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Les radieuses saisons de la plage

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Les bruits et les vibrations qui flottaient dans l’air étaient joyeux. C’était presque le plein printemps et, sous la neige fondue, la vie végétative engourdie par le gel redevenait vivante. Le cycle de la vie recommençait et, sur fond de ciel bleu, les bourgeons s’ouvraient : de jeunes feuilles se coloraient d’un vert particulier qu’on ne voit qu’à cette période de l’année. Il y avait un doux vent qui caressait l’eau et des mouettes qui pratiquaient leurs vols planés. L’hiver en vase clos, avec son silence blanc, était enfin vraiment fini. La vie redevenait bruissante et gaie.

Au sol, sous la chaleur du soleil, les bulbes de muscaris, de jonquilles, de muguets, de jacinthes et de tulipes, hier figés par le froid, pointaient leur nez. Ça croissait! Les immenses silhouettes des branches des chênes commençaient à se verdir et dessinaient des jeux d’ombres qui me ravissaient. Toute cette vie naissante m’insufflait un élan d’énergie. Je ne sais quel miracle se produisait, mais les humeurs changeaient; les marées rendaient les pensées plus légères. Dans ce lieu lumineux où tout est en harmonie, je me sentais en paix, plus indulgente et remplie d’espoir.

La lumière du printemps mettait de la joie dans les yeux et dans la voix des gens. En même temps que la nature, les humains revivaient. Le soleil se faisait chaud, l’air était plus tiède. Les gens profitaient de ce lieu merveilleux, juste à côté, mais loin des bruits et des odeurs de la ville. En marchant un pied dans l’eau, un peu froide encore, et l’autre sur le sable, je regardais le tronc d’arbre abandonné par la marée et les empreintes des pas laissées devant moi. Mon esprit, déjà loin du monde asphalté, imaginait les plus beaux des rêves. Le soleil, le bruit de l’eau et l’odeur du sable mouillé faisaient de cet endroit un lieu serein; si serein que personne ne semblait pressé de rentrer. Malgré les saisons, malgré les détours inattendus du destin, la marée ne s’arrête jamais de monter et de descendre; malgré les chagrins et les tragédies, le fleuve reste immuable, et ça, c’est réconfortant.

L’été avec mon amoureux, on a pris l’habitude de s’installer un peu en retrait, sous les grands arbres agités par le vent, collés contre quelques vieux cèdres. À quelques mètres devant nous, une étroite allée où l’herbe est disparue tellement on s’y est promené. Derrière nous, la falaise nous garde sous haute protection et au-dessus de nos têtes, la lumière du soleil s’infiltre, tout en douceur, par les trous laissés par les feuillages. Assise entre le fleuve et le rocher, je lève régulièrement les yeux de mon livre pour admirer et m’imprégner des lieux et j’aspire l’odeur de l’eau et des algues à pleins poumons. Les jours chauds me laissent parfois engourdie comme avant le sommeil. Malgré qu’il y ait beaucoup de gens, c’est un lieu si paisible qu’on y perd la notion du temps; c’est un lieu si enchanteur qu’on y est quelques fois resté jusqu’à ce que le soleil devienne rose et disparaisse derrière le cap rouge.

Les premiers mois d’automne sont du passé. En ce mois de novembre, il y a une atmosphère tout à fait particulière, presque mystérieuse : l’air chaud tremblote au-dessus du fleuve; au loin, le soleil qui semble pris dans le brouillard rend la rive sud floue. Peu à peu, le vent s’infiltre sous la brume et, à travers les rayons de soleil, la rive apparaît. Emmitouflée dans ma couverture, collée contre les vieux cèdres pour me protéger du vent, je regarde avec ravissement cette image où le fleuve enveloppé dans le brouillard nous en met plein les yeux. Puis, gonflée par le vent fort, la bruyante marée montante émerge et nous en met, à son tour, plein les oreilles. Je ne veux perdre aucun instant de ce moment où la brume se lève et où la couleur du ciel et du fleuve s’emmêle. C’est un spectacle rare qui m’a fait oublier que bientôt viendra l’interminable hiver.

La terre s’apprête à geler et de gros nuages voyagent du nord au sud. Ça donne froid dans le dos! Il suffirait d’une seule journée de vent pour que les arbres soient complètement dégarnis et que la neige recouvre le sol. La plage est vraiment un lieu parfait, mon lieu préféré « à vie » comme disait mon petit-fils. Mais la vie n’est ni parfaite ni éternelle et même si j’espère voir un autre printemps, je déteste les derniers jours de l’automne où j’ai le sentiment que même les oiseaux ont un cri frileux. Les fleurs se meurent de froid et c’est la fin des visites à la plage : la barrière métallique s’abaissera demain.

L’hiver est là avec ses longues journées pareilles à la veille : il y a les poudreries, les violentes tempêtes qui briment la vision, le vent qui griffe le visage, le froid qui gèle les joues, les doigts et les pieds. Il y a l’air qui râpe les poumons et qui engloutit toutes les odeurs, tous les bruits et toutes les couleurs de la vie. J’ai envie de dormir ou de partir dans le sud pour échapper à tout ça! Il y a le soleil bas qui rend la neige aveuglante et le silence, ce silence mortel qui étouffe tous les rires et feutre tous les bruits des vivants. Loin de la plage, pendant ce « maudit hiver », j’ai la sensation d’un isolement forcé; je ressens un long abandon.

J’attends le retour des jours doux du printemps et de sa belle clarté et je rêve de lire au soleil, au bruit du vent, dans le tapage des vagues qui échouent sur la plage et les roches. Je rêve au retour de l’été pour écouter en toile de fond les oiseaux sourds aux soucis des humains. Je rêve de m’étendre et de suivre sous mes lunettes soleil, les nuages qui s’étirent, dérivent et filent à toute vitesse. Que j’ai hâte à ces belles heures où je pourrai lire en respirant le parfum de l’air gorgé des odeurs que charrie le fleuve! Que j’ai hâte de retrouver cette « happy place », comme il est dit en langue anglaise!

Pour moi, il n’y a rien de mieux que la plage pour oublier les soucis du quotidien. Y marcher, silencieusement au bruit de la marée en regardant les canards colverts flotter, main dans la main avec mon amoureux, c’est du bonheur. M’y assoir en participant aux jeux de ma petite fille pendant qu’une mouette s’approche pour lui voler quelques bouchées, c’est pour moi le bonheur parfait. Là, avec un enfant heureux à admirer, il n’y a qu’à vivre l’instant présent. Les pieds dans le sable en écoutant la vague, je m’y sens libre, heureuse et vivante. Je crois que la plage est l’endroit où il est distribué, gratuitement, le plus de bienfaits. C’est là qu’est la belle vie!

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2 Responses

  1. J’ai aimé ce texte .., riche en descriptions qui nous amènent à voir ce changement dans la nature lors des saisons Descriptions animées d’une émotion qui attachent notre intérêt tout au long de la lecture de ce texte
    Bravo Claudette

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