«Connue pendant des décennies comme la Journée internationale de la femme ou la Journée internationale des droits des femmes, la date du 8 mars est maintenant désignée par plusieurs organisations sous l’appellation Journée internationale des droits des femmes.»
«La véritable origine du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, serait principalement marquée par deux faits historiques: le Woman’s Day en Amérique et la Journée des femmes en Europe. » — Extraits d’un texte du Conseil du Statut de la Femme.
Chaque année, la journée du 8 mars me rappelle ma grand-mère, femme rebelle et libre, ma mère, femme aux multiples talents et pleine de projets, mais emprisonnée dans un esprit malade. Et puis, il y a moi, fille et petite-fille de ces deux femmes fascinantes. Trois générations de femmes, de 1908 à aujourd’hui. Voici leurs histoires.
Voici Marcelle, ma grand-mère née en 1908.

Marcelle est née à une époque où la religion réglementait le quotidien des familles, avec des règles strictes et manipulatrices. Une époque où les femmes étaient juridiquement considérées comme des enfants, inaptes à prendre des décisions les concernant, elles-mêmes ou leurs familles.
Les femmes de ce début de siècle n’avaient pour seuls choix que devenir religieuses ou mères de famille. Se trouver un bon mari semblait la priorité numéro un pour bien des femmes de cette époque. Pour celles restées célibataires, les « vieilles filles », les choix n’étaient pas plus nombreux, vivre aux crochets de leur famille ou encore devenir religieuse.
Et la seule option pour les femmes ne désirant pas suivre les traces de leurs mères et élever une famille de 10 ou 12 enfants était aussi de devenir religieuse. Bien que ce n’était pas l’option idéale, ça restait tout de même le meilleur choix pour plusieurs, les murs silencieux, ennuyeux, mais rassurant du couvent présentaient plus d’avantages que les corvées quotidiennes d’une épouse et mère de nombreux rejetons vivant dans la précarité.
Tout ce que je vous raconte, je ne l’ai pas vécu, bien entendu. Mes tantes et mon grand-père m’en ont fait le récit maintes fois. Moi, buvant leurs paroles, je me questionnais sur le sort de ces femmes qui m’apparaissait bien ingrat. Ces femmes d’un autre temps, je les trouvais tellement courageuses, mais j’imaginais aussi leur détresse et leurs angoisses dans ce monde où elles étaient perçues comme ignares et faibles. Honnêtement, j’avoue que j’ai toujours trouvé la situation de ces femmes horrible et inacceptable, et ce, depuis mon plus jeune âge.
Malgré tout, je me suis réconciliée avec l’époque en écoutant les histoires de ma grand-mère maternelle. Décédée à 61 ans, je l’ai à peine connue. Quelques bribes de mémoire floue, sans plus.
Mais son histoire, je la connais par cœur. Ses enfants et son époux ont perpétué sa mémoire tout au long de ma vie. Je l’admire tellement et je suis si fière de faire partie de sa descendance. C’est un honneur pour moi d’avoir hérité de sa génétique.
Une femme forte
Premièrement, Marcelle n’était ni faible ni ignare, comme la majorité des femmes, d’ailleurs. Et elle le savait, Marcelle! Déjà, se considérant l’égale de ses frères, elle exigeait d’eux qu’ils lui apprennent à conduire la nouvelle merveille dès l’heure : la voiture.
C’est ici que je commence à connaître Marcelle, fin des années 1920 et début des années 1930. Je n’ai presque pas d’information sur son enfance, à part de savoir que la famille, peu nombreuse, cinq enfants, ne vivait pas dans l’opulence ni dans la misère. Ma grand-mère, une femme joyeuse qui croquait dans la vie à bien profité des « années folles », comme on nomme l’époque d’après la Première Guerre mondiale. Car à l’âge où Marcelle allait danser le Charleston les samedis soirs, beaucoup d’autres femmes étaient déjà mères de plusieurs enfants et confinées à leur cuisine.
C’est en 1936 que Marcelle, 28 ans, et Jos, 27 ans, ont uni leur destinée. Délaissant temporairement les soirées de danse pour fonder une famille. Oh combien elle a été jugée, Marcelle! Honte à elle qui confiait ses enfants à des « étrangers » pour aller travailler. Car, oui, Marcelle travaillait à l’extérieur dans une manufacture de vêtements. Marcelle conduisait une voiture et elle laissait ses enfants aux bons soins de sa voisine Mariette, qui, n’ayant pas d’enfants elle-même, se faisait une joie de pouvoir gâter ces deux adorables bouts de chou. Ma mère me parlait souvent avec amour de Mariette et de son époux Ti-Ouis qui ont laissé de beaux souvenirs dans son cœur. Aucun traumatisme de ce côté.
On la pointait du doigt, ma grand-mère, parce qu’elle menait sa vie comme elle l’entendait. C’est tellement dommage qu’elle n’ait jamais pu savoir à quel point elle m’a inspirée en ayant l’audace de briser les barrières de cette époque difficile pour les femmes. Elle est mon modèle, je la considère comme une pionnière. C’est grâce à des femmes comme ma grand-mère que les mentalités ont peu à peu changé. Merci à toutes ces femmes qui nous ont pavé le chemin pour les futures générations.
Voici Monique, née en 1938, ma mère

Déjà petite fille, ma mère n’en laissait passer aucune. La discipline et les règlements, très peu pour elle. Son papa, complètement ensorcelé par sa petite Monique, y était sans doute pour quelque chose.
Le caractère très fort de ma mère lui a souvent joué des tours. Prendre ses jambes à son cou était bien souvent la meilleure solution face à cette tigresse. La famille apprendra beaucoup, beaucoup plus tard que ma mère souffrait de graves troubles du comportement. À cette époque, parler de santé mentale était pire qu’invoquer le diable. Évidemment, cet état lui a nui tout au long de sa vie et, comme elle ne savait pas trop ce qui se passait dans sa tête, imaginez la bombe à retardement qui sommeillait en elle… Du solide!
Malgré sa problématique de santé mentale, ma mère pouvait à peu près fonctionner en société. C’était une très belle femme; on ne peut pas le nier, la beauté est un facteur facilitateur dans la société. Donc très belle et formée comme secrétaire, elle n’avait aucune difficulté à se trouver du travail; le garder était plus difficile.
Avec les revenus supplémentaires de la famille grâce au salaire de Marcelle, ma mère avait eu la chance de suivre des formations dans les meilleures écoles; art dramatique, chant, ballet.
Déjà à l’âge de 9 ans, elle chantait dans les cabarets, imaginez! Plus tard, faute de garder un travail, son talent de chanteuse la mènera à faire partie d’un groupe de musique. Pour elle, la vie nocturne incarnait le plaisir de se sentir vivante.
Elle se maria avec l’accordéoniste du groupe et décida de rester à la maison pour fonder une famille. Son désir de travailler ne la quitta jamais. Aussitôt qu’elle le pouvait, elle se trouvait des petits boulots provisoires ici et là qui assouvissaient son désir de sortir de la maison, comme elle disait.
Tout comme ma grand-mère, ma mère n’était pas une femme de maison. La cuisine et le ménage, très peu pour elle. Elle se sentait en revanche très à son aise dans une soirée cocktail, lorsqu’elle n’y faisait pas de scandales. Il y avait de bons jours et de mauvais jours chez ma mère, mais impossible de prédire l’un ou l’autre. J’ai appris à vivre sur un coup de dé.
Malgré sa maladie, elle réussissait toujours à se frayer un chemin partout où elle le désirait. Ses brefs passages dans la vie des autres n’étaient souvent pas assez suffisants pour qu’on remarque trop ses traits de comportement problématique.
Fervente admiratrice de René Lévesque, alors chef du parti québécois, elle réussit le tout de force de le recevoir à la maison pour une rencontre de comté. Imaginez ce qu’elle aurait pu accomplir sans les limites de sa maladie.
Malheureusement, puisque j’ai vécu avec elle les 20 premières années de ma vie, et qu’ensuite elle a fait partie de ma vie de femme pour un peu plus des 30 autres, je garde d’elle énormément de souvenirs désagréables. Avoir une mère ayant une problématique de santé mentale s’est révélé être une très grande épreuve pour moi. Et malgré que je reconnaisse son courage d’avoir affronté sa vie chargée de tant d’embûches, je ne peux me résoudre à oublier toutes les tempêtes qu’elle a provoquées dans son sillage et toutes les blessures qui viennent avec.
Je lui dois tout de même le mérite d’avoir pavé mon chemin, car elle m’a obligé, sans doute malgré elle, mais quand même, à me débrouiller seule et à devenir forte et combative.
Alors me voici, Sylvie, fille de Monique et petite-fille de Marcelle, née en 1964.

Vous le devinerez sans doute que tout comme ma mère et ma grand-mère, je préfère les soirées animées que les journées à cuisiner.
Je pétais carrément les plombs lorsque, jeune étudiante, mon grand-père me disait : « T’as pas besoin d’études pour changer des couches ». Moi qui étais tout heureuse d’avoir été acceptée au cégep dans la discipline que j’avais choisie. Quelle insulte!
J’ai connu ça, moi, l’époque où la secrétaire allait faire le café à son patron, qui était forcément un homme. J’ai aussi connu l’époque où je lui répondais « on serait pas mal plus efficaces, s’il n’y avait que des femmes dans les bureaux »
J’ai toujours dit ce que je pensais, quoique ce ne soit pas nécessairement une bonne idée. C’était plus fort que moi, les injustices envers les femmes, mais aussi les injustices tout court m’ont toujours horripilée.
Militante féministe, non, mais je savais ce que je voulais et quoi faire pour y arriver.
Aujourd’hui…
Je suis fière aujourd’hui de constater que mon fils accomplit les tâches ménagères, s’occupe des enfants, fait les courses, sans penser une seule seconde que ces tâches reviennent à sa femme. Je suis fière du chemin parcouru depuis tellement d’années pour une juste équité et un équilibre entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société.
Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais rien ne l’est de toute façon. Soyons reconnaissantes de ces femmes qui nous ont précédés pour ce legs héroïque.
Ne les oublions pas. Il y a eu Marcelle, Monique et tellement d’autres qui ont marché avant nous!