Tranche de vie : Le féminin en littérature - Les Radieuses

Tranche de vie : Le féminin en littérature

On dit que la littérature est le domaine le moins inégalitaire. Les femmes continuent pourtant d’être sous-représentées sur les rayons des librairies.

J’ai lu quelque part que, pour effacer les gens, il suffisait de les ignorer. Les femmes qui ont voulu parler par l’écrit ont longtemps été effacées. Les hommes ont longtemps privilégié les ouvrages rédigés par leurs homologues. Ils conservaient ainsi les avantages que la société littéraire leur réservait. Les femmes ont donc eu longtemps le mauvais genre. Comme le dit le livre de Marie Cardinal, seuls les hommes avaient Les mots pour le dire.

Photo: Kate Graur

Les femmes dans la littérature

Les écrivaines françaises ont eu une place bien avant les femmes canadiennes. Quelques-unes, qui ont joui d’une grande notoriété, ont osé mettre de l’avant les conditions de vie des femmes, dont Simone de Beauvoir et Benoite Groulx qui a été la première à dénoncer les mutilations génitales. En 1971, Simone de Beauvoir a écrit le manifeste Les Salopes : 343 femmes ont eu le courage de signer : « Je me suis fait avorter. ».

En 1972, dans le courant de l’émancipation des femmes et de l’expérience sexuelle, Le dernier tango à Paris a tourné une scène de sodomie sans que la comédienne Maria Schneider n’en ait été avisée. En 1974, le film Les valseuses de Bertrand Blier a rendu romanesque le viol de fillettes de 6 à 12 ans dont l’air épanoui montrait supposément le bonheur.

Des célébrités françaises, Pascal Bruckner, Georges Moustaki, Roland Barthes, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ont cautionné les 3 hommes accusés d’avoir produit des films pédopornographiques. Selon les signataires, ce n’était qu’une « […] simple affaire d’évolution des mœurs sur des enfants consentants. » Comment comprendre que Simone de Beauvoir, l’icône féministe de 1971, ne se soit pas offusquée des discours et gestes pédophiles?

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre devant la statue de Balzac à Paris. Source: Wikipedia

Dans ce même vent d’idées et d’expériences nouvelles, Simone de Beauvoir et son compagnon Jean-Paul Sartre réclamaient le libre arbitre et le droit de sortir des carcans qui brimaient les désirs sexuels. Étant attirés par les expériences quelque peu provocatrices, ils ont été souvent encensés. Leur union de fait était, disait-elle, fondée sur le respect de la liberté de chacun; ils ont juré de tout se dire, de ne jamais se mentir et de ne pas « s’imposer de contours ». Sartre lui avoua sa vérité, soit son dégoût pour les femmes enceintes et les bébés, et elle ses choix : pas de mariage, pas d’enfants, pas de tâches ménagères et l’espace d’avoir des relations secondaires.

Il y avait, dans l’air du temps, un désir d’abolir le puritanisme et de faire en sorte que toutes les sexualités soient possibles et sans contraintes. De par leur philosophie de vie et leur charisme, on leur a accordé une grande visibilité. Certes, chacun a le libre arbitre quant aux expériences qu’il choisit de vivre, mais, de mon point de vue, leur réputation à l’un et l’autre est un peu surfaite. Sans être prude, je ne crois toutefois pas que ce modèle d’union ait eu une influence prépondérante sur les femmes québécoises.

Et au Canada?

Au Canada, le XXe siècle a apporté sa vision nouvelle des rôles dévolus aux femmes, mais, dans le domaine littéraire, les femmes sont restées méconnues. Dans la hiérarchie des rubriques, leurs écrits étaient placés dans l’espace le moins en vue. À cette époque, leurs chroniques ne se retrouvaient dans les pages féminines des périodiques et des revues que si elles s’inscrivaient dans l’idéologie dominante. Les hommes d’abord!

Au Canada, comme en France, pour qu’un texte féminin soit accepté, la stratégie était de signer d’un pseudonyme masculin. L’écrivaine Colette a fait les frais de cette imposture, son mari Willy signait ses textes.

Photo: Ena Marinkovic

En 1898, malgré l’air du temps, Georgina Bélanger (pseudonyme Gaétane Montreuil) se voit confier la chronique Pour vous mesdames : un courrier du lecteur. Grâce à l’influence de son époux, le poète et peintre Charles Gill, elle obtient le droit de prendre un nom féminin et de négocier un ajout à son salaire de journaliste. Sur les 8500 lettres reçues à La Presse, elle répond à 868. Ces activités d’échanges littéraires et de conseils lui valent des milliers de dollars.

En 1900, la chroniqueuse Robertine Barry (pseudonyme Françoise) séjourne à Paris lors de l’Exposition universelle. Dans La Patrie, elle raconte la vie mondaine et y plaide régulièrement pour l’admission des femmes aux sociétés littéraires. En 1903, Félicité Angers (pseudonyme Laure Conan) publie un roman psychologique : Angéline de Montbrun. Elle est la première à recevoir un prix de l’Académie française.

De 1911 à 1946, Henriette Dessaulles inaugure, au journal Le Devoir, une chronique hebdomadaire : Lettres de Fadette. On occulte l’importance de ces lettres où, tout en douceur, elle dénonce le racisme et plaide en faveur de l’égalité des sexes. À cette époque, les critiques attribuaient à l’écriture des femmes les épithètes de charmante, délicieuse et légère. On considérait que leurs performances avaient la grâce et celles des hommes le talent. En conséquence, les femmes n’étaient pas admises dans les associations littéraires.

Les écrits de celles qu’on nommait « les petites chroniqueuses » ont ouvert la voie et permis aux Gabrielle Roy, Rina Lasnier et Jovette Bernier d’être reconnues. Cette dernière a été la première femme à être admise dans une salle de rédaction, soit à L’Événement de Québec. Son radio-roman : Je vous ai tant aimé a été bien accueilli, mais son ouvrage La Chair décevante a été considéré comme scandaleux.

Denise Bombardier, une pionnière

Le chemin pour obtenir le statut d’écrivaine a été long. Ces femmes journalistes ont été les pionnières de l’histoire littéraire féminine. L’une d’entre elles, Denise Bombardier, une Québécoise au franc-parler a été jalousée, bousculée, confrontée, affrontée et n’a pas suffisamment été louangée, admirée et respectée de ses pairs; on a même oublié de souligner son décès au Bye bye 2023!

Denise Bombardier en 2012. Photo: Asclepias/Wikipedia

Contrairement aux journalistes soucieux de ne pas créer de controverses et de conflits, cette femme à l’esprit de synthèse unique ne craignait pas la polémique. Tout comme Anne Hébert, Marie-Claire Blais et d’autres Québécoises, pour être reconnue, elle a vécu en France, un pays où son intelligence et sa liberté de ton ont été accueillies et où, disait-elle, les femmes écrivaines étaient traitées à l’égale des hommes et pouvaient être elles-mêmes. Elle y a fait rayonner le Québec et y a reçu des prix dont celui de la Légion d’honneur. Nul n’est prophète en son pays!

Je l’ai découverte en 1982, à l’émission Apostrophe de Bernard Pivot où un écrivain, Gabriel Matzneff, défendait son ouvrage Mes amours décomposés. D’un ton magistral et arrogant, il racontait ses aventures sexuelles avec des mineurs. Il se vantait ouvertement de sodomiser de jeunes garçons et filles qui, disait-il, étaient consentants et flattés de ses attentions : « Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique. Son petit cul imberbe m’attire. Je la sodomise promptement. Les vieilles hystériques au-dessus de vingt me dégoûtent ». Denise Bombardier a été la seule sur le plateau de télévision à lui reprocher de se servir de la littérature et de sa réputation comme d’un paravent à des abus de pouvoir sur des enfants. « Dans mon pays, monsieur Matzneff, vous auriez des comptes à rendre devant la justice. » Quel courage elle a eu de s’insurger contre cet écrivain aux actes pédophiles! En 2020, Gabriel Matzneff a d’ailleurs fait l’objet d’une enquête sur le viol de mineurs.

De ce jour où elle a dénoncé cet homme, j’ai suivi sa carrière journalistique et j’ai lu ses livres. Son écriture et ses mots ironiques et sans complaisance ont souvent provoqué, mais son discours reste un modèle d’honnêteté, d’authenticité et d’intégrité. Elle est devenue pour moi l’image d’une femme combattante qui se tenait debout malgré l’adversité.

Je me dois de dire qu’au Québec aussi nous avons eu nos hommes aux propos déplacés. En 1983, un psychologue qui disait fonder ses dires sur des études scientifiques a été invité à l’émission de Denise Bombardier où il prétendait qu’à partir de 3 ans, l’adulte pouvait être l’initiateur privilégié de l’enfant à sa sexualité. Elle a vite mis fin à la conversation. Au nom de la liberté d’expression, les membres du Conseil de presse du Québec l’ont blâmée d’avoir empêché l’invité d’exprimer son opinion. De mon point de vue, en luttant contre l’intolérable, elle a fait œuvre utile.

Photo: Karolina Grabowska

À la gloire du magazine Les Radieuses, dans lequel j’écris ces lignes, les femmes de 50 ans et plus peuvent devenir de « petites chroniqueuses ». Je crois que les écrits des femmes qui ont de l’âge sont pour beaucoup de l’ordre de la transmission, permettant ainsi à la génération des jeunes lectrices de ne pas oublier le chemin parcouru.

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