviendrait comme avant et cette histoire de fausse mort serait bien vite oubliée. Chaque nuit, je m’endormais en espérant qu’il serait de retour à mon réveil le lendemain.

À cette époque, il n’était pas encore courant de consulter une ressource pour affronter un tel drame. Disons que j’étais laissé à moi-même avec ma très grande peine et mon incompréhension. Je n’ai aucun souvenir qu’un adulte a pris le temps d’en discuter avec moi. Oh, ils me consolaient, ils étaient tous bienveillants avec moi, mais personne ne s’est penché sur la question qu’une enfant de 11 ans, venant de perdre subitement la personne qu’elle aime le plus au monde, subissait un traumatisme si énorme qu’elle pourrait ne s’en remettre que très difficilement. Il n’est pas question de blâme ici, mais bien de constatation… C’était l’époque.

50 ans, déjà

Dans 6 mois, en décembre 2025, 50 ans déjà auront passé sans qu’il n’existe un seul jour où je n’ai pas pensé à lui. Je verse encore des larmes, souvent en pensant à tout ce que j’ai manqué avec lui. La fête des Pères est toujours difficile. Je vois mes collègues, mes amies, mes voisins qui célèbrent leurs papas, sans vraiment se rendre compte de la chance qu’ils ont. Je les envie tellement. J’ai même tout essayé pour entrer en contact avec lui en lui demandant de me faire un signe afin que je sache qu’il est encore près de moi. Je suis allée trois fois consulter des médiums dans le fol espoir qu’à travers elles, il me parlerait. J’ai tellement espéré! Mais rien, aucun signe ni rien de significatif avec les médiums pour me persuader qu’il était là, quelque part à veiller sur moi.

Des souvenirs précieux

Tout ce qui me reste de lui, ce sont les souvenirs que je préserve dans ma mémoire comme un trésor. Je me rappelle encore son rire tonitruant, sa voix imposante, ses dents de gros fumeurs toutes maganées. Il en avait une de cassée et on l’appelait la dent « rocher percé » parce qu’elle avait la même forme. Je me rappelle aussi ses cheveux tout ébouriffés qui commençaient déjà à devenir de plus en plus argentés. J’adorais ses grosses mains noircies d’huile à moteur ou de graisse de char et son odeur, il sentait la mécanique, il sentait le char. C’était un gars de char, il avait réalisé son rêve de devenir propriétaire d’un magasin de pièces d’autos. Dans son magasin il y avait des sapins « sent-bon » qu’on accroche au rétroviseur et un gros bonhomme Michelin soufflé, publicité pour les pneus.

J’adorais y aller et en inspecter les moindres recoins. Je me souviens du comptoir avec les gros catalogues de pièces qu’il feuilletait, avec le téléphone qui tient de justesse entre son oreille et son épaule, pour informer le client du prix ou des quantités restantes pour compléter une commande. Les cendriers débordants de cigarettes qui ont brûlé toutes seules et les tasses à moitié pleines de café froid, toujours présentes sur ce même comptoir, complétaient le décor d’un papa bien occupé. Je me souviens du son du téléphone, de la cloche d’entrée lorsqu’un client passait la porte. Je rêve souvent que j’appelle à son magasin et qu’il me répond JNS Autoparts!

Le meilleur papa

Comme il travaillait toujours tard n’ayant pas d’employé la plupart du temps, il se déculpabilisait en arrivant toujours avec un sac de bonbons. C’était l’époque, les années 70, que voulez-vous, les habitudes alimentaires étaient ce qu’elles étaient.

Parfois, même assez souvent, j’avais droit à un disque de René Simard, ou de Patof. Je lui sautais au cou et respirais son odeur, quel bonheur! Ensuite, il venait me border et me racontait une histoire, sortie tout droit de son imagination. J’aurais aimé que ses histoires ne finissent jamais. Alors j’étirais le temps en lui demandant de l’eau, ou en lui demandant de rester avec moi parce que j’avais peur toute seule dans ma chambre. La patience de ce papa!

Mes parents étaient des artistes, mon père musicien et ma mère chanteuse. Ils avaient monté un groupe à une époque. La musique faisait toujours partie de leur vie au quotidien. Je garde tellement de bons souvenirs des soirées de musique où nous dansions et chantions dans la cuisine. La bonne humeur de mon père, ses taquineries, ses blagues. Je n’ai rien oublié.

J’aurais aimé…

J’aurais aimé qu’il m’apprenne à conduire, qu’il me conseille un modèle de voiture. C’est lequel le meilleur d’après toi Pa?

J’aurais aimé qu’il soit fier de mon diplôme, qu’il m’aide à déménager dans mon premier logement, qu’il vienne peinturer. Je lui aurais acheté de la bière Dow et j’aurais payé la pizza.

J’aurais aimé l’appeler, prise sur le bord de l’autoroute avec une crevaison, et lui dire : Pa vient m’aider!!!

J’aurais aimé lui annoncer : Heille Pa, chu enceinte d’un p’tit gars! Me semble de le voir avec ses grosses mains prendre le bébé, les larmes aux yeux.

J’aurais aimé l’appeler en plein nuit pour lui dire : Pa, mon chauffe-eau coule, au secours!

J’aurais aimé qu’il connaisse mon fils, qu’il lui attache ses patins et qu’il l’amène à l’aréna. J’aurais aimé qu’il m’appelle pour me dire : bon là, j’prends le p’tit samedi et je l’amène à la pêche. Pis c’est quand donc le tournoi de soccer, je ne veux pas manquer ça!

J’aurais aimé qu’il connaisse son arrière-petit-fils et son arrière-petite-fille. Il aurait tellement capoté. J’aurais aimé qu’il me prenne la main pour la donner à mon amoureux le jour de mon mariage en lui disant, prend bien soin de ma fille, mais je ne suis pas inquiet, t’es un maudit bon gars.

J’aurais aimé qu’il soit là aujourd’hui et que ces lignes n’aient jamais été écrites.

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