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Tranche de vie : Suis-je trop vieille pour devenir pianiste lounge?

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Mon happy place absolu est un piano entouré de joyeux fanfarons (un peu) éméchés qui entonnent avec bonhomie un classique du répertoire musical de Broadway. Mon flair de touriste planétaire en quête perpétuelle de fun m’a souvent placée en bonne compagnie, sur la route cosmique des pianos-bars. À mes yeux, un été réussi inclut un pèlerinage au Front Porch, à Ogunquit, mythique salon d’après-plage où il fait bon siroter un gin gimlet en bermudas et gougounes, tout en fredonnant le répertoire de la comédie musicale Chicago.

Et ce n’est pas d’hier que je fais la belle part à mon âme de Liberace emprisonnée dans un corps de fille journaliste québécoise hétéro.

Il y a quelques années, j’ai passé le réveillon de Noël dans la salle de bal d’un vignoble de Stellenbosch en Afrique du Sud. Vers les 23h30, j’ai été propulsée dans une situation incongrue, entourée de vacanciers allemands et d’un duo sud-africain de joueurs professionnels de cricket. Ce choeur aussi éclectique qu’improvisé entonnait avec passion Joy to the World, sous l’oeil amusé et bienveillant d’une énigmatique pianiste aux longs cheveux noirs qui accomplissait avec classe et brio sa plus grosse gig de la saison.

Celle-ci avait une bonne décennie de plus que moi et semblait tolérer avec tempérance cet indiscipliné entourage d’illustres inconnus. Elle avait l’air absolument ravie de savourer son réveillon aux commandes d’un piano et de connaître sur le bout de ses doigts tous les incontournables du temps des fêtes.

J’ai alors pris note qu’un projet de retraite approprié à ma vraie nature serait de me réinventer comme pianiste du dimanche, sur des bateaux de croisière, par exemple. Ou pour accompagner une chorale, réchauffer l’ambiance d’un hôtel de charme en Estrie, agrémenter des soupers chantants du Chez-Nous des artistes… Aucune offre raisonnable ne serait refusée.

10 000 heures avant le concert

Pour aller au fond des choses et vérifier si mon rêve de devenir pianiste de lounge prestataire du régime des rentes relève de la lubie, j’ai interviewé le plus volubile expert de la question: Gregory Charles. Le multitalentueux artiste en connaît un chapitre sur la question: l’Académie qu’il a fondée en 2017 est composée à 50% d’élèves de plus de 50 ans.

«Apprendre la musique plus tard dans la vie, c’est non seulement bon, mais c’est souhaitable pour exercer le cerveau», partage celui qui transmet son amour de la musique à une foule de retraités en quête de nouveaux défis. Il a même une élève âgée de 95 ans qui, après avoir élevé des enfants et des petits-enfants, a enfin la disponibilité mentale de réaliser son rêve de jouer du piano.

«Plusieurs de mes élèves sont des enseignants qui ont toujours eu envie d’apprendre et qui veulent essayer des méthodes alternatives», dit Gregory Charles, qui préconise une approche axée d’abord sur le développement de l’oreille musicale, avant de passer à la lecture des notes.

Qu’en est-il de la pratique? James Clear, l’auteur du best-seller Atomic Habits, offre quatre grandes règles pour accomplir (et mesurer) nos objectifs: en faire une évidence, les rendre attirants, les rendre faciles, y rattacher une satisfaction.

Évident de me visualiser à 75 ans en robe à paillettes derrière le piano à queue d’un lounge d’hôtel? Absolument.

Attirant? Mets-en.

Satisfaisant? Tout à fait.

Facile?… Non!

Dans son essai Outliers, le journaliste américain Malcolm Gladwell met en lumière des exemples concrets qui confirment la théorie de K. Anders Ericsson voulant que l’expertise soit le résultat de 10 000 heures de pratique. Afin de prouver sa théorie quantitative, Gladwell a entre autres observé l’acquisition des compétences d’étudiants en violon d’une académie de musique de Berlin.

Va pour des jeunes élèves allemands disciplinés. Cette règle s’applique-t-elle aux communs des mortels, de 7 à 77 ans? «Absolument», m’a convaincue mon amie Romina Romay, qui est pianiste, compositrice et improvisatrice d’origine argentine.

J’ai conservé les cahiers de piano de mes études à Vincent d’Indy, au début de l’adolescence. Au fil des ans, j’ai pianoté, suivi quelques cours, mémorisé des chansons. À l’instar de plusieurs de mes pairs qui ont profité de la pandémie pour enfin accomplir ce qui traînait au bas de leur liste, j’ai pratiqué mes gammes et mes pièces pendant les longues heures de confinement.

À 52 ans, est-il réaliste d’aspirer à atteindre un niveau d’aisance pour jouer (et improviser)?

En faisant un bref calcul, je pourrais arriver à mes fins à l’âge de 62 ans, en pratiquant entre deux ou trois heures par jour. Ce qui n’est pas impossible, mais pas exactement adapté à mes circonstances. Je me donne jusqu’à 70 ans, donc, pour réussir ma transformation.

J’ai aussi demandé à Romina Romay quelques trucs pour surmonter la rigidité de ma formation classique. Romina est absolument persuadée de ma capacité à réaliser mon rêve de devenir pianiste de musical. Le premier exercice qu’elle m’a prescrit: exécuter au piano une mélodie qui surgit spontanément dans ma tête.

Et répéter jusqu’à ce que cela devienne un automatisme.

Des doigts de fée sur les clés d’ivoire

En admirant l’engagement et la dextérité de la regrettée Colette Maze, qui, sur une vidéo YouTube, interprète avec brio ses mélodies de Debussy préférées, je comprends aussi que la pratique soutenue du piano est un excellent exercice pour entretenir la flexibilité et la dextérité des mains. «Mes doigts sont toujours fonctionnels», confiait, en 2021, au journal Le Parisien, cette pianiste française qui a joué pendant plus d’un siècle.

Certes, la rétention n’est pas aussi évidente à 60 ans qu’à huit ans. «Mais on peut dire cela pour n’importe quelle activité», dit Gregory Charles, qui ajoute que l’amour-propre est un irritant plus présent chez les personnes plus âgées, qui ne veulent pas avoir l’air ridicules en jouant maladroitement d’un instrument.

S’il prêche bien sûr pour sa patrie, Gregory Charles est pourtant convaincu des bienfaits de la musique pour ceux qui avancent en âge. Celui qui a accompagné sa mère qui a vécu les 14 dernières années de sa vie avec la maladie d’Alzheimer a été témoin de l’impact de la musique sur le cerveau humain. «Pendant les trois dernières années de sa vie, ma mère avait perdu l’usage de la parole. Mais la veille de son décès, elle chantait.»

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