Étrennes livresques - Les Radieuses

Étrennes livresques

Je viens de le confirmer avec Antidote, les étrennes se reçoivent en fin ou en début d’année. Pas à Noël! Les quatre titres sélectionnés pour votre début d’année proviennent de plusieurs horizons. Si vous me connaissez un peu, vous ne serez pas surpris de découvrir un polar bien noir par la journaliste maintenant à la retraite, Michèle Ouimet. Elle s’est lancée dans le genre et ma foi, on dirait que le journalisme mène directement à l’enquête.

J’ai lu de près Grand chelem, ce titre que, littéralement, je trouve aussi mystérieux après ma lecture. Une fois ce 293 pages déposé, je ne saisis toujours pas à quoi l’auteur fait allusion avec son grand chelem. Qu’importe, si cet auteur masculin, évacuant ses émotions, est intéressant, je n’en ai cure du sens du titre. Vous êtes invités à entrer dans sa tête paniquée : six mois à ne rien faire.

Pour commencer l’année en beauté, vous ne serez pas surpris de découvrir sous ma loupe deux romans historiques. C’est une drogue pour moi, sonder notre passé afin de ne jamais oublier d’où l’on vient. J’ai été attirée par le bouquin La maitresse de Camillien, son apparence m’a tout de suite conquise par son esthétisme original. Les livres, comme les personnes nous donnent ou non envie de les connaître par leur apparence extérieure. Il ne faut pas juger un individu par son apparence extérieure, mais je vous avoue que je prends ma revanche en jugeant allègrement les couvertures de livres! Le dernier titre Léonie et Victoria m’a séduite de la première à la dernière page. J’ai accompagné des femmes valeureuses dans une pension à Montréal, sise dans un quartier où la prostitution va bon train.

L’homme aux chats de Michèle Ouimet – Boréal NOIR

L'homme aux chats

Eh oui, depuis peu, Boréal fait dans le « noir », répondant à la demande du lectorat qui réclame de plus en plus d’enquêtes. Je vois dans cette nouvelle appréciation du lectorat, le désir ardent de voir une histoire l’emporter sur les personnages et les opinions personnelles du narrateur. Bref, on sort du « je » pour se jeter à corps perdu dans une intrigue aux rouages bien huilés. Un tueur en série fait rage et tant les journalistes que les policiers ne savent quelle piste suivre pour le débusquer. Le tueur a une signature, l’égorgement d’un chat, une victime féminine nue, violentée, une pile de vêtements déposés méticuleusement à côté du cadavre. Qui peut être à ce point tordu? Ça fait peur. Le tueur montre plusieurs faces et sa prestation de bon citoyen est assez impeccable pour qu’on y voit que du feu.

Michèle Ouimet pousse loin l’audace de la façade lisse et trompeuse. Est-ce que ça colle à la réalité? J’ai éprouvé un léger doute que j’ai assez rapidement remballé par reconnaissance de l’ingéniosité du récit. Et son rythme, et son aisance et, je l’avoue, le plaisir non négligeable de me faire surprendre par de l’inédit dans le monde du polar. Je serais prête à gager que Michèle Ouimet a lu la trilogie de David Goudreault « La bête intégrale ». J’ai décelé certains airs de famille, comme le chat torturé et l’accès aux pensées élaborées d’un tueur « bon citoyen » – qui attire la sympathie. Un meurtrier, noir comme les ténèbres de l’intérieur et blanc éclatant de l’extérieur.

« Ne pas avoir l’air de qui on est » est un art qui se mène avec brio, ou avec fiasco si le lecteur n’y croit pas à cent pour cent. Je me suis donné la permission d’y croire, en ne nourrissant pas mes doutes, au nom de ma sympathie pour le personnage de la journaliste, Marie Pinelli. Elle se fait prendre au jeu qui n’en est pas du tout un. Une journaliste bien campée avec de sympathiques défauts porte à l’indulgence. C’est, par contre, une histoire qui m’a frustrée par sa toute fin. Peut-être que Michèle Ouimet ne sait pas encore combien un lecteur de polar s’attend à voir souffrir le mécréant. C’est sa récompense. 😉

Grand chelem de François Leblanc – Québec Amérique (LA)

Un professeur est radié de son ordre professionnel durant six mois pour inconduite sexuelle. Ne sautez pas trop vite sur votre bouton « haine » pour le poignarder en plein cœur, cet homme est peut-être innocent… et dans les deux sens du terme! Innocent parce que non coupable ou innocent parce que trop naïf, vous avez 293 pages pour en débattre avec vous-même — François Leblanc a une conjointe, une famille et du temps à profusion, quel drame!

Vous croirez à la perturbation de ce personnage, non pas pour sa gaffe à l’égard de l’étudiante Bianca, mais pour sa peur insensée devant l’oisiveté. C’est une première pour moi de rencontrer une personne aussi paniquée devant six mois de congé. Pas payé, d’accord, mais l’homme a des économies, c’est le facteur « temps » à écouler qui le terrorise. Comment s’occuper quand on est seul maître à bord de son horaire? Quel casse-tête pour un homme habitué d’être encadré à la minute près?

Heureusement, sa victime étudiante viendra le hanter dans tous les racoins de sa vie, même lorsqu’il se décidera à voyager. Que l’accusatrice se retrouve aussi souvent sur son chemin tient de la pure fantaisie. Le chapeau du « hasard » ne fait pas à toutes les têtes! – Je l’ai accepté, en me disant que si l’humour peut être noir, acerbe, pince-sans-rire, pourquoi pas, fantaisiste! – Sur un ton léger et amical, le narrateur se confie en espérant nous arracher des sourires. C’est à peu près sa seule prétention. J’ai sûrement souri, mais j’ai surtout oublié durant quelques heures notre pandémie planétaire. Ce n’est pas rien! Lecture légère comme une bulle de savon qui éclate en sourires.

Nativa (1884-1955) : La maîtresse de Camilien – de Michèle Laliberté aux éditions Sémaphore

Avez-vous remarqué l’apparence de ce bouquin? J’ai été conquise, ne voulant pas rater l’occasion de le tenir entre mes mains et de le feuilleter. Il n’y a pas que les mots qui nous accrochent, les photos également, avec cette impression de fouiller dans un album de famille. Les histoires de maîtresse de politicien méconnu ou reconnu vont toujours chercher le côté voyeur. Écornifler et réfléchir. En ces années où les femmes se tenaient dans l’ombre des hommes, ou uniquement sous leurs draps, portant le titre officiel de maîtresse. J’ai toujours trouvé ironique que nous appelions maîtresse celle qui se soumet entièrement au bon vouloir d’un homme. Elle n’est maîtresse de rien.

Cette maîtresse, répondant au prénom de Nativa, avait les prérequis pour revêtir cette vie de femme entretenue. L’autrice fait partie de la famille de Nativa, ce qui porte à croire que l’écrit coule de source sûre. Avant tout, il est question de trois orphelines qui, chacune de leur côté, se composeront une vie avec ses valeurs propres. L’aîné de ces orphelines se retrouvera au bras de Camilien Houde de qui on apprendra peu dans ce récit à saveur biographique.

Heureusement, la vie des trois sœurs est intéressante en soi, on s’y plonge avec curiosité, d’autant plus qu’ayant chacune reçu une éducation différente, elles ont des avis divergents. L’aîné Nativa, recevant des sommes importantes du politicien Camilien Houde régente la vie de sa sœur Florida qui a eu deux enfants, dont Hubert Laliberté, père de l’autrice. La soumission de sa sœur Florida face aux décisions de Nativa surprend, mais il faut se replacer à l’époque où la personne qui payait, régnait!

Le livre se découvre comme un album de photos avec des légendes fournies. Même si je suis resté sur ma faim, pour le peu d’anecdotes sur Camillien Houde, j’ai maintenant la piqûre de mieux le connaître. C’est rare de rencontrer la femme de l’ombre avant l’homme réputé. Après tout, cet homme fut maire de Montréal durant quatre mandats. Jamais son épouse ne se serait doutée de sa relation extraconjugale de vingt ans, aux dires de Nativa. On n’a pas le choix de la croire! Carnet biographique de mots et d’images d’époque s’avalant goulûment.

Léonie et Victoria de Mélanie Calvé – Éditions Fides

Mélanie Calvé est ma récente autrice historienne chouchou. Je n’ai pas peur de le clamer, j’ai un préjugé favorable à son égard. Ce dernier titre ne m’a pas déçue, j’en suis même enchantée. L’autrice nous amène à vivre dans les années 40, à Montréal. Comme ce n’est pas le lieu de naissance de Léonie, elle habite dans une pension pour jeunes filles. Cette pension tenue d’une main de fer dans un gant de velours par Henriette, femme au caractère bien trempée.

Rarement, j’aurai vu chez un être humain plus ardent désir d’aider les jeunes femmes s’égarant dans le cercle vicieux des maisons closes. Sa pension héberge des femmes qui veulent se prendre en mains. Elle les guide avec fermeté et bienveillance et va même les tirer de l’enfer de la prostitution, s’il le faut. Deux des pensionnaires assidues sont Léonie et Victoria qui, progressivement, tisseront des liens forts entre elles. Il y aura des hauts et des bas, leur amitié naissante frappera des nœuds qui se dénoueront dans l’écoute attentive de l’autre.

J’ai aimé suivre chacune des pensionnaires, ainsi que dame Henriette qui a plus d’un tour dans son sac pour contrer la luxure. Cette histoire réaliste et bien campée explore la sexualité de ces années-là. Ce n’est pas comme un documentaire… quoiqu’on en apprenne pour la peine en regardant vivre ces demoiselles qui s’efforcent de ne pas couper leurs « ailes », pour s’envoler vers une vie reflétant leurs valeurs. La force de ce roman est la relation approfondie de Victoria et Léona. On s’attache à leur relation, on l’épie, l’analyse, l’admire. Roman précurseur sur les mœurs de l’époque, toujours aussi bien mené par une Mélanie Calvé, autrice que vous devez découvrir en 2022. C’est en tout cas ce que je vous souhaite de tout cœur!

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