Je n’ai pu demeurer insensible aux récentes inondations dans la majestueuse région de Charlevoix. Ma garde rapprochée sait très bien que j’ai un préjugé favorable pour ce coin de pays où l’on côtoie montagnes et fleuve. D’ailleurs, nos plus grands peintres et autres artistes de différents horizons se sont largement inspirés de cette magnifique région. Moi-même, comme photographe, je m’y rends très souvent avec ma Doudou pour y capter des beaux portraits.
Ces images saisissantes (Charles Tisseyre sort de ce corps…) et les torrents boueux nous ont démontré toute la puissance d’une simple goutte de pluie. Comme dirait l’autre, la «mère Nature» n’était pas de notre bord, cette fois-ci.
Des moments d’orage…
À travers la gravité de ces événements, je me suis rappelé que j’ai vécu des moments de tristesse aussi forts que la pluie. D’ailleurs, quand la pluie a débuté dans ma vie intérieure, je n’ai pas toujours eu le temps d’en éviter les gouttes. Ces perles, que l’on qualifie souvent de cristaux, naissent dans la rivière des émotions du cœur et s’égarent sur les plaines de nos joues. Parfois, elles termineront leurs courses sur les rives de nos lèvres et laisseront un goût salé des souvenirs amers. Je me suis longtemps demandé si mon univers ne résidait pas dans une goutte d’eau.
Dans mes moments de tristesse, j’ai remarqué que les nuages intérieurs étaient d’une noirceur indicible. De l’ombre à la tonne, comme si cette lumière allait s’éteindre à jamais, sans espoir, sans retour. Ma prise de conscience de ces moments affligeants m’a fait comprendre qu’entre les événements et les mots, il y avait un voile, comme un écran dans les sédiments de ma vie. C’est en thérapie que j’ai compris que dans l’ombre, il y a l’ombre des ombres, le noir plus noir que le noir. Cette ombre qui se nourrit d’elle-même et emporte, comme l’orage incessant, tout sur son passage, de la roulotte heureuse jusqu’au pont des Soupirs.
La lumière après la pluie
À travers la sortie du brouillard de ma conscience, d’ailleurs, les hommes ne devraient pas craindre d’en sortir, j’ai compris que le monde, quand on s’y attarde, n’est pas constitué que de nuages. Au-delà de ceux-ci, il y a la géographie du tendre, des champs de nos étreintes, le sable blanc de nos paupières et ces lacs de nos tendres baisers. En tant qu’hommes, nous avons, certes, besoin d’espace à nos amours, à notre propre amour, surtout.
Dans cette carte du monde du tendre intérieur, il y a cette aspiration à rendre notre monde habitable et viable pour la suite des choses. Il en faut du courage, de l’huile de bras pour passer à travers ces orages impétueux. Le glouglou des gouttières, le bruit de la pluie sur la toiture de tôle sont autant de sonneries d’un concert sans monotonie et souvent sans délicatesse. Ça sonne fort dans la tête et dans le cœur!
De la rivière du Gouffre de Baie-Saint-Paul jusqu’à la mer, les gouttes de pluie nous entraînent jusqu’au tréfonds de notre âme. Cette eau descend à des allures très diverses. Elle tombe finement comme un fin rideau de dentelle. Elle gruge petit à petit les rivages de la psyché, emportant rapidement les moments heureux. Elle aura dans sa chute implacable une fraction intense d’un météore. De la gouttière où elle coule, elle franchira les restrictions et dévalera tout d’un coup en filet tressé serré jusqu’au sol où elle se transformera en aiguillettes brillantes.
Chanter sous la pluie
À travers cette période très nuageuse, j’ai accepté de chanter sous la pluie, même si je pousse la chansonnette comme une porte de grange qui bat au vent. Lors d’une soudaine averse de larmes, j’ai décidé de me l’offrir tout entier. Désormais, j’ai le réflexe de me poser des questions, de « conscientiser » la tristesse. Quand mes yeux coulent, il faut laisser couler. C’est libérateur et ça remet le lit de la rivière au bon endroit. Les gouttes des larmes sont nécessaires à l’acceptation des blessures et au changement des cascades. La nature te rappellera, rapidement, que si tu fais la sourde oreille au grondement du tonnerre, tu verras la pluie.
Maintenant, je m’attarde beaucoup plus à l’arc-en-ciel, même s’il faut tourner le dos au soleil pour le voir. L’arc-en-ciel des émotions se génère à travers notre propre lumière. Dans les faits, les gouttes de pluie font subir à la lumière un traitement de choc. Ce dernier est parfois nécessaire pour y arriver. J’ai cru longtemps que l’arc-en-ciel n’était qu’un demi-cercle. Enfant, on nous disait qu’il y avait un chaudron plein d’argent au bout, mais c’est plutôt un cercle complet, il faut juste regarder au-delà de l’horizon pour y trouver l’espoir de la renaissance et la résilience pour revivre au-delà des catastrophes intérieures.
Au fil des années qui coulent, la nature charlevoisienne m’a fait comprendre qu’il faut accepter d’être l’homme de la pluie afin de laisser renaître l’enfant du beau temps.
Martin Gaudreault
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