Y’a des fraises et des framboises, y’en a par chez-nous. Et pas seulement « par chez-nous » comme on dit au village pour marquer une frontière invisible entre les nôtres et les autres. Non, il y en a partout, dans chaque coin de champ, dans chaque souvenir d’enfance et même dans le coin de ma bouche, quand, gamin, j’en ressortais avec les lèvres tachées d’un rouge qui ressemblait à celui d’un premier baiser maladroit.

Les petits fruits rouges
Les fraises, c’est le sourire d’été qui pousse au ras du sol. Ça te chatouille les mollets quand tu te penches pour en cueillir. Chaque fois que j’en prends une dans ma main, je me rappelle que la nature a inventé les desserts bien avant les pâtissiers. Mordre dans une fraise fraîche, c’est goûter à la lumière. Et vous savez quoi? Ça rend heureux. La fraise, c’est une pilule de joie qu’on avale sans prescription.

Que dire de la framboise et de sa délicatesse piquante! Ces petites lanternes rouges aux allures de bijoux qu’on décroche avec une délicatesse d’orfèvre. Elles se laissent cueillir comme si elles nous disaient : « Vas-y, prends-moi, je suis prête ». Mais attention, le plant est piquant, comme pour rappeler que le bonheur, parfois, demande un petit prix à payer : une égratignure au doigt, un accroc au pantalon.
C’est un rappel que les plaisirs simples sont rarement gratuits, mais qu’ils valent largement l’effort. Manger une framboise, c’est un peu comme tomber en amour : on sait que ça va peut-être piquer, mais on ne peut pas résister à l’envie d’essayer.
Et les bleuets
Et puis, il y a le roi incontesté du Lac-Saint-Jean : le bleuet. Ici, on ne dit pas « myrtille » comme en Europe. Non, on dit bleuet, et on en est fier. C’est plus qu’un fruit, c’est une identité.

Quand j’étais petit, chez mes grands-parents, on s’empiffrait royalement de ce monarque bleu qui garnissait les tartes préparées avec amour par ma grand-mère et mes tantes. Ma grand-mère avait ce talent pour me faire sentir comme son complice secret. Elle plaçait sa main sur mon avant-bras, baissait la voix comme si elle me confiait un trésor d’État et me murmurait : « C’est pas grave si tu manges pas toute ta viande mon p’tit garçon, tu forceras sur le dessert ». C’était notre pacte clandestin, une sorte de contrat bleuet signé à coups de clins d’œil et de sourires entendus. Résultat : les tartes censées avoir une durée de vie suffisamment longue n’avaient jamais la longévité espérée. Et, à la fin de la journée, je revenais les contours de la bouche tachée de fruits, le ventre rebondi, mais surtout riche de cette complicité qui m’a nourri bien plus que toutes les tartes réunies.
Les petits fruits et la psychologie du bonheur
Les petits fruits, ce n’est pas que de la nourriture; ce sont des antidépresseurs naturels. Quand je croque dans une framboise, j’ai l’impression que mon cerveau se met à danser la gigue. La science moderne parle d’antioxydants, de vitamines et d’effets bénéfiques sur l’humeur. Moi, j’y vois surtout une leçon de vie : la nature nous a donné des explosions de couleurs et de goûts pour nous rappeler qu’être vivant, c’est aussi savourer.

La vie moderne, avec son bruit et ses écrans, nous fait parfois oublier que le bonheur se cache dans les détails. Un café partagé, un éclat de rire imprévu, le parfum des fraises qui cuisent dans une tarte… Ces moments-là sont les framboises de l’existence : ils ne durent pas, mais ils nous marquent.
Le vivre ensemble… en grappes
Quand j’observe une grappe de framboises ou un amas de bleuets serrés sur une branche, je vois un petit modèle réduit de notre société. Chaque fruit existe par lui-même, mais il se développe mieux en groupe, protégé par les autres. Trop isolé, il sèche au soleil ou devient une proie facile pour les oiseaux. Ensemble, ils se soutiennent, ils profitent de la même pluie, du même soleil. Ça me fait réfléchir : nous sommes peut-être différents par la couleur, la forme, la saveur, mais nous avons besoin les uns des autres pour grandir et traverser les saisons.
Et vous savez quoi? Quand on cueille une grappe, on ne choisit pas toujours le fruit parfait. Il y a le mûr, le pas encore prêt, et parfois celui qui a une petite cicatrice. Pourtant, ils font partie du même lot, et ensemble, ils donnent le vrai goût de la récolte. C’est pareil dans une société. On n’a pas besoin que tout le monde soit parfait pour être heureux. Au contraire, c’est la diversité et les imperfections qui donnent de la richesse à l’ensemble.

Alors, la prochaine fois que vous mangez des fraises, des framboises ou des bleuets, souvenez-vous que vous êtes, vous aussi, un petit fruit dans la grande grappe humaine.
Croquez la vie, soyez sucrés avec vos voisins… et surtout, tâchez de ne pas finir en confitures trop tôt!
Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard
Tant qu’à y être
Je ne peux passer sous silence le décès du sociologue Guy Rocher à l’âge de 101 ans. Il a largement contribué à façonner le Québec d’aujourd’hui. Je vous recommande de lire ces 2 ouvrages qui racontent sa vie, mais surtout ce qu’a été le Québec et ce que nous sommes devenus. Merci pour tout M. Rocher!
Pierre Dufresne — Québec Amérique — Guy Rocher tome 1 Voir, Juger, Agir (1924-1963) et tome 2 – Le sociologue du Québec


Orphelin de père dès l’âge de huit ans, le petit Guy Rocher devient fataliste. Il s’imagine que la mort l’arrachera prématurément au monde dans lequel il vit. Veuve à 32 ans, sa mère, sous le choc, est incapable d’élever ses deux jeunes garçons. Elle les confie à des religieuses, le temps de se remettre. Trois ans plus tard, Guy Rocher se retrouve au Collège de l’Assomption. En quête de pères de substitution, il s’attache à certains professeurs et découvre la lutte que mènent les Canadiens français pour préserver leur existence en Amérique. À la fin de son adolescence, il s’interroge : que fera-t-il de sa vie? Georges-Henri Lévesque, de l’Université Laval, lui suggère une réponse : vous voulez comprendre votre société? Il faut être sociologue. Jeune professeur, un appel bouleversera son destin. Paul Gérin-Lajoie, nouveau ministre de l’équipe de Jean Lesage, l’invite à devenir l’architecte d’un monument dédié à la connaissance : créer un ministère de l’Éducation!