Il faut savoir, au départ, que je ne le savais pas moi que je n’étais pas faite pour la campagne. J’ai été attendrie par l’aspect bucolique de la chose. Une petite maison blanche, un parterre de fleurs colorées, un chat à la porte, des voisins avenants, une petite épicerie, des rues pittoresques.
Comme je suis une grande romantique à l’âme rêveuse, et que j’ai en permanence une belle grande paire de lunettes roses dans la face, je me suis laissé prendre au jeu.
Ma jeunesse
Je suis née à Montréal, mes parents aussi et mes grands-parents également. Je suis une Montréalaise de souche. Je ne me souviens pas y avoir habité, par contre; mes parents ont déménagé à Longueuil lorsque j’étais encore une toute petite fille. Ma mère me racontait qu’elle avait beaucoup d’appréhension vis-à-vis de Longueuil. Elle avait peur de s’ennuyer, elle qui aimait l’animation de la grande ville, les magasins, les grandes artères. Mais comme on dit : « Qui prend mari prend pays », du moins à cette époque-là, c’était au milieu des années 60.

J’ai donc passé mon enfance et mon adolescence à Longueuil, puis à Saint-Hubert. Je devais avoir Montréal dans mon ADN, car chaque fois que l’occasion se présentait, je partais, avec les copines, faire une virée à Montréal. L’été, jeunes adolescentes, nous passions nos journées à flâner sur la rue Sainte-Catherine, sur la rue Saint-Denis et aux alentours. C’était l’époque des boutiques indiennes, il y en avait des dizaines sur notre parcours. Nous les faisions toutes. Pour presque rien, nous pouvions nous acheter une belle blouse indienne ou des boucles d’oreilles colorées. Plus tard, jeunes adultes, c’est aux Fortifications, un bar rock ou aux Deux Pierrots, une boîte à chansons, que nous allions les samedis soirs et nous mangions au Georgio pour 5 $ tout compris. Leur fameux gâteau roulé avec coulis au chocolat fondant était tout simplement exquis.
Quitter le nid familial
Puis, vint le temps de quitter le nid familial pour un appartement bien à moi. J’ai habité Montréal du temps du cégep, puis Saint-Hubert à la fin de mes études. Ma famille et mes amies d’enfance y habitaient et j’y travaillais, c’était donc un choix pratique. Mais à vrai dire, je trouvais la banlieue monotone. J’avais envie d’une vie pétillante et vibrante. Me voilà donc à Montréal toutes les fins de semaine. Bars, restos, cafés, rues animées, spectacles, ambiance, cette ville m’émerveillait. J’ai même pensé sérieusement m’y établir pour de bon. Mais je ne l’ai pas fait. Pourquoi? Je n’en ai aucune idée.
Au contraire, quelques années plus tard, au milieu de la vingtaine, je me suis encore plus éloigné de mon Montréal adoré. Un petit patelin au bord de la rivière Richelieu, près du Mont-Saint-Hilaire, m’avait séduite : Otterburn Park. Un coup de foudre. J’y suis restée pendant 17 ans et y ait fondé une famille. J’ai tellement aimé habiter cette mini ville, qui à mes yeux, incarnait la campagne parfaite. Mais, voyez-vous, je n’étais pas la seule à être tombée sous le charme idyllique de cette contrée. Au fil des années, cette gentille bourgade accrochait par sa beauté, de plus en plus de familles.

Les maisons poussaient comme des champignons et les magnifiques pommiers disparaissaient tranquillement, mais sûrement. Reconnue pour ces nombreux vergers, la région tout entière regorgeait de magnifiques fleurs blanches ou roses au printemps, pour se revêtir de grosses pommes bien rouges au début de l’automne. Mais ce tableau digne d’un peintre de renom a fini par faire partie du passé.
Pour vous dire, je ne pensais plus tellement à Montréal, j’avais les jolis vallons et les belles routes sinueuses serpentant les villages cramponnés au cœur.
La famille a donc plié bagage pour installer ses pénates à Saint-Marie-Madeleine dans une jolie maison avec vue sur la montagne. J’étais aux anges jusqu’à ce que j’entende siffler le train en pleine nuit. Les pancartes qui annoncent : « Ici le train ne siffle pas », hey bien, ça n’existe pas à Sainte-Marie-Madeleine. Les trains se baladent la nuit à Sainte-Marie-Madeleine et ils se baladent plusieurs fois par nuit.
Au bout de cinq années, c’en était trop du drama sonore à 3 heures du matin. Il faut dire qu’il y avait eu tellement d’accidents de voiture mortels ou avec blessés graves à cet endroit, à la configuration dangereuse, que les autorités n’avaient pas d’autres solutions pour contrer les accidents. Le train sifflera encore et personne ne peut affirmer que ce tintamarre cessera un jour.
En campagne
Et encore une fois, je m’enfonçai encore plus creux dans la campagne, à ma grande joie d’ailleurs. J’ignorais consciemment toute la substance de ma personnalité. Mes lunettes devenues rose bonbon foncé avaient pris le dessus. Saint-Simon-de-Bagot, mon nouvel éden! Un bled essentiellement agricole avec un village de cinq ou six rues où trône une immense église où personne, ou presque, ne va plus. Le village est joli, les gens sont gentils et la dame du bureau de poste me reconnait lorsque je passe chercher mes colis. Pour moi, c’était le rêve. Faire partie d’une communauté, où tout le monde se connait et s’entraide. Une communauté tissée serrée.

Sauf que, moi, la communauté, depuis 12 ans que j’habite à Saint-Simon-de-Bagot, je la connais nada, la communauté. J’habite sur le rang Charlotte, le dernier rang du territoire! Je suis isolée du village, je ne connais personne, moi! Mes amies, ma famille, habitent dans des villes! Longueuil, Chambly, Sainte-Julie, Saint-Hyacinthe. Je ne suis jamais à Saint-Simon-de-Bagot, à part quand je dors! Je travaille le jour, j’ai des courses à faire, ou des ateliers ou des activités le soir et les fins de semaine.
Un nouveau projet se dessine
Qu’est-ce que je fais à Saint-Simon-de-Bagot, sinon, prendre ma voiture pour aller ailleurs? Je n’aime pas organiser des plates-bandes ni faire un jardin. J’ai le jardinage en horreur. En fait, j’aime les fleurs et les légumes frais, mais pas les faire pousser. De toute façon, tout végétal que je touche meurt, alors… Je n’aime pas rester à la maison, j’aime sortir, me balader, arrêter dans un petit café, faire quelques emplettes dans une boulangerie, une fruiterie, une poissonnerie. Fouiner dans une librairie ou une boutique de cosmétiques. J’aime aller au théâtre, au restaurant, au pub. Il n’y a rien de tout ça à Saint-Simon-de-Bagot…

Oui, je l’avoue, c’est fantastique de voir des chevreuils grignoter mes haies de cèdres, c’est très drôle de voir une famille de dindes sauvages parcourir mon terrain, un petit lièvre et toute sorte d’oiseaux s’attarder sur mon balcon. C’est du gros bonheur, oui, c’est vrai, mais ma fibre citadine commence drôlement à se faire sentir après douze ans. En fait, je n’en peux plus. Bon, je l’ai dit! Je ne suis plus capable de la campagne!
Pour tout dire, je suis une usurpatrice. Je n’ai jamais fait de conserve, vous savez, les aliments qu’on met dans les pots Masson. Je suis indigne de ces femmes qui savent tout faire de leurs mains, ces femmes fortes et vaillantes qui cuisinent de succulents repas faits maison, tout en travaillant 40 heures par semaine.
Eh bien, mon fils vient tout juste d’en épouser une femme de cet acabit et croyez-le ou non, elle m’a initié AU CANNAGE. Nous avons fait ensemble 97 pots Masson de betteraves, mesdames et messieurs! Ce fut une belle expérience et une première pour moi et peut-être pas une dernière. Je suis toute fière de mes betteraves, tellement que j’en apporte au bureau pour les partager avec mes collègues. C’est extraordinaire de voir où la vie m’a menée. Imaginez-vous, si nous n’avions jamais habité à Saint-Simon-de-Bagot, mon fils n’aurait jamais rencontré la femme de sa vie et moi je n’aurais sans doute jamais fait 97 pots Masson de betteraves. Comme quoi tout est possible en ce bas monde.

Un retour en ville
Je quitterai bientôt ma campagne pour m’installer en ville. Je suis rendue là. J’aurai passé 34 années de ma vie en campagne, moi, la citadine, c’est plus de la moitié de ma vie, je n’en reviens pas. J’ai vraiment beaucoup aimé tous les endroits où j’ai habité, mini villes, villages, rangs, mais l’appel de la ville est revenu, comme ça, tout d’un coup. Je n’ai aucun regret d’avoir séjourné dans des endroits où les tiges de blé dansent dans le vent, où la montagne te salue de bon matin, où les enfants courent dans les champs et où le kiosque du coin vend des légumes frais cueillis. Et je n’aurai aucun regret de retrouver la ville avec son effervescence qui me manque drôlement.

Merci chaleureuse campagne de m’avoir si tendrement ouvert les bras. Merci pétillante ville de m’accueillir à nouveau dans ton tourbillon.