La réalité, la fiction, où tirer la ligne? - Les Radieuses

La réalité, la fiction, où tirer la ligne?

Sous ma loupe, deux autrices et deux auteurs, j’atteins la parité littéraire! Vous les connaissez peut-être, puisqu’ils ne sont pas nés de la dernière neige. Une spécialiste de l’enquête portant sur des sujets toujours d’actualité, j’ai nommé l’excellente et prolifique, Chrystine Brouillet. Elle nous offre « Sa parole contre la mienne ». Un autre pro du polar, André Jacques et son dorénavant célèbre enquêteur, Alexandre Jobin, qui nous offre une enquête sur le trafic d’art et d’armes à feu. Passons maintenant à Micheline Lachance, historienne romancière, forte de ses séries à succès (Roman de Julie Papineau et la série Les filles tombées), elle nous propose ici un titre solo qui réveille le passé d’un juge qui aurait une fille illégitime qu’il renie. Je termine par Simon Roy qui se penche avec intelligence sur la pertinente question : « Est-il possible de tracer la frontière entre la vérité et la fiction? »

Sa parole contre la mienne de Chrystine Brouillet – Édition Druide

Encore une fois, l’autrice fait la démonstration qu’elle est une fine observatrice de la scène actuelle au Québec. Nous nous rappelons tous et toutes de la vague #metoo, eh bien, l’autrice plonge à pieds joints au cœur de ce sujet délicat. D’ailleurs, son titre reflète le non-recevoir des accusations portées à un prédateur sexuel avec sa preuve ardue à démontrer, l’action s’étant déroulée sous la couette. Cette fois, ce n’est pas Maud Graham qui mène l’enquête, c’est une journaliste éprise de justice pour ces femmes de l’ombre qui flétrissent dans leurs souvenirs malsains. Tout se tait au lieu de tout se sait. Elles sont plusieurs pourtant à avoir passé sous la férule d’un animateur vedette qui s’en tire toujours blanc comme neige.

Facile de laisser croire à ces femmes qu’elles portent en elle leur part de responsabilité dans ce rapport de force. La journaliste déterminée, Myriam, va aider les « victimes » à se sentir assez fortes pour accepter de déterrer un viol commis au nom du consentement. Le roman court dans plusieurs directions et couvre avec brio la complexité du sujet. L’histoire est menée d’une main de maître, les rouages se tiennent, l’intrigue est forte et plus que plausible. Cette histoire que l’écrivaine nous propose comme une fiction pourrait aussi bien être vraie. D’ailleurs, l’est-elle? Quand on ferme la couverture en se posant cette question, on peut lancer à l’autrice : mission accomplie.

Les gouffres du Karst – d’André Jacques – Édition Druide

Qui ne connaît pas encore Alexandre Jobin devrait au moins goûter à une de ses enquêtes et voir s’il aimera baigner dans des ambiances de crime et d’art. Cet enquêteur n’en est pas vraiment un, officiellement parlant. Ancien membre des services secrets de l’armée canadienne, il vaque à ses occupations d’antiquaire jusqu’à ce qu’un crime d’envergure l’amène à s’en mêler. Il faut savoir que l’enquêteur est estimé dans le milieu, sa réputation le précède. Alexandre Jobin aime voyager, tout comme son créateur André Jacques. Il est coutume pour l’écrivain d’aller glaner des détails réalistes, lorsqu’une enquête traverse les frontières. Cette fois, le dénouement se concentre en Italie et en Croatie.

Démanteler un réseau de trafic d’armes n’est pas une mince affaire, surtout que notre homme traîne des séquelles physiques et psychologiques de ses enquêtes précédentes. Est-ce pour cela que l’auteur lui a accolé une coéquipière? Toujours est-il qu’il n’opère plus seul, je l’ai découvert pour la première fois avec sa conjointe, ainsi que sa fille, Pavie. Les deux jouent des rôles importants et même surprenants. J’ai trouvé que l’auteur donnait la belle part aux femmes, assez que Pavie prend des allures l’héroïne. Alexandre Jobin en prend pour son rhume, difficile de briller autant lorsque l’aide te fait remporter la manche. Cette nouvelle situation le transforme en enquêteur humble et humain. Faillible, disons-le. Le roman se déroule en 2005 et par souci de réalisme, l’auteur a l’habitude de faire du repérage. Cette fois, comme il le déclare lui-même « on lui a coupé les ailes », pandémie oblige.

Ce désir de se coller à la réalité dans le cadre d’une histoire inventée nous ramène à la fameuse question : peut-on se permettre de falsifier la réalité dans une fiction?

Ne réveillez pas le chagrin qui dort de Micheline Lachance – Québec Amérique

Micheline Lachance nous entraîne ici dans une enquête « maison », menée par une femme journaliste qui s’est toujours sentie mal aimée par son juge de père exagérément cartésien. Le déclencheur : une photo relevée dans un journal représentant une jeune femme décédée qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Un rapide calcul convainc Anne Delagrave que cette femme pourrait être sa demi-sœur. Son enquête l’amènera à découvrir une famille de femmes âgées aussi touchantes que surprenantes. Est-ce que son père aurait préféré cette fille non officielle à elle, sa fille légitime? Elle fouillera pour découvrir le fond de l’histoire.

Avis aux nostalgiques des années 80, ce drame psychologique y est admirablement bien campé. Le mot de remerciement, trouvé à la fin du livre, lequel je lis toujours passionnément, le démontre point après point. Pour les esprits d’historiens, comme celui de Micheline Lachance, aucune réalité n’est reléguée au rang de détail : évènement, mode, décor, tout revêt une importance capitale. Depuis toujours, je me dis que les romans historiques sont menés par des esprits aussi cartésiens que ceux des scientifiques. L’histoire avec son grand H serait la science du temps.

Au début des années 80 s’amorçait chez la gent féminine une libération en règle, laquelle s’est prolongé jusqu’à nos jours. D’ailleurs, les personnages féminins de cette histoire partagent une force de caractère non enviable à notre époque. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je traiterais un roman des années 80 comme un texte historique! Faut croire qu’une quarantaine d’années, c’est suffisant pour creuser la pente des changements sociaux et culturels. Quand peut-on traiter un roman d’historique? Lorsque l’écrivain poursuit un but avoué : restituer la réalité le plus fidèlement possible. Et dans ce sens-là « Ne réveillez pas le chagrin qui dort » est assurément un roman historique, nous présentant une anecdote en or pour mettre de l’avant cette décennie foisonnante.

Fait par un autre de Simon Roy – Boréal

Nous y voilà à cette lecture qui interroge la fiction versus la vérité. Cet auteur s’était glissé sur les rails de la fiction se frottant de près à la réalité avec son réputé « Ma vie rouge Kubrick » sondant le film « The Shinning » de Stanley Kubrick. Cette fois, il attaque la question de front, même s’il passe par un vrai « personnage » : Réal Lessard. Ce dernier existe et c’est un faussaire né à Mansonville au Québec ayant peint des tableaux aux noms de célèbres peintres : Dufy, Matisse, Derain, Modigliani et autres. L’escroquerie est une activité qui peut se pratiquer en solitaire, mais Réal Lessard n’avait pas cette propension.

C’est son compagnon de vie et agent d’artiste, Fernand Legros, l’initiateur de cette arnaque en règle. Il fera travailler sans relâche son protégé, en lui faisant miroiter une exposition dans des lieux prestigieux. En secret, il ira quérir des certificats d’authentification, réussissant ainsi à berner de nombreux évaluateurs de tableaux. Simon Roy a trouvé dans cette histoire rocambolesque le prétexte idéal pour longer la frontière entre le faux et le vrai, la fiction et la réalité. Sa réflexion est féconde, je l’ai appréciée, malgré mon cerveau parfois confus entre le vrai et le faux justement. De ma lecture est né le désir de lire une pure fiction signée par Simon Roy! D’après moi, je vais attendre longtemps, car l’auteur semble jubiler dans l’art de s’inspirer de faits véridiques pour ensuite broder autour. C’est sa force et tant qu’elle lui attirera un lectorat assidu, je devrai fouiller ailleurs pour me repaître de la plus pure fiction, pourvu qu’elle existe!


À la suite de ces lectures, la question demeure entière : quelle est la proportion de fiction dans la réalité et, surtout, question posée sans relâche en littérature; quelle est la proportion de la réalité dans la fiction?

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