Il y a, dans la langue française, une petite virgule descendue des cieux, accrochée sous la lettre c, un croc minuscule qui change tout : la cédille. Sans elle, le garçon devient un « garcon » trop dur, la leçon une « lecon » sans musique, et le façonnage un « faconnage » qui râpe au palais. La cédille est ce qui assouplit le son, qui arrondit l’angle, qui fait danser la langue là où elle pourrait trébucher.
Je réalise que vieillir, c’est ajouter des cédilles au fil des ans. C’est apprendre à assouplir la rigueur, à adoucir la parole, à comprendre que tout ne se dit pas à coups de consonnes tranchantes. À vingt ans, je voulais aller droit au but, trancher net, abattre les obstacles sans me soucier des éclats laissés derrière. Je croyais que la vérité devait claquer comme une porte qu’on referme. Mais aujourd’hui, je sais que la sagesse n’est pas un couperet : elle est une main qui sculpte, qui polit, qui façonne les jours avec patience. Vieillir, c’est ajouter des inflexions au langage de l’existence, c’est mettre des cédilles là où la vie pourrait écorcher.

Notre époque, obsédée par la vitesse et le choc, rejette les nuances comme un texte trop long qu’on n’a pas le temps de lire. On voudrait tout réduire à l’essentiel, compresser l’expérience en un slogan, gommer les rides comme on efface les cédilles dans les messages tapés à la hâte. Mais que serait la langue sans ses détours, sans ses douceurs cachées? Que serait une phrase sans la cadence d’un c et d’un ç, sans la musique souple d’un façonnage patient?
Comprendre le rôle des silences
Vieillir, c’est entrer dans la ponctuation du monde, comprendre le rôle des silences, des soupirs et des respirations. C’est accepter que le tumulte ne dit pas toujours mieux que le murmure, que l’essentiel se cache parfois dans une intonation plus que dans un mot. Avec le temps, je suis devenu un conteur, un passeur de sens. Je sais maintenant qu’il ne suffit pas de parler pour être entendu, qu’il faut aussi écouter l’écho des mots, sentir leur poids, comprendre leur portée.

Accepter la cédille du temps, c’est refuser de voir le vieillissement comme un déclin, mais plutôt comme un art, une grammaire fine qui demande du souffle et du cœur. C’est comprendre qu’il y a des courbes à suivre, des angles à adoucir, des moments où il faut cesser de mordre pour simplement savourer. C’est la lente élaboration d’une pensée qui ne cherche plus à trancher, mais à envelopper, à apaiser, à transmettre.
Alors non, vieillir n’est pas une faute. C’est une calligraphie patiente, un tracé subtil qui donne à la vie sa saveur et son relief. Comme la cédille, il faut le préserver, le célébrer, l’accrocher fièrement sous nos mots pour que l’avenir sache encore écrire avec nuance.
Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard
Tant qu’à y être
Encabanée — Gabrielle Filteau Chiba — Édition Biblio Québécoise.

Dans une écriture poétique et engagée, le premier roman de Gabrielle Filteau-Chiba propose un voyage au creux des bois et de soi. Après avoir quitté son appartement confortable de Montréal, Anouk se réfugie au fond d’une forêt au Kamouraska pour trouver un sens à sa vie. Loin de tout dans le plus rude des hivers, elle livre son récit sous forme de carnet de bord, traversé de listes et de dessins.
Une réponse
Merci pour ce texte cher Martin Gaudreault. Comme à chaque fois que je vous lis vos écrits me font réfléchir et m’apaisent. Par vos mots simples, vos phrases si bien tournées, vous savez me rappeler que la vie peut être belle et douce lorsqu’on arrête de se la compliquer.
J’ai déjà hâte à la prochaine fois où j’aurai à nouveau l’occasion de vous lire.
Merci!