Mme Thérèse Maltais
Ce texte a été composé dans le cadre de la deuxième édition du concours «Quand la sagesse s’exprime» en collaboration avec Chartwell, résidences pour retraités. En tout, 6 textes seront publiés. Il est le cinquième des textes que nous vous présenterons au cours des prochains mois.
Épuisée physiquement, psychologiquement et moralement, voilà dans quel état je suis arrivée à cette résidence; accablée et perdue, sans aucune ambition. N’ayant pas de repères, sauf le personnel, je m’enfonçais dans un isolement de plus en plus sombre et terrifiant. Rien ne venait modifier cette situation créée par des événements antécédents dont je n’étais pas responsable.
Combien de temps suis-je demeurée ainsi? Je l’ignore. Je sortais juste quelques minutes pour prendre mon repas quotidien à la salle à manger. Assise seule à une table, du coin de l’œil, j’osais à peine observer les autres résidents avec qui je ne me voyais aucune affinité. Sitôt le repas terminé, je retournais à la hâte, fermant la porte de mon appartement à double tour.
C’était le néant; ma vie vide de sens et dépourvue de tout intérêt laissait place aux idées noires et la terreur qui m’envahissait me rendait folle.
Est-ce que je saurai faire taire tous ces tourments et m’assumer à l’avenir? Puis, un jour, un éclair zigzagua dans mon esprit et me fit croire que la lecture m’aiderait à émerger de cette torpeur en m’apportant la tranquillité et le repos. Consciente qu’il y avait une bibliothèque en ces lieux, je résolus de m’y rendre avec l’idée d’y aller perdre du temps, le temps si pénible à supporter, le temps qui me faisait peur.
Les portes de la bibliothèque étaient grandes ouvertes, mais, à l’intérieur, le local vide de visiteurs ébranla ma confiance et mon ardeur déjà si faibles. Prudemment, j’y fis quelques pas en examinant les étagères de livres bien rangés. Un homme discret d’allure imposante qui me sembla être le bibliothécaire s’avança doucement et m’avoua être un résident bénévole. Il m’offrit son aide et m’expliqua le fonctionnement de la bibliothèque. Son regard perçant me pénétra tel un «sniper». Une grande chaleur m’envahit, je me sentis rougir jusqu’au plus profond de mon être. Je crois que ce fut là, à ce moment précis, que je commençai à sortir de ma léthargie glaciale et profonde. Je prenais conscience que je n’étais plus seule.
Avec patience et douceur, il me proposa des lectures intéressantes. Mon esprit, incapable de réagir, vagabondait d’un livre à l’autre. Avec quel livre suis-je ressortie? Je ne sais plus. Est-ce que je l’ai lu? Je l’ignore.
Chaque jeudi ressuscitait en moi l’intérêt pour la bibliothèque et son bibliothécaire. Je prenais de l’assurance et je commençais à me débrouiller dans les corridors. Lentement, l’approche se fit. Nous pouvions échanger nos idées sur différents bouquins et leurs auteurs. Il découvrit mes préférences qu’il m’offrait au jeudi suivant. Sa culture me paraissait intarissable, imposant le respect et l’admiration. Nous discutions de livres et d’auteurs ajoutant musiques et musiciens. Il me donnait son avis sur les peintres et leurs œuvres. À chaque rencontre, l’intérêt se montrait plus vif.
Il découvrit mon penchant pour le peintre Monet. Le jeudi suivant, quantité de documentation sur ce peintre bien-aimé m’attendait. Féru d’histoire, il me surprit, me faisant redécouvrir les historiens que j’avais oubliés. Il m’insuffla une nouvelle énergie, je reprenais le goût de vivre. Sans nous en rendre compte, nous délaissions la bibliothèque pour nous adonner à d’autres activités, peut-être un peu futiles, mais qui nous permettaient de nous rencontrer. Nous pouvions prendre une marche et faire une pause-café au restaurant. La conversation devenait de plus en plus animée. Je voyais la vie plus belle et le monde meilleur.
Pour ajouter de l’intérêt, il changeait le parcours, la pause se faisait alors assis sur un banc de parc avec une bouteille d’eau qu’il avait dans son sac à dos. Je lui exprimais mes craintes et mes ressentiments. Il me faisait voir ce qui est important dans la vie, mais aussi sur toutes choses dont on peut se passer et qui ne sont pas essentielles au bonheur.
Parfois, c’était autour de la résidence que la marche se prenait et nous faisions la pause dans une balançoire du jardin. L’amitié grandissant davantage, nous nous racontions nos vies. Nous nous trouvions même des affinités. Nos sentiments, toujours en évolution, ne devaient pas prendre une autre direction que celle de l’amitié. Conscients de ce fait, nous nous sommes donné des balises afin de demeurer dans une relation solide, respectueuse à l’écoute de l’autre, sans porter de jugement.
J’ai le sentiment qu’il m’a donné une force nouvelle afin que je puisse reprendre les rênes de mon existence et mieux m’épanouir. Je trouve que la vie est merveilleuse, qu’elle doit être vécue avec résilience et, surtout, avec plaisir.
Il m’a appris le savoir-vivre en résidence, ce qui fait toute une différence. Nous n’habitons pas ensemble, mais, aux yeux des autres résidents, nous formons un couple hétéroclite hors normes; lui, le Géant et moi, la lilliputienne.
Thérèse Maltais, résidente du Chartwell Archer
Ce texte a été composé dans le cadre de la deuxième édition du concours «Quand la sagesse s’exprime» en collaboration avec Chartwell, résidences pour retraités. Près d’une centaine de résident.es ont écrit une tranche de vie ou une sage réflexion dans le cadre de ce concours. Cette réflexion est le cinquième des six textes qui seront publiés dans notre magazine.
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