Des centaines, des milliers, des millions de chansons font l’éloge de l’amour ou le constat de son échec. Je te quitte, tu me reviens, je t’aime à mourir, tu me hais, je veux mourir dans tes bras, que ferais-je sans toi. La formule des mélodies est essentiellement la même, l’amour fait souffrir, tant par sa présence que par son absence. Le prince charmant et la fée de l’amour nous sont racontés dès l’enfance, personnages mythiques sans qui notre vie serait un échec et notre bonheur, impossible à vivre si l’on est seul. On s’attelle à la tâche sans guide d’instruction, être en couple est un must. Quelle est la recette des couples heureux, la méthode qui permet de perdurer des décennies? Chacun a son histoire. Je vous raconte la mienne.
Je ne souscris pas ni en amour ni en affaires aux recettes et aux méthodes qui garantissent le succès. Cela va à l’encontre de ma nature. J’ai compris cependant avec les années que l’amour est une dimension de soi et que la vie de couple est une expérience qui nous permet de transgresser des comportements pernicieux que nous reproduisons dans d’autres domaines de notre vie. On rejoue dans le même film, celui des peurs. Celles de ne pas être à la hauteur, de souffrir, d’oser dire, d’être exploité. La méfiance, la sensation d’abandon et de rejet peuvent s’installer insidieusement. Cette dichotomie qui nous habite entre se laisser porter par la vague amoureuse et la frousse de se tromper et de le regretter peut saboter une relation qui était promise à un bel avenir.
Mon histoire a ceci de particulier qu’elle se situe dans le temps. Le temps où les homosexuels étaient stigmatisés, invités à quitter leurs villages pour ne pas dire évincés, traités de maudites pédales et de tapettes, intimidés, agressés, voire canardés. Le jour de mon dixième anniversaire, ma mère m’a cuisiné un gâteau des anges et m’a dit : « Tu es un homme maintenant » et une petite voix dans ma tête d’enfant a répliqué « Osti que ça va être long ».
Comment vais-je traverser ma vie sans l’appui de personne, moi, l’enfant marginal qui aimait les arts plutôt que le hockey et la musique de chambre plutôt que les rigodons? Je me sentais si seul, isolé dans ce village où je ne ressemblais à personne d’autre. À la fin des années 1980, quand je parlais de mon homosexualité dans des meetings AA, des hommes se levaient et quittaient la salle en maugréant. J’ai longtemps cru que personne ne m’accepterait comme j’étais. Ce repli sur moi-même que j’avais développé dès l’enfance compliquait l’interaction avec les autres hommes pour établir une communion.
Je me questionnais à savoir comment deux écorchés, deux naufragés de l’enfance pouvaient créer une relation saine, douce et équilibrée, dans la retenue, parfois sans la partager avec leurs familles, sans démonstration affective en public. S’embrasser dans les feuilles mortes l’automne ou se promener main dans la main était suicidaire. On est en 1987.
J’ai rencontré l’homme le 22 décembre 1987 au Laurier BBQ sur la rue Laurier à Montréal. Ma première et unique rencontre à l’aveugle organisée par des amis. Elle dure depuis 34 ans. J’ai mis du temps à y croire. Déconstruire mes anciens schèmes de pensée pour en explorer de nouveaux est un processus qui m’a demandé une certaine témérité. Ma vie de célibataire Yuppie (young urban professional) tournait autour de ma carrière et j’avais beaucoup de temps à rattraper après plusieurs années de dérive.
Maintenant que j’affrontais les événements de la vie sans alcool et sans drogue, serais-je capable de partager mon quotidien dans la sérénité avec un autre homme? J’en doutais. Pourtant, j’avais traversé de nombreux déserts affectifs et je souhaitais sincèrement vivre une relation. Des amis gay me comparaient à une jeune fille qui attend son prince sur un cheval blanc et craignaient que je sois perpétuellement déçu. « Dans le milieu gay, une vie de couple, c’est impossible », rabâchaient-ils.
Irréductible, l’homme aux yeux foncés et à la crinière noire de jais savait d’instinct qu’il devrait s’armer de patience pour gagner ma confiance. Sobre et en cheminement depuis trois ans, j’avais décrypté mon histoire et compris la mécanique de mes systèmes de défense. Quoi de mieux pour cautériser mes écorchures des relations précédentes que d’entreprendre un périple amoureux afin de mettre en pratique mes belles leçons d’intériorisation. J’ai glissé vers l’amour parce que quelqu’un d’aimant, d’indulgent, a accepté que je jugule mes appréhensions en sa présence et que je lui communique mes inconforts, mes résistances et tous les travers des méandres de mon mental. Ce fut la clef de voûte de notre relation, prendre soin de l’autre, aller dans le même sens et non le contraire.
Parallèlement à notre couple, la société évoluait lentement vers plus d’ouverture face aux revendications des gay, mais les préjugés et les fausses perceptions tenaient bon. « Qui fait l’homme dans votre couple, qui fait la femme, nous demandait-on en plaisantant en 1994. »
Aujourd’hui, en 2021, certains préjugés viennent de l’intérieur.
Les détracteurs ont changé de camp. Une frange de la nouvelle génération d’homosexuels condamne les gay qui reproduisent le modèle des hétérosexuels qui se marient, ont des enfants, vivent en banlieue. Ces homosexuels (plus âgés) comme moi qui n’ont pas, croit-on, transgressé les rôles du couple et brisé les conventions sont coupables de retarder la cause, leurs causes. Quoi qu’ils en disent ou qu’ils en pensent, ma relation avec mon mari a fait de moi un homme plus humain, plus pausé, nuancé, qui a mis à profit son potentiel plutôt qu’alimenter l’image négative qu’on lui avait inculquée. Il m’a permis de développer une facette de moi que j’ignorais.
L’homme et moi avons redéfini la passion, celle qui enrichit parce qu’elle est constructive et non la passion destructive qui nous enchaîne à la dépendance de l’autre et à la peur de le perdre. Cette confiance en l’autre, je l’ai reçue en cadeau sur un plateau d’argent par mon amoureux qui me l’a enseignée, habitué que j’étais à vivre dans l’adversité et non l’hospitalité. Un compagnon de vie solide, un socle.
Notre romantisme n’en est pas un de fleurs ni de chocolats, mais d’appuis sincères dans les projets de l’autre. Nos rêves, nombreux, ont tenu promesse. En 34 ans, nous avons esquivé des troubles de santé majeurs, des revers de fortune, des pertes d’emplois. Nous avons traversé ensemble les deuils de nos parents et certains membres de nos familles. Nous nous sommes questionnés à l’occasion sur notre couple. Est-ce normal de traverser un confinement de plusieurs mois, quotidiennement avec la même personne, sans anicroche… ou si peu? Je me suis souvent demandé comment cet homme pouvait supporter mon anxiété, mes insécurités de travailleur autonome, mes répliques assassines aux sans-génie de ce monde et mes commentaires abrasifs aux inconvenants. L’amour est peut-être plus simple qu’on le croit. Plus jamais je ne dirai que « Le bonheur est un costume un peu trop grand pour moi » tiré de la chanson Je vais dormir d’Ycare.
Luc Breton
Analyste en comportements vestimentaires
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Une réponse
Ouf ouf ouf mon cher Luc encore une fois je me répète PERTINENT et toujours aussi savoureux à te lire. Je m’ennuie ????