Petite fille, tous les samedis matins, ma sœur et moi prenions l’autobus sur la rue St-Denis, la 30 si ma mémoire est bonne et nous allions passer presque toute la journée chez Mme Jean-Louis Audet. Cette femme, grande amoureuse de la langue française, a vu défiler chez elle beaucoup de jeunes comédiens et comédiennes de l’époque dont Monique Miller, Jean-Louis Roux, Gilles Pelletier, Béatrice Picard, presque tout le bottin de l’Union des artistes est sans doute passé chez elle. On pouvait y croiser aussi des futures vedettes telles que Pierre Lalonde, Denise Bombardier, Geneviève Bujold, Robert Charlebois et André Brassard. Madame Audet habitait au rez-de-chaussée d’un grand triplex sur la rue St-Hubert à Montréal au cœur du Plateau Mont-Royal. Le genre d’immense appartement flanqué d’un long corridor au bout duquel se trouvaient la cuisine et un escalier menant au sous-sol dans lequel avaient lieu les cours de diction et d’art dramatique qu’elle donnait à des groupes d’enfants dont ma sœur et moi faisions partie. Dans cette grande pièce se trouvait un piano et Mme Audet qui portait souvent un grand chapeau à large rebord piqué d’une aiguille y jouait en nous accompagnant pendant que nous chantions des comptines. Je me souviens entre autres de l’Île aux corsaires que j’ai repris plus tard avec ma sœur lors d’un mariage. Ce moment fut mémorable, car personne ne connaissait cette chanson et comme la plupart des convives étaient plus ou moins ivres, ils écoutaient nonchalamment notre duo qui s’époumonait sur le podium. Ce fut le début de la fin de notre trop brève carrière…
C’était toute une expédition que d’aller chez Mme Audet. L’autobus qui y menait était souvent bondé et il nous arrivait de faire le trajet debout. Arrivées à destination, nous descendions au coin de St-Denis et Rachel où se trouvait un restaurant de hot-dog et de frites qui me semblait être le summum de la haute gastronomie. Pour la modique somme de 25 cents, nous pouvions manger deux hot-dogs et une frite bien graisseuse arrosée d’un coke. De temps en temps, nous prenions aussi une soupe au poulet et nouille du grand chef Campbell. La facture totale devait s’élever autour de 75 cents! C’était ma sœur qui tenait les cordons de la bourse…
En sortant du casse-croûte, à quelques rues de là, nous arrivions enfin chez Mme Audet et nous allions au sous-sol rejoindre les autres enfants. Son « école du petit monde » était très populaire à l’époque. Nous récitions des fables de Lafontaine, chantions des comptines comme « Mon petit oiseau est dans une cage, regardez, regardez comme il est beau, sur sa petite tête il a un petit plumeau, regardez, regardez comme mon oiseau est beau ». Nous chantions cette comptine en tenant à la main des petites cages en plastique qui contenaient des fausses perruches. J’ai encore cette chanson enfantine en tête après toutes ces années, c’est vous dire à quel point cette période m’a marquée.
Madame Jean-Louis Audet de son véritable nom Yvonne Duckett avait un amour véritable pour la langue française et le « bon parler » comme nous le disions à l’époque. Elle a su inculquer cet amour à ses élèves et elle fait sans aucun doute partie de notre patrimoine culturel collectif.
Petite anecdote : Madame Audet a été immortalisée dans la chanson Miss Pepsi interprétée par Robert Charlebois et dont le texte de Mouffe dit ceci : « Elle a étudié le chant, le piano, la claquette, la diction, le ballet, chez Madame Audet, elle en faisait tellement, un vrai p’tit chien savant ».
Je me considère privilégiée d’avoir connu cette femme passionnée par notre belle et combien riche langue! Cette femme d’exception a été une véritable pionnière dans son domaine. Décédée en 1970 alors que j’avais 13 ans, je n’allais plus suivre ses cours, mais j’ai essayé de mettre en pratique toutes les notions acquises au fil des ans en allant le samedi chez Mme Audet…
11 Responses
C’est la première fois que je lis un article au sujet de cette grande dame que j’ai connu toute jeune. Elle était mon professeur de diction. J’ignorais qu’elle était décédée. Merci pour cet article qui a ravivé tant de souvenirs. Merci Madame Audet!
J,ai été a cette école de diction ou j’ai appris beaucoup par sa formation et ces séances de spectacle. Elle fut imporante dans mon développement, je prononcais pas mes R et aujourd’hui comme un chanteur d’opéra mes R , retentissent grace a cette grande dame
Vous souvenez-vous de:
Il y a dans la vie des sons et des bruits familiers à nos oreilles,
En les écoutant attentivement on peut découvrir des merveilles.
Il y a plus de 60 ans que je fredonne cette chanson. Je l’ai apprise, assis avec ma maman, en regardant ma grande soeur, debout, la chanter avec les autres enfants. J’étais admiratif et espérais grandir vite vite pour être assez grand pour me joindre au groupe.
Merci madame Audet ?
Comme je rêvais d’aller chez madame Audet mais malheureusement, je n’ai pu qu’en rêver car de toute évidence, ça ne faisait pas partie des plans que mes parents avaient pour moi.
Je fréquentais une école de diction à Québec ou Mme Audet venais nous faire passer
des examens .
Il y avait aussi un petit livre de contines écris par Mme Audet , que nous apprenions .
je n’ai malheureusement plus ce livre
que j’aimerais bien retrouvé
si quelqu’un peut me renseigner je serais intéressé
merci
J’ai mis la main par hasard sur une copie du livre Les monologues du Petit-Monde, Éditions Beauchemin de 1956 (édition originale 1938).
Ma fille de 5 ans apprend de si jolies monologues (parfois un peu démodés, haha!). Madame Audet serait fière de voir sa relève. :-)
Mme Biron,
est ce possible d’en obtenir une copie ?
je vous laisse mes coordonnées [email protected]
merci,
Madame Turcotte,
Vous pouvez éventuellement en trouver un exemplaire sur le site Etsy. Je viens d’ailleurs de m’en procurer un, il vient des États-Unis ! j’ai demandé au vendeur comment expliquer qu’un tel livre, par surcroît écrit en français, puisse se trouver en banlieue de New York. Il semble que le livre fut acheté chez un antiquaire. En tous les cas il est en parfaite condition !
Lorsque j’avais 4 ans, j’ai suivi des cours de diction chez Mme Audet, et je me rappelle encore le chant de » Mon petit oiseau est dans une cage… ». J’habitait sur la rue Sherbrooke coin Des Érables et ma mère m’y amenait le samedi matin. À l’époque j’étais très gêné et j’étais le dernier à prendre une petite cage, c’était toujours la plus petite. Quels beaux souvenirs.
Que de beaux souvenirs ce texte me rappelle . J’avais autour de cinq ans et je partais d’Ahuntsic avec ma mère, on s’y rendait en autobus. Je me souviens d’un lieu mystérieux, un sous-sol, on était un petit groupe d’enfants à chanter Mon petit oiseau est dans une cage, en tenant comme un casseau de fraises en plastique renversé avec accroché au centre un petit oiseau léger. Je me souviens très bien de la chanson parce que ma mère nous la chantait au fil des ans, cà faisait partie de notre répertoire musical familial ! Et aussi le petit livre bleu de comptines avec la photo en noir et blanc de madame Audet, j’aimerais tant le retrouver. Les années ont passé, ce n’est que plus tard que j’ai réalisé ma chance d’avoir fréquenté, quoique brièvement, un lieu mythique de notre patrimoine culturel.
La curiosité m’a poussé à chercher sur wikipédia concernant des informations sur Madame Jean-Louis Audet.
Oui, j’ai eu la chance d’aller à ses cours de 1953 à 1956. De jeunes artistes en devenir assistaient Mme Audet lors des cours de diction et autres. J’ai eu Andrée Champagne et Germaine Dugas. Oui la chanson de mon petit oiseau est toujours dans ma mémoire et deux de mes petites filles la connaissent par coeur. Le soleil fait chanter les oiseaux quand il se pose sur leurs joues roses, plus de pleurs….etc.
Le bambin prend son bain (prononciation) Nous avions notre petit spectacle de fin d’année,, wow c’était spécial.
Il y avait aussi le petit chaperon rouge (avec la cape rouge et le petit panier) Ma soeur aussi a suivi pendant 2 ans des cours chez Mme Audet. Quelle belle discipline. J’ai suivi des cours de chant lyrique plus tard et cela m’a beaucoup aidé comme chanteuse semi-classique.
Je me rappelle qu’il y avait une petite fille comme moi, blonde de mémoire et qui se nommait Louise Arbour….. Belle et agréable nostalgie