Les écrivains passent toujours par une première fois. Et pour eux, c’est stressant, même traumatisant : seront-ils reçus par les lecteurs, les lectrices? Ils ont assez souvent tout mis dans leur premier roman : leur cœur, leur corps, leur âme. Pendant des années, ils ont rêvé d’être publiés. Et là, ça y est, une maison d’édition a accepté de prendre un risque sur leur premier ouvrage. La maison d’édition prend le risque de mettre de l’avant une personne inconnue du grand public. On s’entend que publier le premier roman de Lise Dion n’est pas un risque à tout casser, mais publier Dominique Hudson ou Mathieu Rolland, c’est plus hasardeux.
Ce mois-ci, j’ai deux premiers romans à vous soumettre, pondus par les hommes ci-haut mentionnés. Lorsque je tiens un premier titre entre mes mains, j’éprouve un léger vertige. Et puis, je me lance et, rarement, je regrette mon investissement de temps. J’ai ajouté à ma récolte deux valeurs sûres : Fanny Britt avec Faire les sucres et Mélanie Calvé avec Anaïs.
Souvenir de Night de Mathieu Rolland – Édition Boréal
Un premier roman réussi, l’auteur ayant su cerner son sujet en le poussant dans ses derniers retranchements. Night est le pseudo d’une escorte dont une dame appelée à voyager s’amourache. Cette attraction à sens unique se transforme peu à peu en obsession, et c’est crédible.
J’ai toujours pensé qu’une relation consommant de la sexualité misait sur la discrétion, en faisant abstraction le plus possible de l’échange d’argent, mais dans Night, ce n’est pas le cas. La femme faisant appel à Night s’amuse de son pouvoir de le payer pour ses services. Elle a besoin de tester son escorte; accepterait-il de se prêter à ces sorties et ces séances de baise gratuitement? Uniquement pour ses beaux yeux et son esprit fin?
On y expose la capacité à poser des gestes amoureux (un bec sur la joue, jouer dans les cheveux, de l’écoute attentive), lesquels sont une commande pour combler un besoin précis de l’autre. Night est prévenant, se fait l’esclave des désirs de la payeuse, tandis que son indépendance affective lui conserve toute sa noblesse. Tellement, que les rôles finissent par s’inverser, la consommatrice devenant peu à peu l’esclave de la présence de l’escorte. Elle le veut de plus en plus longtemps, en entier, avide de son esprit, elle perd contenance. La fière indépendance de Night stimule le désir qui s’exacerbe.
En arrière-plan, une histoire d’affaires vient se greffer d’une manière anodine et secondaire. Somme toute, un thème pas si souvent exploité par un auteur masculin qui s’est permis d’entrer dans la peau d’une femme. S’il y a un point qui m’a un peu embarrassé, c’est le fait que la dame, à mon avis, était affublée de fantasmes prêtés habituellement aux hommes. Par exemple, est-ce que la gent féminine irait jusqu’à boire du sperme refroidi à même un condom pour le plaisir de s’imprégner de l’autre? Il me semble qu’on est loin d’un fantasme féminin. Mais peut-être que je me goure, après tout, qui suis-je pour en juger? Je vous laisse donc le dernier mot de l’histoire : vrai ou faux.
Casa de la Danza de Dominique Hudson – Libre Expression
Un roman, oui, et également un voyage à La Havane (la grande, la noble, la festive), ainsi qu’à la Little Havana, quartier d’immigrants illégaux cubains situé à Miami. On valsera d’une Havane à l’autre dans les bras entrainants de la musique et de ses grands airs. Alicia, une danseuse vedette s’inquiète de l’avenir de sa fillette de deux ans.
À Cuba, on appréhende le régime de Castro : est-ce que la liberté y sera amputée? Cette étoile de la danse exige le meilleur pour sa progéniture, quitte à se trancher le cœur en deux. Elle décide de condamner la relation avec sa propre mère en lui confiant sa fillette.
Un jour de tempête épique, la grand-mère et sa petite-fille partiront à l’aventure, à la Little Havana, pour le meilleur ou pour le pire. Restée à La Havane de Cuba, la danseuse étoile, Alicia n’entendra plus parler de sa mère ni de sa fillette de deux ans. Elle ne tentera pas de les rejoindre, pour leur sécurité.
Le lecteur, lui, se promènera d’une Havane à l’autre, d’un cabaret à l’autre, d’une danseuse à l’autre. On suit la vie de la grand-mère et celle de sa fille restée seule à Cuba. Est-ce que cette dernière vivra en paix avec ce sacrifice grandiose de perdre et sa mère et sa fille? L’histoire le dira.
On voit que l’auteur s’est bien amusé à raconter cette histoire, j’ai senti son amour jubilatoire pour la danse, la musique, les cigares, la fête. En ces jours de « non-rassemblement » au Québec, il fait bon de voir des gens se réunir, se coller, se bécoter. Le parfum dégagé par cette histoire est de la bonne humeur contagieuse, assez que les drames y glissent comme sur la peau d’une plume de danseuse. Ce n’est pas le genre d’œuvre qui fouille la psychologie des personnages, sondant leurs émotions profondes. L’action file sur une surface lisse (un plancher de danse!) et le maître d’œuvre chorégraphie ses personnages plus qu’il ne les décortique, d’où mon incrédibilité devant la décision dramatique de la mère. Somme toute, un roman qui met le cœur en joie si l’on ne s’entête pas à creuser les motivations psychologiques des personnages.
Les valeurs sûres
Faire les sucres de Fanny Britt – Édition Le cheval d’août
Quel succulent titre que voilà! Le sucre, moi, ça m’attire, c’est connu. Deux histoires qui tournent autour du sucre, car le titre est loin d’être gratuit.
Adam et Marion sont heureux, ou en tout cas, ils ont tout pour l’être. Est-ce que l’obligation d’être heureux a engendré une pression qui s’est progressivement déposée sur leurs épaules? Toujours est-il que dès qu’un bête accident surgit, il ira bouleverser Adam au point qu’il en perd la relativité des évènements et même jusqu’à sa motivation au travail. Ce chef cuisinier et animateur de renom à la télévision a failli mourir, comme cela nous arrive tous un jour, mais lui, ne le prendra pas.
À partir de ce moment, sa vie bascule dans une nébuleuse, entrainant la sérénité de sa conjointe dans son sillage. Est-ce parce qu’il a heurté de plein fouet une jeune fille? En tout cas, cette pure inconnue le hante avec son genou déformé à la suite du choc. Il s’achètera à gros prix une érablière et, fruit du hasard, la jeune fille qu’il a heurtée avec sa planche en surfant est la fille d’une travailleuse dans le domaine du sucre. Depuis toujours, sa mère concocte des sucreries qu’elle vend à petits prix pour survivre.
On suit les conséquences de cet accident sur la vie des deux accidentés, mais la préséance sera donnée au couple bien nanti habitant un Québec prospère plus qu’à la jeune fille habitant l’île de Martha’s Vineyard. Cette île paradisiaque pour les touristes, mais pas pour ses habitants qui mangent de la misère. L’iniquité des biens-nantis du Québec contrastant avec les démunis de l’île s’inscrit en filigrane. Ce qui m’a particulièrement interpellé, ne serait-ce que pour son côté surprenant, est la désolidarisation de la femme du couple, Marion, qui perd progressivement l’intérêt pour son mari, elle, qui pourtant vouait sa vie à son bien-être. Devant la dépression de son mari, elle commence à se dévergonder pendant que lui entame une vie secrète avec son nouveau joujou, l’érablière.
Un roman qui se lit passionnément avec une fin qui n’a pas du tout fait mon affaire. Mais je me dis qu’il vaut cent fois mieux de la frustration que de l’indifférence!
Anaïs de Mélanie Calvé – Édition Fidès
J’avais hâte à ce titre, ayant éprouvé tant de plaisir à lire les trois tomes d’Eve et William. Je m’attendais à vivre autant de palpitations. Les attentes, c’est connu, ça joue des tours!
Anaïs est un roman au souffle plus court, cernant l’histoire d’une fillette malchanceuse qui subira une agression bestiale. Elle s’en sortira à peine vivante. On la suivra à travers le regard de son père, de sa tante, de ses bienfaiteurs. Bénie du ciel, la fillette ne sera pas détruite par ses séquelles psychologiques. L’autrice ne plongera pas à corps perdu dans les traumatismes, restant à l’abri sur la surface lisse du quotidien. Comme Anaïs n’est pas la narratrice principale, à tout le moins au début, on reçoit ses émotions à travers le filtre de celles de son entourage. Voici une grosse différence avec Eve et William où l’on suivait directement les humeurs d’Eve, le personnage pivot.
Nous sommes en 1929 quand l’incident surgit et les conséquences sont graves. Le père, la sœurette et Anaïs subiront des pertes irréparables. On aborde le deuil de front dans cette histoire d’entraide qui montre principalement le bon côté de l’être humain (exception faite de l’agresseur). Une enquête pour trouver le bourreau est menée d’une manière plutôt mollo, disons que la vengeance n’est pas ce qui motive principalement les protagonistes.
Une lecture apportant du réconfort pour ses bons sentiments et ses dénouements heureux. Il y a de l’amour dans l’air, de la guérison et même de la rédemption! Il en faut, je vous le dis, il en faut en ces temps de pandémie.