La beauté sauvera le monde – Fiodor Dostoïevki
Avant ma vie adulte, le cycle des saisons et de la nature me laissait indifférente. La vie qui éclot ne me touchait pas. Je ne comprenais pas ma tante qui s’attendrissait devant la couleur de ses roses trémières ni ma mère qui s’extasiait devant ses quatre saisons, dont les grappes avaient une couleur insipide et délavée. Pour moi, la nature était là et c’est tout. Maintenant, la nature est tout pour moi.

Le bonheur de mon jardin
Le temps passe et change nos perceptions. Aujourd’hui, je ne me lasse pas du spectacle du ciel qui étale ses couleurs : rouge, orange, rose, violet. Pour les mois à venir, il me reste le spectacle apaisant de l’heure bleue du matin quand la nuit disparaît, laissant place à la lumière d’un soleil en feu et l’heure vespérale de la fin du jour à l’instant où l’horizon et le ciel se confondent.

Aujourd’hui, mon jardin fait chanter les oiseaux. S’ils chantent, c’est que la lumière est magnifique, le temps doux et chaud et qu’ils sont heureux. Comme eux, je devrais être heureuse et me réjouir de la beauté de ces jours de fin d’été. Je réalise que, comme les oiseaux, pour être pleinement heureuse, j’ai besoin d’un jardin. Je respire les monardes en suivant des yeux les tourterelles qui picorent, les curieuses petites mésanges attirées par la nouvelle mangeoire, les ébats du chardonneret qui effleure la surface de l’eau de ses lumineuses plumes jaunes, le rouge-gorge qui se baigne et bat des ailes et le majestueux cardinal qui, installé sur les pierres, pique son bec dans les filets d’eau qui jaillissent de la chute.
Au fil du temps…
Avec les ans, j’ai développé la fibre végétale et mon jardin a pris du panache. Les plates-bandes sont luxuriantes et, comme mes petits, les arbres ont grandi. Mes petits ont maintenant leurs petits et leurs jardins, mais il reste que je suis parfois un peu nostalgique du temps passé où, au jardin, les enfants joyeux couraient et riaient.
Au fil du temps, j’ai appris à mettre des noms sur les fleurs et les oiseaux qui les côtoient. À chaque nouvelle saison chaude, ils ravivent ma joie et, quand mon humeur est mélancolique, leurs couleurs et leurs parfums me sont un doux remède. Embellir le jardin, c’est embellir ma vie et cela me procure une grande satisfaction. Et, quand parfois je pense à l’inévitable, je me dis que c’est là que j’aimerais vivre tous mes étés jusqu’à la fin.

Le temps de l’été, où, sous les lumières de la pergola, je peux lire jusqu’à la nuit, s’en va déjà. Je suis toujours triste en pensant que l’hiver recouvrira de blanc toutes les beautés de mon jardin, mais, malheureusement, rien de ce qui est beau n’est permanent. Je dois me résigner à attendre le moment de remettre les mains dans la terre, de bouturer, de diviser, de repiquer, de tailler, d’arroser et même de désherber.
La prochaine saison
J’ai déjà hâte de me retrouver à la prochaine saison verte. À la fin du printemps, l’idée de revoir mes plantes vivantes et de les regarder refleurir me remplit de bonheur. J’adore cette période où les oiseaux mâles courtisent les femelles et construisent des nids. Ils exhibent leur plus joli plumage, ils gonflent leurs plumes, font des ballets époustouflants et chantent de leur plus belle voix. Les entendre gazouiller et s’ébattre en se nourrissant et s’abreuvant me ravit.

En attendant que le jardin d’été réapparaisse et m’émerveille à nouveau, sous les fenêtres ensoleillées, je me propose de démarrer, pour leur odeur capiteuse et vanillée, des semis de jasmin étoilé et d’héliotrope et, pour la délicatesse de leurs pétales et leurs couleurs éclatantes, des semis de cosmos. Ils seront mon jardin d’hiver, ma provision de vie et de beauté.