Tranche de vie : Il n’y a pas de joli deuil

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Le souvenir, c’est la présence invisible. – Victor Hugo.

Près de 60 ans de vie à deux. C’est l’anniversaire de la mort de son conjoint. Je lui laisse la parole.

Quelqu’un a dit que l’on meurt toujours deux fois : à l’instant de notre dernier soupir et à celui de la mort de la personne qui nous aimait le plus. J’avais l’amour tendre et de ce matin plein soleil qui ne laissait rien présager de mauvais, je n’ai plus eu que l’absence.

Du moment de sa mort, une tristesse et une fatigue démesurées se sont jetées sur moi. Sa mort m’a projetée dans un autre mode de pensée. Je n’ai plus eu le goût de recevoir, ni de magasiner, ni d’assister aux concerts, ni de voyager.

Un grand bouleversement

Après quelques mois, seule dans la grande maison, j’ai dû admettre qu’au quotidien il y avait trop à faire pour l’entretenir. La vendre m’est apparu la chose logique à faire. Je ne voulais pas dépendre de mes enfants. Penser qu’ils me prendraient en pitié me mettait le cœur à l’envers aussi, je leur ai dissimulé mes soucis et mes anxiétés. J’avais rarement demandé leur aide, mais, maintenant, j’en avais besoin. En leur compagnie, j’ai fait le tri et j’ai rempli les cartons à déménager. Leurs suggestions intelligentes, leurs conversations drôles et leurs marques d’affection m’ont fait me tenir debout.

En quittant la maison et le jardin, j’ai eu le sentiment d’un autre arrachement, d’un déracinement. J’ai changé d’adresse, mais les souvenirs ont déménagé avec moi.  

Monétairement, la vente de la maison m’a offert la possibilité de choisir un appartement de coin, petit, mais dont les portes-fenêtres et les larges balcons donnant sur deux côtés de l’immeuble me permettraient de longues heures d’ensoleillement. Profiter de la lumière et de l’air de l’extérieur serait bénéfique à mon humeur triste. Néanmoins, j’allais y vivre sans lui et j’y voyais une réelle mise à l’écart du monde et de la vie sociale.

Le retour du soleil

Heureusement, la splendide saison avait commencé, les lilas et les muguets embaumaient l’air. La beauté apparaissait à mes yeux, mais elle se rendait plus difficilement à mon cœur. Pour cultiver autre chose que l’ennui et la tristesse, j’ai garni les balcons de cosmos et d’héliotropes et j’ai sorti le magnifique laurier rose sauvé des attaques de cochenilles. Il est resté la place d’une table et d’une confortable chaise Lafuma pour y lire jusqu’à ce que le soleil disparaisse.

Aux jours sans pluie, je sors sur le balcon admirer mon morceau de ciel infini et respirer l’air chargé des frais effluves du petit matin; j’écoute les joyeux trilles des merles d’Amérique et parfois, la musique lointaine et plaintive d’une tourterelle. Au crépuscule, dans la brise encore chaude qui ondoie les délicats pétales des cosmos, je respire leur subtil parfum; au moment où la lumière du soleil éteint ses couleurs, j’écoute le concert des criquets. Quelle que soit l’ampleur du malheur, malgré les mauvais jours, la nature ne nous abandonne jamais. Même s’il s’en trouve pour juger cela futile, ces beautés colorées, ces senteurs du dehors et ces sons gratuits m’aident à croire en la beauté de la vie en son absence.

Le matin, en ouvrant les yeux, je m’attends encore à entendre le bruit de sa machine à café. Pour ne pas me sentir seule, je mets de la musique et le soir, j’écoute les séries télévisées qui, pour un moment, allègent ma solitude. Pour me garder l’illusion d’avoir existé pour quelqu’un, parce qu’écrire m’est un moment de complétude et que le cœur se souvient mieux des images anciennes dans la pénombre, tous les soirs, au bord du silence de la nuit, alors que l’on entend mieux les mots au-dedans de nous, j’écris les moments roses de notre histoire. Les mots ne me guérissent pas de l’abandon de son amour, mais, pendant quelques heures, m’y perdre m’arrache à la réalité de mon chagrin. Les mots n’effacent pas ma peine, mais ils me font réaliser que dans ma vie avec lui, j’ai aimé et j’ai été aimée et heureuse.

Un ennui

Dans ce nouvel ailleurs, il y a un assortiment de cœurs oubliés, désabusés et sans projet. Malgré la musique, les balcons fleuris, le soleil, le gazouillis des oiseaux et mes soirs d’écriture, sans lui, j’ai peine à rester positive. Avec les brouillards froids et venteux de l’automne, quand les plantes ont été rentrées, pour combler l’ennui, j’aurais aimé les yeux clairs, le miaulement et la fourrure soyeuse d’un petit chat avec qui partager mes journées; j’aurais aimé une petite bête à prendre soin et à prendre dans mes bras, mais ici, on ne le permet pas. Pour supporter la vie sans une présence aimante, faut-il tricher et, comme certains, prendre des cachets ou quelques rasades de Porto?

À ce premier hiver, quand l’air n’était pas trop glacial, pour un peu de vitamine D, je déneigeais une partie du balcon et, emmitouflée dans une couverture, en mangeant du chocolat pour la sérotonine, je lisais au soleil jusqu’à ce que le froid me fasse frissonner. Je m’efforçais de survivre à la blancheur de l’hiver pour avoir le privilège de voir arriver un autre été fleuri. 

Depuis que le printemps s’est pointé, au souper, un nouvel arrivant aux manières distinguées et au regard rempli d’humanité s’assoit à ma table. À travers l’histoire de nos deuils, une certaine complicité s’est établie. Un soir, je lui ai avoué que j’appréciais sa discrète présence et je lui ai confié que penser aux bons moments avec mon conjoint me faisait encore pleurer.

Il n’y a pas de joli deuil

Je vous comprends très bien! À la mort de celle que j’aimais, c’est terrible comme les minutes ont été longues et les souvenirs cruels! Apparemment, les larmes soulagent et toutes les peines passent, mais, que l’on soit pauvre ou riche, il n’y a pas de joli deuil.

On peut mourir demain, aussi, pourquoi ne pas mettre à profit nos anticorps et faire que la vie devant soi soit la plus belle possible. J’ai l’air bien bon pour donner des conseils, pourtant, quand ça a été mon tour, il m’a été difficile de les appliquer. Pour consoler un peu mon chagrin d’amour, je n’ai rien trouvé de mieux que de m’intéresser aux autres. Je pourrais être un ami! 

Sans le savoir, il m’avait livré un message d’espoir.  Je lui ai répondu que je voulais bien mettre à profit mes anticorps et profiter de son amitié. Selon les statistiques, il y a moins d’hommes dans les résidences aussi, j’ai évalué être chanceuse d’avoir son attention. Avec moi, il était juste gentil et attentionné. Il était doué pour la camaraderie; néanmoins, je le soupçonnais d’avoir fait rêver quelques femmes!

À la fête des Mères, il m’a offert des chocolats et quelques branches fleuries de jasmin. Il savait que j’adorais le parfum du thé au jasmin, mais il ne savait pas que je n’aimais pas les fleurs coupées ni que les fleurs de jasmin perdaient leur odeur au lever du soleil. Je l’ai tout de même invité à déguster les chocolats en jouant au Scrabble sur mon balcon. Cet homme m’a obligée à revisiter ma vie à la hausse, mais je n’allais pas construire un autre amour, car je ne supporterais pas la douleur d’une autre séparation. On ne peut pas donner son amour quand on sait qu’on peut mourir demain et que l’autre aura de la peine.

Ma meilleure version

Je ne sais pas combien de matins ma vie verra encore le soleil. Si cette vie doit continuer, j’aimerais la poursuivre dans la meilleure version possible de moi, dans une santé et une paix relative avec ce que j’ai de plaisir à vivre maintenant : écrire, lire, admirer les beautés des fleurs et du ciel et la compagnie de cet ami.

Malgré cette amitié et le soleil, il m’arrive d’être déchirée entre le désir d’admirer à nouveau le spectacle d’un coucher de soleil et celui d’en finir avec cette vie. Tous les soirs, je fais le vœu que la vie me fasse une fleur : mourir comme on s’endort, au temps des fleurs plutôt qu’aux gémissements piquants des vents d’hiver.

Comme si le lien n’était pas rompu, je parle à sa photo. Est-ce le début de la sénilité? Est-ce qu’il me voit? Est-ce que mon texte lui plairait? On dit souvent que nous existons tant que quelqu’un se souvient de nous. Ce dont je me souviens de lui, c’est qu’il m’aimait avec des actes, des gestes et non pas seulement des mots. Avec le temps, j’ai oublié le son de sa voix et ses éclats de rire. Aujourd’hui, je ne rêve plus de lui. Ce doit être parce qu’il est « vraiment très, très mort » comme l’a dit mon malheureux petit-fils de 6 ans lors de la mort de son furet.  

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