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Un foulard pour Claire

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Les foulards sont de parfaits cadeaux de voyage et prennent peu de place dans les bagages. Succès assuré. Presque toutes les femmes s’émeuvent devant la pièce de tissu qui se décline en carré, pochette, mouchoir, fichu ou écharpe. Le foulard protège des intempéries et de la pollution et réchauffe les timides du cou, mais il est d’abord un objet de sensualité et de féminité. Combien de têtes célèbres lui ont donné ses lettres de noblesse : Audrey Hepburn, Jackie Kennedy, Brigitte Bardot et Catherine Deneuve dans Les parapluies de Cherbourg?

De nombreux sites sur le web offrent des techniques pour nouer un foulard, mais peu se spécialisent dans son rôle social. Il est parfois un sujet mal compris, mal interprété. Qu’il suffise de penser à Pauline Marois qu’on qualifiait de bourgeoise avec ses écharpes griffées portées sur l’épaule avec une nonchalance étudiée et de qui on disait qu’elle tirait du grand.

Le foulard a connu aussi son lot d’échecs et sa cote, déparée. Je pense aux commères de mon village qui le portaient, noué sous le cou, pour garder bien en place les rouleaux à friser sur la tête pour ensuite pavaner le samedi soir venu leur chevelure boostée au fixatif. Ces handicapées du style paradaient ainsi dans le village avec cet affublement, potinant sur les autres et portant leurs défauts en écharpe.Le personnage La Sagouine d’Antonine Maillet qui portait un couvre-chef mi-bonnet, mi-foulard aurait pu s’en inspirer.

Tissu de mensonges ou tissu de vérités, le foulard en version voile ou turban crée de la controverse et devient un objet politique. Autant le vêtement et les accessoires soulèvent de plus en plus souvent des débats sur les apparences au Québec, voilà maintenant que leurs rôles se politisent et que la symbolique des choses prend tout son sens. Le vêtement est outil de communication et parfois sa langue nous est étrangère, énigmatique.

Claire

J’ai connu Claire en 1977 alors qu’elle était gérante d’un bar à Sherbrooke. Elle portait lors de notre première rencontre un foulard savamment installé à la gitane duquel dépassait une longue pointe qui se prolongeait jusqu’aux reins. Cigarette Gauloise entre les doigts et coupe de vin blanc de l’autre main, mon amie me donnait l’impression d’échanger avec Jeanne Moreau, assise dans un bistro à Marseille.

Orfèvre en matière de foulard, été comme hiver, Claire se démarquait avec sa tête emballée de tissus et de couleurs. Son look qu’elle défendait intelligemment nourrissait les différents personnages de sa vie, tantôt romantique, tantôt ingénue, parfois cueilleuse de petits fruits. Femme poreuse, elle savait doser et adapter ses sculptures de tête aux circonstances.

Paris 1994

De passage à Paris en 1994 pour honorer un contrat de quelques jours, je me pointe à une friperie très prisée à l’époque et déniche un foulard de soie aux couleurs vives et aux motifs bigarrés, inspiré du créateur italien Emilio Pucci. J’ai tout de suite pensé à mon amie Claire me disant que ce fichu honorerait ses yeux bleu Clair… Malheureusement il restera en rade presque 25 ans, oublié avec d’autres cossins dans un tiroir.

Les souvenirs s’incarnent dans des objets qu’on garde précieusement dans un tiroir de la commode ou qui se perdent dans une bibliothèque à travers des bébelles achetées impulsivement. On les redécouvre aux périodes des grands ménages saisonniers, parfois avec étonnement et se demandant avec un peu de culpabilité pourquoi on a acheté ce bibelot qui n’est rien d’autre qu’un capteur de poussière.

Mais certains objets sont plus que de la simple matière, que de banals bidules. Ils sont habités par la présence d’un être cher. Les regarder, les manipuler, les sentir peut émouvoir aux larmes. Ils nous lient à ceux qu’on a aimés et même à ceux qui nous ont peinés.

Montréal 2014

Le verdict est sans équivoque. Un cancer fulgurant laisse peu d’espoir quant à la guérison de Claire. Je suis consterné. Le foulard! Le foulard me revient en mémoire. Pourquoi? Je ne sais pas. La triste nouvelle a fouetté mon lobe frontal ou mon cervelet et a puisé dans ma réserve de tendresse pour se manifester.

On se parle au téléphone et le sujet du cancer est à peine abordé. Mon souffle est court et mon cœur bat trop vite. Je suis maladroit et bouleversé et le maudit foulard m’obsède.

Je lui acheminerai mon cadeau via des amis qui l’accompagnent à l’hôpital. Claire décédera quelques jours plus tard, en pleine période des Fêtes. Ironie. Nos amis me transmettront ses remerciements pour le foulard.

Comme un tapis volant, le foulard voyage à nouveau. Une nièce le porte fièrement au cou ou accroché à son sac à main en souvenir de sa tante, un neveu l’a encadré pour enjoliver une pièce de sa maison qui a besoin de joie, quelqu’un l’a expédié dans un centre de récupération après avoir vidé l’appartement de mon amie. Peut-être est-il retourné dans une boîte au fond d’un tiroir, oublié pour un autre quart de siècle, mais toujours il sera habité par une parcelle de l’âme de Claire.

« Léger comme un rayon de lune, sensible aux moindres nuances de ton souffle, le foulard à ton cou savait tout de ton âme. » – Christian Bobin, Noireclaire

Le vêtement et l’accessoire sont des témoins de notre parcours de vie et à leur façon ils racontent des pans de notre histoire.

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