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Tranche de vie: Comment est ta peine?

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Récemment, j’ai lu un papier fort percutant de Nathalie Plaat, chroniqueuse au Devoir, dont le titre m’a tout de suite interpellée : Comment est ta peine? Non, mais, avouez, quelle question pertinente! Qui n’a pas une petite ou même une grosse peine bien enfouie qui, de temps à autre, refait surface lorsque, pour quelques minutes, nous arrêtons le tourbillon de la vie et que, pour un instant, on revisite une partie de nous moins lumineuse et beaucoup moins fréquentée.

Dans le cas de Nathalie Plaat, c’est en écoutant la chanson de Benjamin Biolay:

«Comment est ta peine? / La mienne est comme ça? / Faut pas qu’on s’entraîne à toucher le bas. / Il faudrait qu’on apprenne à vivre avec ça. / Comment est ta peine? / La mienne s’en vient s’en va.»

C’était un dimanche. Seule dans ma voiture, je revenais d’une rencontre avec les «anciens» de la radio CKAC. Nous étions 72. Toutes ces personnes, je les connaissais, les têtes avaient blanchi, les ventres s’étaient arrondis, mais il y avait dans cette rencontre un pan de ma vie. Celui de mes premières amours, de plusieurs grandes amitiés.

Quelque chose m’habitait; une bonne nostalgie de ces années qui m’ont formée professionnellement, de mes rencontres incroyables avec toutes sortes de personnalités. Mais il y avait un je-ne-sais-quoi qui me bousculait intérieurement. Je n’avais pas 20 ans lorsque je suis entrée à CKAC; j’étais dans les plus jeunes de la gangavec ma bonne amie d’enfance qui m’a amenée avec elle à la radio. Cette bonne amie, qui n’en est plus une, était là. Nous nous étions revues à quelques reprises, mais, là, elle était devant moi; nous avions 64 ans, on s’est jasé un peu, contentes de se revoir, je pense. J’ai entendu son rire si contagieux; j’aurais voulu rigoler avec elle et lui dire que ça n’avait pas de bon sens que nous soyons rendues si vieilles, nous qui dormions en petite cuillère il n’y a pas si longtemps… et pourtant.

Il y avait le père de mes trois belles filles avec qui j’entretiens une très bonne relation. Cela va de soi. Nous serons toujours les parents de ces filles devenues femmes et grands-parents de nos petits-enfants que nous aimons tant. Ce n’est pas parce qu’une vie de couple se termine qu’elle n’a pas été belle.

On réalise qu’il y a des peines bien enfouies, des peines que nous n’avons pas nécessairement partagées. À quoi bon. Un couple sur deux se sépare, c’est presque banal, les gens ne s’y intéressent pas vraiment, ça ne fonctionne plus alors, pour la peine, on repassera… et pourtant… Une peine d’amitié, mais, oui, qui n’a pas vécu cela, et pourtant.

Comme le dit si bien Nathalie Plaat: Nous ne pouvons sélectionner « sens de ma vie » sur aucune plateforme, pour le moment du moins.

Ces petites attaques inattendues deviennent encore plus précieuses.

Oui, en effet, cette rencontre m’a donné l’opportunité d’avoir accès à des peines et de constater que nous sommes toujours seuls avec elles. La peine, au fil du temps, devient moins souffrante, on l’apprivoise et on aime même parfois s’y réfugier; et pourquoi pas?

Cet exercice intérieur est assurément nécessaire pour faire des constats, pour prendre conscience de ce qu’il y a eu et qui n’est plus. Parce que la vie est en mouvement et que le temps qui passe fait de nous qui nous sommes.

Et, comme Nathalie Plaat, j’ai à mon tour envie de vous demander : «Comment est ta peine?». Plutôt inhabituelle comme question et pourtant… si nécessaire.

Alors, on essaie cela dans les prochaines semaines, on écoute tout simplement, sans dire: j’ai déjà vécu cela moi aussi. Ta peine n’est pas ma peine et parfois ça vaut la peine de s’attarder à la peine des autres.

Lire le texte d’opinion Comment est ta peine de Nathalie Plaat.

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