Tranche de vie : Le silence - Les Radieuses

Tranche de vie : Le silence

Cette tranche de vie est la suite du texte Le moment troublant paru il y a quelques jours. Bonne lecture!

— Le moment troublant qui vous est arrivé récemment n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt l’effet d’un fait passé choquant ou traumatisant. Inéluctablement, le passé, ça s’incruste, ça tourmente et ça laisse des traces. Le trouble s’est manifesté tard dans votre vie, mais je dirais qu’il était déjà en vous depuis longtemps. Aussi, si vous le voulez bien, j’aimerais que vous réfléchissiez aux événements, aux situations qui vous ont le plus irritée avant votre âge adulte.

Le moment troublant

— Ce qui m’a le plus perturbée et m’a causé le plus grand désarroi a été d’apprendre brutalement, à 12 ans, que je n’avais pas été voulue par ma mère biologique. Je me suis tout de suite dit que, pour elle, je devais nécessairement représenter quelque chose de mauvais et de regrettable.

— On est tous marqués à divers degrés par le passé de celle qui nous a mis au monde et par ceux qui nous ont éduqués. Est-ce que vous avez eu l’amour de vos parents adoptifs?

— Je crois avoir été un bébé aimé, mais ils m’avaient menti pendant 12 ans et j’avais une raison de ne plus croire en eux. Ma réaction a été de me détacher d’eux. En avançant en âge, j’ai tenté de me convaincre que de ne pas leur ressembler et de ne pas être leur fille légitime me donnaient une grande liberté. De ce jour de mes 12 ans, j’ai refusé leurs attentions, car elles me paraissaient toujours fausses et ma perspective face à la vie a été plutôt pessimiste.

— Il est vrai qu’être une survivante de sa naissance accorde moins d’optimisme devant la vie. Sans le souvenir de l’attachement d’une mère, les vies affective et relationnelle ne se traversent pas avec autant de légèreté.

— Ma vie n’était pas Auschwitz, néanmoins, j’avais perdu mon insouciance. Je n’ai appris ni à sourire à la vie ni à m’attacher aux gens et j’ai mis des années à comprendre que, dans mes relations, les autres n’avaient pas nécessairement l’idée de m’abandonner. J’avais tendance à exclure les gens avant qu’ils aient le temps de montrer le plus beau côté d’eux. J’avais conscience d’être sensible aux mots et exagérément susceptible. Comme s’il s’agissait d’un sauve-qui-peut, je rejetais avant d’être rejetée. Et, si j’avais été trompée ou trahie, je n’avais pas de pardon.

— J’ai vraiment cru que les grandes lignes de mon parcours étaient tracées à l’avance, aussi, j’ai mis longtemps à découvrir mes objectifs et à faire des choix de vie. Ça me semblait inutile puisque j’étais mal née. Je me suis fait une carapace et je me faisais une gloire de traverser les moments de douleur avec retenue et discrétion. Je me croyais forte, mais, à m’emmurer dans ma colère, j’en ai développé une maladie inflammatoire chronique. Je ne comprends toujours pas qu’une mère abandonne son enfant. Je suis une adulte et il me semble que je ne devrais plus vivre cette lointaine tristesse.

— Comme vous l’avez dit, votre vie d’adoptée n’a pas été Auschwitz, mais une maladie inflammatoire signifie qu’inconsciemment, il se cachait en vous un irritant persistant : l’événement choquant du début de votre vie. Votre nombril a été attaché, 9 mois, au ventre de cette mère qui vous a portée. Ce n’est pas rien! Même invisible, cela crée un lien dont il est difficile de se défaire. Même si votre mère vous a abandonnée, il y a de sa vie en vous et, inconsciemment, la séparation de votre naissance a influencé votre manière d’être en relation. La cicatrisation d’une séparation douloureuse à la naissance n’est toujours que superficielle. La blessure de l’abandon s’inscrit si profondément qu’elle semble échapper à toute guérison et à tout contrôle. Aussi, cette séparation irritante, dont vous n’avez aucun souvenir, vous fait toujours réagir à l’âge adulte psychologiquement et physiquement. Personne ne sort d’une fâcheuse séparation avec un grand sourire.

— Justement, pour ne pas tout le temps être triste, pour ne pas trop réagir et ne pas que haïr, j’ai passé plus de temps en compagnie des livres qu’en compagnie des gens. Plongée dans la fiction, je me sentais dans une bulle protégée. Lire m’a fait découvrir de nouveaux modèles de vie et m’a appris qu’il était possible de mieux exister. Cependant, je ne peux pas vous dire qu’enjoliver mon esprit de lecture suffisait à me rendre heureuse. Je restais consciente qu’au-delà de cette évasion, la réalité quotidienne n’était pas comme dans les romans. Il me manquait un lien d’attachement, une filiation.

— Chacun a sa façon de remplir son vide et de survivre à la douleur de l’abandon. La lecture et l’imaginaire vous ont fourni une sorte de bulle, de balance ou d’équilibre protecteur. Mais il restait un vide. Il vous manquait une mère. L’avez-vous cherchée?

— Longtemps par l’imagination, je la rêvais belle, élégante et entourée d’enfants. En grandissant, je me suis transformée en Agatha Christie : j’observais et j’épiais les femmes qui pouvaient me ressembler. Je comprends maintenant que, tout ce temps, je la cherchais.

— Ce n’est qu’à la naissance de ma fille que j’ai senti le besoin de faire une demande aux Services sociaux. Ma mère biologique et moi avions raté l’étape de la naissance, mais nous pourrions tenter un rapprochement ; elle me raconterait son histoire et me dirait qui était mon père et j’arriverais à lui pardonner. Après plus de 45 années à espérer de ses nouvelles, on m’a annoncé qu’elle était morte.

— La réparation attendue n’arriverait pas… Comme vous avez dû être déçue!

— J’avais effectivement souhaité un autre dénouement. Pas un seul jour, je n’aurai été son enfant et, pas un seul jour, elle n’aura été ma mère. Mes enfants ne connaîtront jamais leur vraie grand-mère. Je lui en ai voulu d’avoir choisi de garder le silence et de m’abandonner une deuxième fois.  

— Vous avez raison, c’était réellement un 2e abandon.

— Le choc passé, j’ai communiqué avec le fils dont le nom était inscrit sur l’avis de décès. Il avait aussi été adopté et n’avait jamais eu vent de mon existence. Après avoir mené une enquête dans sa famille, il m’a confirmé que si quelqu’un avait vu sa grossesse et connaissait la vérité, personne n’en avait jamais parlé. J’aurais tant aimé entendre qu’elle avait eu le cœur brisé de m’abandonner, mais elle n’avait pas laissé la moindre petite trace ni un seul mot mentionnant mon existence. Si seulement j’avais su qu’elle m’avait serrée dans ses bras, j’aurais mieux vécu.

La guérison

—Grâce à lui et à une tante, j’ai appris une partie de son histoire dramatique : il y avait dans sa famille une aura de violence. Après ma naissance, son utérus a refusé d’autres maternités. Après des fausses couches à répétition, elle a subi de nombreuses opérations pour finir par des récidives de cancer.

— Devant la vie misérable de votre mère, vous avez dû être touchée?

— Oui! J’ai été bouleversée! Le barrage a cédé et j’ai pleuré tout ce que j’avais retenu jusque-là. J’ai tenté de me consoler en me disant qu’il y avait eu trop d’années d’absence entre nous et que, même si elle s’était manifestée, elle n’aurait pas su m’aimer et je n’aurais pas su l’intégrer dans ma vie.

— Peut-être bien que cette retrouvaille manquée, enterrée dans votre psyché, a été la cause de ce troublant moment que vous avez vécu. Pour votre mère, il a été négatif de garder le silence. Mais, je crois sincèrement que les larmes et la parole ont eu l’effet positif d’effacer une grande partie des flous dans votre mémoire. Il n’y a plus de silence, plus de secret. Je dirais que, même si vous ne guérissez jamais de son absence et ne lui pardonnez jamais, ce que vous avez appris sur votre mère biologique et avez raconté sur vos sentiments vous permettront de vivre votre futur sereinement et sans autres moments troublants.

Pour que ceux qui me suivent aient une belle vie, j’ai osé témoigner du côté insidieux et nuisible du silence. J’ai remis un sourire dans mes pensées en me répétant les paroles de la psychologue : « Pour reprendre le contrôle et vivre le mieux possible, on a le devoir de parler. » Comme une trace de mon amour, c’est la conclusion que je veux laisser à mes enfants, petits-enfants et à ceux qui leur succéderont.

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