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Tranche de vie: Une page blanche

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J’ai lu les journaux et écouté les bulletins de nouvelles ces derniers jours. Guerres, désastres environnementaux, scandales politiques, féminicides. Les mots n’en peuvent plus de contenir la violence qui se détache du texte pour imprégner l’air d’un sentiment d’impuissance et de découragement. Habituellement, après mon café du matin, je m’installe dans mon atelier pour planifier ma journée. Une routine simple. J’allume les lumières, le four à émail, je flâne un peu devant les grandes fenêtres pour voir ce qui a changé dans le jardin pendant la nuit. Et je me mets au travail. Aujourd’hui, la neige blanche à l‘infini m’hypnotise et je n’arrive pas à secouer la lourdeur qui m’habite. L’inspiration ne vient pas. À quoi bon? Je questionne la pertinence de mon travail d’artiste.

 

Je rêve d’un monde où chacun arriverait à concilier ses intérêts personnels avec l’intérêt commun. Probablement utopique, car la plupart des humains n’y parviennent pas. Je ne suis certainement pas la seule à ressentir ce besoin pressant d’agir. Mais comment? J’ai l’impression que je devrais courir quelque part, n’importe où, pour essayer de mettre un peu de baume sur la tristesse, le désespoir, la misère et tous les maux du monde. Pour quelques heures, mon désarroi est tel que j’erre dans l’atelier, incapable d’imagination. Le four est froid, mes outils figés. La rivière est frigorifiée, moi aussi.

Si je le pouvais, je mettrais le monde sur pause pour essayer de comprendre comment l’humanité a bien pu dégringoler à ce point. Si j’en avais le pouvoir, je changerais le plan. J’enlèverais temporairement la parole aux humains responsables de toute cette souffrance pour la donner à tous les hommes, femmes et enfants qui subissent leur tyrannie. Je donnerais aussi la parole à tous ceux qui œuvrent sans relâche à l’ombre de l’inhumanité. Je ferais taire le vacarme assourdissant de toutes les télévisions, les radios et les médias sociaux du monde. Je n’ai rien contre le travail journalistique, au contraire, il est crucial. Mais le monde a besoin de silence.

 

L’idée extraordinaire d’un silence universel m’apaise. J’entends déjà la voix des rivières, des oiseaux, du vent dans les arbres, la pluie qui tombe, le chat qui ronronne. La vie est remplie de ces musiques douces et discrètes qui font du bien à l’âme. D’ailleurs, quand les humains eux-mêmes s’expriment à travers la musique, ils communiquent merveilleusement bien. La musique sait révéler toute la gamme des émotions en cherchant un écho en nous. Elle nous permet d’être au diapason avec les autres. Est-ce possible de rêver que notre voix puisse devenir une musique apaisante pour l’autre?

La destruction causée par les missiles lâchés sur l’Ukraine heurte nos valeurs humaines. L’humanité rencontre l’inhumanité. Mais qu’en est-il d’une parole ou d’un geste violent? L’intention derrière reste la même, faire mal pour mieux contrôler. Bon, d’accord, vous me direz qu’entre intimider quelqu’un sur Twitter parce qu’on ne partage pas ses opinions et bombarder Kiev, il n’y a pas de comparaison possible? Que la guerre fait des milliers de morts alors que les dégâts sont plus difficiles à évaluer sur les victimes de violence verbale ou psychologique? Et là, je ne parle même pas des violences sexuelles ou physiques, je dépasserais largement l’espace qui m’est alloué.

À l’échelle de l’individu, le paysage intérieur de la personne victime d’une parole ou d’un geste violent pourrait bien ressembler à Kiev sous les bombes. Ce n’est pas parce que le champ de bataille est plus petit qu’il n’en est pas un. Je me laisse parfois emporter, surtout quand il est question de justice, de politique, d’équité. J’ai certainement largué quelques bombes déguisées en sarcasmes au cours de ma vie. Je peux me justifier en disant que c’était pour une bonne cause, que je défendais mes droits ou ceux d’une personne plus vulnérable. Mais est-ce qu’il n’aurait pas été plus efficace d’être plus bienveillante en tenant compte de l’autre personne? De me protéger sans écraser l’autre?

 

Absorbée par mes pensées j’ai quitté mon atelier pour aller marcher dans la neige. Il y en a si peu que je n’ai pas pris la peine de mettre mes bottes. Mon manteau ouvert laisse entrer le froid et je frissonne, mais ça me fait du bien. Dans le boisé le silence est étonnant. J’entends mes pas qui font craquer la fine couche glacée. Je ne me suis pas rendu compte que le vent s’était levé. J’en suis certaine maintenant, il ne s’est levé que pour m’administrer une gifle magistrale. J’ai reculé sous le choc. Comme si ce n’était pas assez, la gifle est venue avec un monceau de neige tombé d’une branche de chêne. Vous savez comme moi le désagrément d’avoir de la neige dans les cheveux et qui se loge en petits mottons de glace entre le foulard et le cou. J’en ai perdu le fil de mes réflexions et ce n’est pas plus mal, je m’enlisais. Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit une claque de l’univers. Ma réflexion philosophique sur la nature humaine ne peut pas en rester là. La tentation est forte de me désengager d’un problème qui me dépasse. Hausser les épaules et me dire qu’après tout je n’y peux rien. Je peux me cacher derrière le fait que je ne suis pas une de ces femmes exceptionnelles qui changent le monde.

Mon rôle est tout petit, mais, malgré tout, je veux qu’il compte.

 

Livre avec des pages blanches

L’année 2023 est une grande page blanche et personne ne sait encore ce que nous y inscrirons collectivement, mais nous avons tous et toutes le pouvoir d’y contribuer. Un tout petit bout de cette grande page m’appartient et cette année je veux honorer cette responsabilité. Je vais commencer par une intention toute simple. Au meilleur de mes capacités, je vais m’efforcer d’être pleinement connectée à mon désir de trouver chez les autres ce qui nous rapproche et non ce qui nous sépare.

J’ai cette image complètement folle de former un cercle de personnes qui veulent plus que leur bien-être personnel. Comprenez-moi bien, je tiens à mon bien-être, mais je veux qu’il s’harmonise avec celui des autres en ayant pour objectif un bien-être commun. Je rêve en fait de voir des tas de cercles se créer et puis se fondre en un seul, beaucoup plus grand. On peut se dire ad nauseam que c’est voué à l’échec et que les querelles et les guerres sont aussi vieilles que l’humanité, que rien ne changera jamais. On peut aussi essayer, à échelle plus modeste, de créer autour de nous des petits cercles d’humains rebelles qui refusent la fatalité.

Je choisis d’être rebelle et d’essayer. Je ne veux pas laisser passer une seule journée de l’année 2023 sans apporter ma petite contribution à notre monde qui a soif d’amour. L’intention est lancée. Attention, je ne veux pas que ça ressemble à toutes mes résolutions du jour de l’An des années passées. Ces résolutions duraient quelques semaines avant de s’échouer discrètement sur la grève d’un projet tout neuf et tellement plus excitant.

 

L’action concrète est plus complexe et ô combien plus exigeante. Cela me demandera beaucoup de rigueur pour ne pas retomber dans un individualisme douillet. Ma première tâche sera de rétablir le contact avec une amie qui m’a heurtée par son indifférence alors que je traversais une période difficile le printemps dernier. J’ai simplement coupé les ponts. Je ne sais pas ce qui découlera de mon initiative. Mon intention n’est pas de récupérer cette amitié à tout prix, mais de simplement reconstruire le pont. Elle ne redeviendra peut-être pas mon amie, mais elle ne sera pas mon ennemie non plus. Je me sens complètement libre dans cet espace, aucune attente. Le succès de ma démarche repose uniquement sur l’ouverture dont je veux faire preuve et non sur un impératif de résultat. Sur mon bilan de l’année 2023, je veux pouvoir écrire que j’ai construit des ponts et que je n’ai rien brisé.

Je me sens mieux. J’ai très envie de vous lancer un appel. Si ma réflexion vous parle, si vous avez envie de changer des choses dans votre vie et qui sait de créer un cercle de rebelles dans votre entourage, apportez vos suggestions en laissant quelques mots qui pourraient justement créer un tsunami d’amour. C’est en causant des dommages à l’infrastructure de la violence que nous pourrons réclamer nos valeurs humaines. En créant humblement une petite vague patiente et courageuse chacune de notre côté, elles finiront bien par se rejoindre et créer ce tsunami.

Je vous souhaite à toutes une année 2023 remplie d’amour, de douceur et de paix.

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2 Responses

  1. Quel texte magnifique et inspirant
    Je n’ai pas l’habitude de faire des résolutions mais aujourd’hui c’est fait.
    Donner du bonheur, des sourires et prendre du temps pour ceux qui nous entourent. Ce temps qui passe si vite et ne revient jamais.
    Merci pour ce beau texte

  2. Comme ce beau texte me parle . il est tellement plein de douceur dans la vérité ! Merci infiniment et bon courage sur ce chemin qui m´inspire

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