J’ai soufflé 50 bougies au plus creux de la pandémie. Ce jour-là de novembre, j’étais en vêtements de jogging pour une 300e journée consécutive et mon adorable amoureux m’a offert un bouquet de cadeaux de circonstance au thème très… cocooning. J’ai failli céder à l’impulsion de lui lancer en pleine figure le beau cabaret en bois tout indiqué pour de douillets déjeuners au lit.
Et NON, ma rage n’était ni un signe de spm, et encore moins un indice de préménopause. Juste une franche réaction de refus de la culture ambiante qui juge irraisonnés les désirs et aspirations (et le goût du risque) des femmes de 50 ans.
L’exaltation de ma vie était-elle derrière moi? Étais-je maintenant condamnée aux classes d’aquaforme « soft », à des vendredis soirs trop tranquilles, tout cela jumelé à un déclin cognitif inévitable accéléré par un visionnage en boucle trop intense de Virgin River?
En d’autres termes : étais-je désormais devenue trop vieille pour… toute!? Voici la question m’ayant habitée dans les derniers mois, et que je compte aborder avec humour et curiosité journalistique, dans le cadre de ces chroniques mensuelles.
Suis-je trop vieille pour… me tenir en équilibre sur les mains?
Jeudi soir d’octobre, dans le spacieux hall-lounge du studio de yoga Sangha, boulevard Saint-Laurent, je profite des quelques minutes qui précèdent le début de l’atelier offert par Alexandre « handstand » Pelland, pour fureter dans l’étalage de livres et autres artefacts yogiques. Je prends une pile de cartes d’oracles de Gabrielle Bernstein et en choisis une au hasard. La carte me livre à peu près le message suivant « choisissez de pratiquer l’amour de vous-mêmes, plutôt que le désir de vaincre. »
Je médite pendant un instant sur le sens de ce message offert par le fruit du hasard, et décide de l’interpréter comme une proposition de sagesse en direct de l’univers.
Je me suis inscrite à un atelier en quatre volets qui promet à tous — néophytes comme yogis accomplis — d’arriver à se tenir en équilibre sur les mains. Alex Pelland a beau s’être rebaptisé « Alex Handstand », il ne mesure pas l’ampleur du défi de me guider dans l’accomplissement de cette posture qui m’intimide au plus haut point.
Pas que je sois une nouvelle venue, dans les studios de yoga. En 25 ans de pratique, j’ai passé un mois à étudier le hatha yoga dans un ashram en Inde, j’ai assidument pratiqué mes séries d’ashtanga, fréquenté d’athlétiques séances de Jivamukti à New York et des ateliers de perfectionnement à Cape Town. Le studio de yoga, c’est mon « happy place », un refuge exempt de miroir où je retrouve mon centre, mon équilibre et un bien-être absolu.
Faire la grenouille? Pas de problème. Le poisson, le bateau, l’arbre, le dauphin? N’importe quand. Hanumasana, Trikonasana, Sarvangasana et même Shirshasana? Pas de trouble. Or, aussitôt qu’il est question de se lancer dans l’exécution d’Adho Mukha Vrksasana… je sors de la salle pour aller aux toilettes, file en douce, m’éclipse ou reste figée sur mon tapis et fais la morte (Shavasana.)
Une peur bleue à vaincre
Avant de nous lancer dans une série d’exercices de préparation en vue de la tenue sur les mains, Alexandre Pelland invite les quelques participants à son atelier à s’exprimer quant aux motifs de leur présence. Je suis la première à briser la glace et à partager ma peur bleue de me retrouver dans le vide, la tête à l’envers, les orteils vers le ciel.
« Tu n’es pas la seule à craindre cette pose! », m’a-t-il rassuré, quelques instants avant la classe. Pourquoi a-t-il choisi de faire du handstand sa spécialité?
« Parce que j’adore l’exécuter! », confie tout simplement ce yogi tatoué autodidacte et ingénieur de formation, qui a échoué dans les studios de Sangha après avoir perdu son emploi. À ce moment de sa vie, Alexandre Pelland est devenu accroc au yoga, passant parfois plusieurs heures de la journée à pratiquer et apprendre. Tellement, qu’on l’a convaincu de compléter sa formation de professeur. Il a accepté, enseigne désormais le yoga et conserve toujours sa « job de jour ». Il donne, en privé et à des groupes, des ateliers de « handstand », une autre façon de coacher les gens à reconnaître et à outrepasser des peurs souvent ancrées très profondément.
« Nous allons travailler ta peur, étape par étape. Le plus difficile, c’est de suivre les instructions alors que la tête est en inversion. » En termes kinésiologiques, il s’agit de travailler la « proprioception », soit la capacité de percevoir, sans avoir recours à la vue. « Pas de panique, nous allons travailler avec la collaboration du mur (pour donner de la confiance au corps et le rassurer quant à la perspective de chuter et de se blesser), et apprendre à trouver une zone de confort quand tu tombes. »
L’âge, une variante?
L’âge y est-il pour quelque chose? « Non », de répondre Alex, du tac au tac. « Il y a des filles de 25 ans qui n’ont pas de force dans le haut du corps. Elles n’y arriveront pas. C’est une question de force, oui, mais aussi d’alignement. J’ai vu des gens de 65 ans exécuter des handstands pas parfaits, mais ils étaient tête à l’envers! », dit mon instructeur, qui tout comme moi, s’intéresse aux études et avancées sur la science de la longévité. « Des médecins comme Peter Attia, par exemple, parlent de plus en plus de l’importance de travailler la masse musculaire, pour prévenir les impacts du vieillissement. »
Est-ce bien avisé d’aspirer à se tenir en équilibre sur les mains alors qu’on devrait peut-être plutôt revoir à la baisse ses barèmes de forme physique? La chiropraticienne Karen O’Reilly, à qui j’ai posé la question, est d’avis qu’un sentiment de fragilité ne devrait pas signifier de céder à l’attrait du repliement vers le moindre effort.
« Après cinquante ans, le corps devient différent. Les changements hormonaux modifient notre équilibre et notre système nerveux. Les ligaments aussi deviennent plus facilement irrités et le temps de récupération doit être plus long », partage cette thérapeute axée sur une approche compassionnelle du corps et de ses traumatismes.
« C’est surtout au niveau mental que la fragilité d’installe parce qu’on n’a plus la même stabilité que celle de nos jeunes années. Et c’est ceci qu’il faut travailler, en apprenant à poser les bonnes questions, à prendre des décisions non pas basées sur le simple ajout de nouvelles activités, mais en se questionnant profondément sur ce dont on a besoin pour se réaliser et s’épanouir. »
Comme sur un tapis de Twister
Applaudir un groupe de danseurs en ligne sur l’esplanade en bordure du fleuve Saint-Laurent dans Verdun, assister à une course de vitesse entre trois aînés au volant de leur triporteur un vendredi soir de juillet dans Villeray, lire les écrits de Michelle Larouche qui décrit ses sauts en parachute en compagnie de Guillaume Lemay-Thivierge et ses escapades sentimentales de septuagénaires…
Les séniors de notre monde qui n’ont pas renoncé au fun et au besoin viscéral de se sentir à leur 100% m’inspirent et me donnent le goût d’aussi prendre des risques et de profiter à fond de la vie, même si elle passe vite, est parfois impitoyable et fait flétrir ma peau. En rédigeant ce texte, je tombe sur ce Tweet (oh pardon, ce X) de Tim Ferris, un de mes auteurs préférés, dont les écrits et balados m’ont aidée à traverser la pandémie.
Je réfléchis souvent à une histoire que m’a racontée Tara Brach. Elle allait comme suit. « C’est l’histoire d’une tigresse nommée Mohini qui était en captivité dans un zoo et qui a été sauvée d’un sanctuaire pour animaux. Mohini avait été confinée dans un enclos de 10 mètres. Une cage de 10 pieds avec un sol en béton où elle a vécu pendant 5 à 10 ans. Ils l’ont finalement relâchée dans ce grand pâturage. Avec grand enthousiasme et anticipation, ils ont relâché Mohini dans son nouvel environnement. Mais il était trop tard.
La tigresse a immédiatement cherché refuge dans un coin de l’enceinte, où elle a passé le reste de sa vie. Elle a arpenté et arpenté ce coin jusqu’à ce qu’une zone de 10 pieds sur 10 pieds soit dénudée d’herbe… La plus grande tragédie de nos vies est peut-être que la liberté est possible, mais que nous choisissons malgré tout d’écouler nos années enfermés dans les mêmes vieux schémas. »
Quelles sont vos limitations du passé – réelles ou perçues – que vous portez comme bagage? Où, dans votre vie, faites-vous les cent pas dans une parcelle d’herbe de 10 pieds sur 10 pieds? Où avez-vous peur d’être aspergé d’eau, même si cela n’est jamais arrivé? Souvent, tout ce que vous voulez n’est qu’à quelques centimètres de votre zone de confort. Essaye-le.
Sortir de sa zone de confort
Sur mon tapis, ce soir d’octobre, mes vieux schémas ont bel et bien été au rendez-vous. Peur de tomber et de me casser la figure, peur de perdre la face, peur d’être la plus vieille du groupe, peur de ne pas y arriver au bout des quatre semaines d’atelier, peur d’avoir jeté mon argent par la fenêtre…
En suivant les instructions élaborées d’Alex Handstand, je compris que pour arriver à se tenir en équilibre sur les mains, il faut faire comme si l’on plongeait tête première, contracter les abdos et les fessiers et se « faire grande. » La suite, c’est une question de pratique. Avec patience, je répète mes sauts avec le mur comme appui, aide d’autres élèves à monter, rigole en reconnaissant que seule la crainte m’empêche de faire le saut. Et je vais persévérer. Pas pour vaincre ou prouver quoi que ce soit, mais pour le seul plaisir d’essayer quelque chose de nouveau et de voir le monde à l’envers, l’espace de quelques instants.
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