Sans aucun doute, il y a, dans la solitude, une force que j’ai appris à apprécier. Me retrouver seul, face à moi-même, n’est pas une épreuve pour moi. C’est dans ces moments que je trouve le courage nécessaire pour réfléchir, pour penser, pour me confronter aux vérités invisibles de mon quotidien. C’est dans cet espace que je peux voir le monde différemment, oser penser à voix haute, affronter mes propres idées. La solitude est l’écho du silence dans lequel naissent les bruits bienfaiteurs. Elle est ce terreau fertile où se creusent les sillons des réflexions les plus profondes.
Je me rends compte que, souvent, nous parlons pour combler les vides, pour éviter ce silence qui dérange. Dire quelque chose, n’importe quoi, semble suffisant tant que cela crée du bruit, un bruit rassurant. Mais pour moi, réfléchir à voix haute, c’est un acte de courage. Non pas le courage de parler, mais celui de me poser des questions que personne n’ose formuler. C’est un travail que je fais seul, dans l’intimité de mes pensées, un espace où je ne crains pas de m’aventurer au-delà des frontières évidentes des douanes de la conscience.
Quand je prends le temps de vraiment m’écouter, de me poser des questions sans attendre de réponses immédiates, quelque chose de profond se passe. J’entre dans un dialogue intérieur avec moi-même. Mes pensées deviennent le centre de mon questionnement, un processus où la critique constructive prend vie. Ce n’est pas une critique qui cherche à détruire, mais à construire, à me forger une pensée plus solide, plus vraie, plus juste. C’est comme rédiger l’éditorial de mon présent, en puisant dans le passé pour le projeter vers un futur subjugué par les possibles de mon évolution.
Laisser place à la critique constructive
Aujourd’hui, je constate que la critique constructive se fait rare. La société privilégie les réponses rapides, les jugements immédiats. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, dans les débats, la critique est devenue une arme, un moyen d’écraser l’autre, d’affirmer sa supériorité. Mais moi, je crois encore à la valeur de la critique qui naît du doute, de l’interrogation sincère. Cette critique ne peut naître que dans la solitude de la réflexion, un espace où l’on prend le temps de remettre en question ses propres certitudes avant de juger celles des autres. C’est cette remise en question, cette capacité à critiquer de manière constructive, qui me permet d’avancer et de comprendre.
Je pense souvent à Socrate, un maître dans l’art de poser des questions. Il ne cherchait pas à humilier ou à dominer, mais à faire émerger une vérité commune. C’est dans la solitude de sa pensée qu’il avançait, prudemment, sans jamais prétendre tout savoir. Comme lui, je me méfie de ceux qui affirment avec trop de certitude. La vérité, la vraie, ne se révèle pas en une fois. Elle se dévoile par fragments, au fil des conversations, des critiques, des réflexions partagées.
C’est peut-être ce que nous avons perdu aujourd’hui : l’art de réfléchir ensemble, sans animosité. La pensée collective s’entrechoque dans un tourbillon d’opinions où chacun crie plus fort que l’autre. Nous n’avons plus le temps de poser des questions ouvertes, d’écouter les réponses avec sincérité. La solitude de la pensée est devenue un luxe, alors qu’elle est pourtant essentielle. C’est dans cette solitude que je façonne mes idées, celles qui comptent vraiment.
Faire résonner le monde intérieur
Je trouve une grande beauté dans l’idée de réfléchir à voix haute, seul d’abord, puis avec les autres. Mais ce dialogue avec autrui n’a de valeur que si j’ai d’abord effectué ce travail intérieur, dans le calme de ma réflexion solitaire. Parler à soi-même, loin d’être un signe de folie, est pour moi une manière de faire résonner mon monde intérieur avec le monde extérieur. C’est ainsi que je parviens à distinguer les vérités des illusions, à élaborer des idées plutôt que des réflexes. Et lorsque le moment vient de partager ces pensées, elles sont mûres, prêtes à être critiquées de manière constructive.
Je le vois bien, notre société craint le silence, elle craint le doute. Elle valorise ceux qui parlent fort, qui tranchent sans hésitation. Pourtant, je crois fermement que ce sont ceux qui doutent, qui remettent en question, qui avance prudemment, qui ont le plus à offrir. Ce sont eux qui construisent des pensées plus profondes. Ils savent que la pensée est en perpétuelle évolution, qu’elle n’est jamais figée. D’ailleurs, dans ce silence se cache une force immense : celle de l’esprit en quête de vérité, non pas celle que l’on clame haut et fort, mais celle qui se murmure à l’intérieur, avec une douceur infinie.
Alors, il est peut-être temps de réapprendre à penser, à critiquer, à poser des questions sans attendre de réponses immédiates. Réapprendre à être seul, non pas pour fuir le monde, mais pour mieux le comprendre. Sans aucun doute, c’est dans cette solitude que je retrouve le goût du vrai dialogue, celui qui enrichit et fait avancer. Il est temps d’accepter que de réfléchir à voix haute, c’est accepter d’être vulnérable, d’être critiqué, mais aussi d’avoir la chance de grandir. Car la critique constructive, tout comme la solitude, est un passage nécessaire vers une pensée plus libre, plus vaste, plus humaine. Et peut-être qu’à travers ce chemin, nous apprendrons tous à mieux penser.
Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard
Tant qu’à y être
Solitudes : une décennie de réflexions féministes — Marilyse Hamelin — Éditions Somme toute — Solitudes est un témoignage et le rappel essentiel que les batailles ne sont jamais gagnées. Avec l’essai Solitudes, Marilyse Hamelin revient sur une décennie d’engagement. Son regard est lucide, sans complaisance, alors qu’elle retrace l’évolution de sa pensée — de ses balbutiements aux réflexions de plus en plus nourries, senties et documentées.