Tranche de vie : Un moment troublant - Les Radieuses

Tranche de vie : Un moment troublant

Au Je, avec son assentiment et avec ses mots et les miens, je vais tenter de décrire l’épisode troublant qu’a vécu une personne de mon entourage.

Je me croyais enfin là où il me convenait d’être : dans un mode de vie léger, tranquille et tendre aux côtés de mon conjoint.

Dans mon quotidien avec les gens, j’avais plaisir à chercher des affinités et à créer des liens sociaux. Je savais prendre des nouvelles, féliciter et sourire amicalement. Puis, soudainement, j’ai eu de la difficulté à évaluer ce qu’il était bon de dire. Je commettais des impairs, j’avais des répliques brusques et des mots blessants. Sans transition, j’avais perdu ce luxe d’une retraite parfaite dont je rêvais depuis si longtemps et le phare intuitif qui rendait mes rencontres joyeuses et cordiales s’est déconstruit. J’étais subitement devenue irrationnelle et, bien sûr, j’avais des regrets de mon comportement.

J’ai tenté d’identifier ce qui pouvait provoquer ce soudain manque de retenue, mais je n’ai trouvé aucune excuse significative. J’avais la désagréable sensation d’être une souris de laboratoire qu’un gourou invisible contrôlait. Un obstacle mystérieux contrariait mes efforts et provoquait des élancements occasionnels au-dessus de l’œil gauche. J’en suis venue à anticiper négativement chaque nouvelle rencontre et, comme s’il s’agissait de ma survie, je refusais toutes les invitations et les propositions de sorties. Je me dirigeais vers une phobie sociale.

Un moment troublant

Un matin, en regardant mon image dans le miroir, pendant quelques secondes, ce fut comme si mes pensées s’étaient figées, comme si l’interconnexion entre mes neurones avait cessé quelques instants de fonctionner. C’était bien mon image, mais, à mon insu, mon cerveau se jouait de mes pensées. J’ai eu la désagréable sensation que quelqu’un d’autre cohabitait dans ma tête. J’en ai été effrayée et j’ai mis plusieurs minutes à me remettre de cet instant bizarre. J’avais l’intuition que le problème qui se manifestait ne se résoudrait pas tout seul. J’ai tout de suite consulté.

— Êtes-vous en ménopause? Prenez-vous des médicaments, de l’alcool, des drogues?

— Non.

Après un bilan médical, des vitamines B et une faible dose d’antidépresseur qui me rendait zombie, rien n’était réglé. Plus les jours passaient, plus les images de mes lendemains m’apparaissaient affolantes. Même au soleil, je n’étais plus heureuse.

J’ai reçu les résultats de mes derniers examens au cabinet de sa maison privée. Pendant qu’il avait les yeux rivés sur mon dossier, je me questionnais : il avait une Rolex au poignet et il recevait dans une pièce exiguë d’un sous-sol sans fenêtre. Dans cette coquille tristement éclairée par une seule lampe de travail, je me sentais si mal à l’aise, qu’à cause d’un lieu sombre, j’étais en train de lui faire un faux procès de compétence. Certes, je n’avais pas d’affinités avec ce professionnel, mais, dans les faits, mes symptômes étaient tout simplement hors de son domaine de connaissances et, pas plus que moi d’ailleurs, il ne pouvait connecter avec empathie avec tout le monde.

— Les analyses ne rapportent aucun accident cérébral et rien d’anormal ni physiquement ni d’un point de vue ophtalmologique. Votre histoire dans le miroir ressemble à une hallucination visuelle. Ça semble psychosomatique! J’ai parlé de votre cas avec la Dre Esther J., psychologue. Elle vous donnera un rendez-vous. En attendant, cessez les antidépresseurs. 

En rentrant chez moi, ses mots résonnaient dans ma tête : « Votre histoire! Une hallucination! ». Ses paroles m’apparaissaient froides et sans âme comme les murs ternes de son bureau et elles suggéraient que ma santé mentale était à risque. J’étais un cas!

Dans la salle d’attente de la psychologue, un rayon de lumière dorée, comme les planches blondes du sol, se faufilait et éclairait quatre chaises en cuir blanc. Sur la table vitrée, des revues et un plat de bonbons enveloppés. Je n’étais pas anxieuse, j’étais à l’acmé du stress! Bien que j’en avais grandement envie, je n’allais pas m’enfuir. Au cœur de mon chaos, il me fallait la convaincre d’investiguer et de m’aider à me réparer. C’était un appel au secours!

Un rayon de soleil apaisant

Elle est venue à ma rencontre avec un bonjour souriant et une poignée de main chaleureuse. Dans son bureau, derrière le voilage, sur le rebord d’une fenêtre donnant sur le feuillage d’un arbre, des Saint-Paulin roses. Sur une longue table blanche de style Jacobin, un ordinateur, des crayons et quelques dossiers et, devant, deux fauteuils rose cerise. Comme moi, elle aimait cette couleur! Ici, ce n’était pas un cagibi, c’était un espace clair et vivant.

La douce lumière et l’odeur subtile de lavande qui flottait dans l’air m’apaisaient. C’est fou, mais, au plus profond de moi, dans ce beau lieu, dans cette atmosphère calme naissait l’espoir de retrouver une belle vie. Devant cette femme qui, quelques minutes plus tôt, m’était complètement inconnue, j’avais envie de pleurer.

— Nous allons trouver ce qui se passe en vous! Il y a parfois dans la mémoire, des souvenirs enfouis, des empreintes héritées de ceux avant nous dont nous ne sommes pas responsables. Quelque chose de non réglé cherche peut-être à se faire voir et entendre. Généralement, quand les symptômes apparaissent, c’est que le subconscient sait que nous avons la solidité et la capacité d’y faire face. Ce que Dr A. a appelé « hallucination visuelle » vous a, sans doute, fait peur?

En effet, devant le miroir, c’était terrorisant! C’était moi, mais c’était comme si, quelqu’un d’autre était caché derrière les traits de mon visage; c’était flou comme derrière une toile d’araignée. J’ai pensé que c’était le début d’une démence qui me ferait sombrer dans la folie. Dans ma vie de couple, je n’aspirais qu’à des images de bonheur aussi simples qu’une marche au soleil et voilà que j’étais traquée par un sentiment d’angoisse. À notre retraite, se faire la vie belle était notre objectif commun et, par ma faute, nous vivions un cauchemar qui nous faisait la vie à deux difficile.

— Je suis désolée que vous ayez à vivre ce mauvais moment et que votre vie de couple soit chamboulée! Je peux comprendre que c’est profondément déstabilisant! Dans votre dossier médical, j’ai vu le diagnostic d’un intestin irritable et, depuis peu, des maux de tête au-dessus de l’œil gauche. C’est ce que les psychiatres identifient comme un mode symptomatique. Dr A. a éliminé un problème physique. De mon côté, j’aimerais m’assurer que vos maux de tête ne sont pas causés par un problème neurologique. Je souhaiterais d’abord vous faire passer un scan, un taco et quelques analyses afin d’écarter qu’il ne s’agit pas d’une tumeur ou d’une problématique interneuronale.

» Mais j’ai plutôt l’intuition que ce désordre qui s’opère en vous dépend de quelque chose qui a marqué votre passé affectif. Il se peut que ce qui vous arrive aujourd’hui et qui s’ajoute à l’intestin irritable vienne d’une irritation lointaine, à une époque où vous ne pouviez en être pleinement consciente. J’ai tendance à penser que cet état d’irritabilité et ce soudain trouble émotionnel sont le détour qu’a trouvé votre psychisme pour exprimer ce qui l’a blessé. Je crois bien que, dans votre mémoire, quelque chose qui vous a irritée a d’abord agi sur votre corps. Puis, n’ayant pas été entendu, votre cerveau a tenté de vous alerter à son tour.

— Est-ce que ce quelque chose d’irritant dans mon passé affectif continuera de m’assaillir jusqu’à la fin de ma vie?

— Je ne veux pas nourrir de faux espoirs. Je ne peux pas vous dire que vos symptômes disparaîtront tout de suite et en totalité, mais nous allons essayer d’en trouver la source, le point d’origine et de dénouer les fils de la toile d’araignée. Si vous acceptez de me faire confiance, dès la semaine prochaine, petit à petit, nous pourrions chercher dans le coffre aux secrets ce que votre mémoire interne a retenu d’irritant et veut exprimer à travers vos symptômes visibles. Vous savez, le corps et le cerveau, le physique et le psychique sont plus étroitement liés qu’on ne le croit.

Une rencontre bienveillante

Elle me regardait en face et ne me parlait pas comme à une illettrée. Elle ne me trouvait pas si étrange, si anormale, si folle. Je la sentais attentive à mes propos et son hypothèse me paraissait une piste plausible d’explication. J’étais sensible à sa bienveillance et son engagement me touchait. J’allais réfléchir, explorer, parler et faire toutes les remises en question nécessaires pour me comprendre et me sortir de ce désordre intérieur où je me retrouvais.

Cette première séance accueillante m’a mise en confiance. Je n’appréhendais pas les futures rencontres. Pour la première fois depuis des mois, j’avais enfin l’espoir de ne plus vivre en recluse et j’entrevoyais la possibilité que la vie redevienne moins contraignante, simple, belle et joyeuse. J’étais remplie de gratitude envers cette Dre Esther J. et, malgré tout, reconnaissante envers le médecin généraliste qui m’a recommandée. J’avais à nouveau envie de pleurer.

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