Bye poulet #2 - Les Radieuses

Bye poulet #2

Sa chambre est vide, mon cœur aussi. À moitié vide. Parce que poulet # 1 lui, est encore à la maison. Il est né en 96. Dans le cours des choses, je m’attendais à ce que ce soit lui qui parte de la maison le premier. Petit, il se poussait toujours. J’ai d’ailleurs constaté l’efficacité du système de Walmart quand un enfant disparait : « à tous les associés, cherchons garçon de 5 ans avec un jeans et un t-shirt vert ». Tous les employés arrêtent les tâches auxquelles ils s’affairent et les portes se verrouillent automatiquement. En moins de deux, on a retrouvé mon grand, enfoui sous un tourniquet à pantalons. Il a perdu rapidement son sourire de fierté de s’être si bien caché quand il a dû passer le reste du magasinage dans le panier avec son petit frère. Poulet # 2 était plutôt du genre en dessous des jupes de sa mère. Heureusement, je n’en portais jamais. Il pleurait dès qu’il ne m’avait plus dans son champ de vision. Pourtant… Pourtant, c’est lui qui est parti en premier. À 18 ans. 18 ans, c’est beaucoup trop jeune pour quitter le nid. Le corps et le cerveau se développent encore. Le jugement n’est pas à son maximum. Mais à cet âge, on est majeur, et quand on est majeur, on peut faire ce qu’on veut, surtout quand on a un esprit libre comme lui. Il me l’a annoncé quelques mois avant. En fait, il l’a tout simplement dit à son père et son frère, alors que j’étais dans une autre pièce. Il savait que j’entendais. Il devait se douter de ma réaction et ne pas avoir envie de négocier avec mes yeux humides. Mais je suis restée muette. Aucune réaction extérieure. J’espérais juste que cette idée de fuir la banlieue pour Montréal s’estompe, du moins, le temps qu’il soit encore aux études. Bien d’autres idées saugrenues lui avaient effleuré l’esprit pour ensuite s’évaporer comme une bulle de savon.

Les cinq colocs ont trouvé un appartement. Cinq colocs. Quatre gars, une fille. Pauvre fille. C’était maintenant du concret. J’ai pleuré, beaucoup, souvent, en cachette, le matin dans la douche, le soir en me couchant ou dans la voiture. Je dois préciser qu’il y a un peu plus d’un an, on a failli perdre ce poulet. Un grave accident. Multitraumas. J’avais dû relativiser les choses à ce moment pour arriver à passer au travers. D’abord être forte pour l’accompagner dans sa réadaptation, et surtout, me convaincre que ça aurait pu être pire. La paralysie. La mort. Il est tellement vivant qu’il est maintenant parti vivre sa vie d’adulte.

Je sais bien que nos enfants ne sont pas notre propriété. On a quelques années pour leur inculquer des valeurs qui nous tiennent à cœur. On travaille pour les rendre autonomes. Mais au moment où ils s’en vont, comment faire pour savoir s’ils sont prêts, vraiment prêts ? Je me réconforte en me disant qu’à cet âge, on a encore droit à l’erreur et que son père et moi ne serons jamais vraiment loin.

Est-ce que je m’ennuie de sa chambre bordélique ? De son air pas toujours joyeux avec moi ? De ses yeux qui roulaient dès que je posais trop de questions ? Du silence radio en réponse à mes textos pour lui demander s’il venait souper ? Certainement pas. Ce qui me manque ce sont nos discussions pour refaire le monde, nos échanges quand il m’accordait de son temps et surtout, les fois où il me demandait mon opinion ou mon aide. J’éprouve une profonde satisfaction quand un de mes poulets vient me demander ce que je pense de ci ou ça. Je dirais même que c’est une satisfaction très difficile à battre.

Je fouine dans l’agenda Google qu’on partage parce qu’il ne nous a pas encore enlevé l’accessibilité, et je continue d’écrire ses heures de travail sur le calendrier familial. Il m’arrive parfois, comme un manque de sucre à 3h de l’après-midi, quand je ressens ce vide de ne pas savoir où il est, qu’est-ce qu’il fait, de consulter l’agenda pour sentir comme une certaine emprise sur lui, comme quand il était petit. Mon chum n’est pas moins poule. Il cuisine toujours une portion de plus. (Oui, c’est mon chum qui cuisine, tout le temps, mais ça, c’est un autre sujet.) Le lave-vaisselle se remplit moins vite. Il y a moins de lavage à faire. Il vient déguster les bons repas familiaux dans son ancienne banlieue une fois par semaine et repart avec des petits plats congelés. J’ai peur qu’il ne s’alimente pas bien, d’autant plus qu’il commence un virage végétal. « T’es certain que tu manges assez de protéines ? » Disons que ce grand pic n’a pas beaucoup de réserve de graisse.

Il me téléphone. Oui, oui, il m’appelle parfois et me fait la jasette… plus que trente secondes. Wow! Il me partage ses bonnes nouvelles et me le dit quand il est heureux. Il me fait de beaux câlins quand on se voit et n’oublie jamais de me dire qu’il m’aime lorsqu’il repart. J’apprécie. Mais les moments où il sera malheureux, ou triste, est-ce qu’il m’en parlera ? J’espère que oui. Je sers à ça aussi. Pourtant, je me souviens avoir voulu épargner ma mère pour ne pas la stresser. Ne pas lui dire que ma carte de crédit était pleine ou que je venais d’être quittée par un mec. Je ne voulais pas qu’elle angoisse. Mais aujourd’hui, je comprends que peu importe, elle devait s’en faire. Je pense que quand on devient mère, l’inquiétude vient avec. Et ce n’est pas (surtout pas) parce que notre bébé devient un adulte que cette inquiétude s’envole.

La chambre est vide, et mon cœur aussi. Mais j’en ai une autre de pleine et c’est celle de poulet # 1. Je sais que ce n’est qu’une question de mois avant le grand départ. Mais au moins, ça me donnera le temps, comme je l’idéalisais, de remplir un beau coffre de vaisselles, de serviettes ou tout autre accessoire de premier appart, en guise de trousseau, comme ma mère l’avait fait pour moi. Et quand ce sera le temps, celui, où mes deux poulets auront leurs nids à eux, je me rabattrai sur mon chien, même si je materne déjà beaucoup trop cette petite bête à poil !

En attendant, vous avez des idées de ce que je pourrais faire avec cette chambre vide ?

 

14 Comments
  1. Cela me rappelle le départ de ma fille unique, alors âgée de 17 ans. J’ai dû faire le deuil de ma vie de mère, du moins celle qui prend soin dans le quotidien. J’en ai pleuré un coup… Et réapprendre à aimer et prendre soin différemment de poussin #1. C’était comme si j’étais en cure désintoxication pendant un certain temps. Aujourd’hui, ma fille et moi sommes plus proches que jamais et elle attend son 2e enfant, une petite fille cette fois ci. C’est ça la vie!
    Merci Maryse pour ce beau texte!

    1. Merci Hélène, je comprends ce que tu me dis, c’est vrai que la relation est différente maintenant. Quand on se voit c’est de la pure qualité !

  2. C’est tellement vrai tout ça! Très bien écrit, on dirait que c’est moi qui m’exprime sauf que moi c’est mon 2e poulet qui a quitté en juillet, me reste plus que mes deux petites Yorkshire et mon mari – évidemment!

    1. Linda, mon plus vieux, celui qui reste part l’été prochain avec sa blonde. Je suis en train de me préparer mentalement. Et moi aussi, heureusement que j’ai mon chien 🙂

    1. Raymonde, je sais bien. Ma mère me disait: nos enfants ne nous appartiennent pas, ils nous sont prêtés ! À nous de les rendre le plus autonome possible et s’assurer qu’ils deviennent de bonnes personnes avec de belles valeurs.

  3. Il faut redécorer la chambre et en faire un bureau ou mieux une chambre d’invités . C’est tellement dur de voir partir nos poulets qu’il ne faut pas qu’ils jouent au yoyo avec nos sentiments, en partant et revenant à leur gré. En redécorant la chambre le poulet en question comprendra que nous respectons son choix , mais que nous passons à autre chose. À l’intérieur de nous, nous savons très bien que nous ne les laisserons jamais dans les problèmes, mais s’ils choisissent de vivre leur vie de leur côté, ils doivent en assumer les conséquences.

    1. Tu as raison Johane, par contre, je me connais et je ne pourrais jamais refuser de les dépanner s’ils étaient dans le besoin. J’ai effectivement redécoré la chambre. Mon chum m’a fait un super walkin de chaussures. Même poulet #2 trouvait ça déprimant de voir sa chambre vide quand il revenait. J’ai même mis des petites lumières décoratives qui donnent une belle chaleur.

  4. Je suis là aussi !
    Vive les textos et facetime 🙂 Surtout quand il veut comprendre le fonctionnement de la machine à laver……Mon avis demeure important et je suis très contente de constater qu’il a encore besoin de nous. Je me demande parfois qui a le plus besoin de l’autre.
    Texte très touchant Maryse, merci x

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