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Les vieillissants

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Les moments les plus tristes de l’actuelle pandémie ont eu lieu dans les CHSLD. Et, il faut bien l’admettre, avant de faire le décompte des morts, on se souciait peu de ce qui s’y passait.

Au fil des semaines, on s’est tous fait une idée de ce que sont les CHSLD. Ils sont des lieux hors du monde pour ceux dont tous les organes convergent dans le sens de la mort. Ils sont des ghettos où se rassemblent ceux qui ne tiennent plus à la vie ou qui n’ont même plus la mémoire de ce qu’ils ont vécu. C’est un endroit où l’on sait que les humains sont vivants seulement parce qu’ils souffrent. Un lieu où les vieilles personnes malades ou solitaires vivent de force parce que l’on ne peut faire mieux qu’abréger leurs souffrances. Pour moi, les CHSLD sont des mouroirs!

Dans notre société, il y a également des résidences pour aînés autonomes et semi-autonomes. À coup de publicités, on a massivement prescrit que la vie en résidence était le lieu parfait pour les vieillissants. Ces derniers, parce que moins d’énergie pour entretenir la maison et le terrain ou parce que n’ayant plus personne à qui parler ou plus personne pour mettre des bras autour de leurs épaules, quittent leur maison pour vivre en communauté dans ce lieu où il y a, paraît-il, la vie d’hôtel.

Il est vrai que pour une partie de ces vieillissants, la vie en résidence, c’est la belle vie. Mais tous n’ont pas envie de cette vie communautaire où, parfois, l’on doit manger tous les jours à la même table avec les mêmes gens. Certes, avec toute la force dont ils sont capables, la plupart s’habituent à cet environnement social et arrivent à fonctionner dans leur nouvel habitat. Pour certains autres, dont je suis, la belle vie ne correspond pas tout à fait à ce genre de prise en charge. Mais, où aller quand aucun autre choix plus autonome et plus indépendant n’est socialement proposé?

Il y a des personnes de 70 ans et plus qui croient encore et à raison que, même s’ils ont à leur actif plus de succès passés que de succès futurs, ils ont leur place au cœur de la société et de la vie active. Leurs conditions de vie à venir touchent en moi une fibre particulièrement sensible, car je suis de celles-là. Pour moi, la vie dans les résidences pour aînés est un choix de plus, mais ce n’est pas le meilleur choix.

Au cours des derniers mois, les résidences sont devenues un lieu de tragédie presque autant publicisées que les CHSLD. On ne peut pas écarter le fait que le nombre de morts dans ces établissements a révélé froidement la vérité sur les risques de vivre regroupé. Avec un peu de honte, pour leur impuissance, des experts ont essayé d’expliquer comment le micro-organisme à couronne a pu causer autant de décès. Les institutions ont paru avoir réellement à cœur de tenter de faire quelque chose de mieux pour les aînés et pour ceux qui deviennent des vieillissants. Néanmoins, les solutions sécurisantes sont peut-être ailleurs que dans les seules réfections des résidences et dans la construction de maisons pour aînés. Il faut avoir l’humilité de creuser en profondeur les besoins de nos vieillissants et d’élargir la façon de penser quant à la dernière période de leur vie. Les instances gouvernementales ont ainsi paru ouvertes à considérer également l’aide à domicile.

Malgré que les résidences proposent des environnements sécuritaires et qu’elles offrent des espaces privés, elles constituent tout de même des communautés isolées et en marge de la société. Il est bien connu que ce qui cause la tristesse et la détresse psychologique, c’est le manque de contact humain et le fait de devoir vivre séparé et loin de ses proches. Quand on comprend que certains aînés ont envie de mourir parce qu’ils n’ont aucun espoir d’une vie affective, peut-être faut-il déduire qu’il importe de changer leur cadre de vie et leur environnement quotidien.

Si l’on tient pour important la dignité humaine et le besoin de contact social, il faut aux personnes vieillissantes, tout comme aux plus jeunes, quelqu’un à aimer ou même à détester, car, même quand on prend de l’âge, les sentiments, les câlins et la tendresse comptent. Je dirais que vivre en retrait d’un environnement affectif est nocif aux vieillissants.

Après cette autre façon de vivre qui nous a mis à distance les uns des autres, il faut reconnaître que, comme nous et comme nos enfants et petits-enfants, les personnes âgées ont manqué d’étreintes. Plutôt que de mettre les vieillissants à l’écart, il suffirait peut-être de faire tomber les barrières et de favoriser les rencontres intergénérationnelles. Est-ce qu’il n’est pas contre nature de séparer les parents de leurs enfants et les grands-parents de leurs petits-enfants? Il y a, c’est bien connu, entre les grands-parents et les petits-enfants, des atomes crochus, des affinités affectives. Pour garder le lien, quelques paroles au téléphone ou un FaceTime ne suffisent pas. La présence et la rencontre physique sont essentielles!

Les « vieux sont vieux » et il est dans l’ordre des choses d’anticiper qu’ils vont mourir un jour. Mais le coronavirus les a tués avant qu’ils ne meurent. Depuis qu’ils sont en grand nombre dans les statistiques de décès, on ne peut plus faire comme si la vieillesse n’existait pas. Soudainement, il semble normal de prendre soin d’eux avec respect; tout à coup, les vieux ont pris de la valeur.

Parce qu’ils n’ont plus à se défendre de quoi que ce soit, ils ont gagné le calme intérieur et ils savent mieux écouter, mieux deviner et mieux comprendre les autres. Les vieillissants ont beaucoup de vécu et ils voudraient être encore utiles, mais ils ne sont plus requis nulle part. Comme on n’attend plus rien d’eux, ils n’attendent plus rien de personne et dès lors, ils sont déjà à cinquante pourcent morts. Et dans leurs yeux, on voit de la tristesse.

La majorité d’entre eux n’ont plus d’amoureux ou d’amoureuses qui leur disent qu’ils les aiment. Comme ils ont de moins en moins de personnes à chérir près d’eux, ils pensent fort aux enfants qu’ils ont mis au monde. Ils se sont mis à les aimer comme ce n’est pas possible; parfois ils pleurent parce qu’ils se font des soucis en pensant à eux. Ils s’inquiètent, ils se font de vrais malheurs et ils ont de vraies tristesses et de vrais chagrins. Se soucier de quelqu’un, ça donne au moins une raison de vivre. Est-ce que les vieillissants peuvent bien vivre sans l’amour de ceux qui leur sont les plus chers au monde?

À force de n’être occupés à rien d’autre qu’à penser à leur passé, ils vivent consternés et enfermés dans la solitude. Ils ne sont plus parmi le monde. Peu à peu, ils oublient les dates et ne se souviennent même plus des noms de leurs enfants. Leur mémoire finit par s’asphyxier et ils dorment de plus en plus. Malheureusement, dans leur sommeil, ils ne savent plus faire de beaux rêves d’avenir. Une vie dans la solitude, est-ce vraiment une vie pour un humain?

On dit que pour bien vivre, ce qui est important, c’est d’être jeune dans sa tête et dans son cœur. La tête et le cœur, c’est aussi ce qui est le plus difficile à soigner. Quand la tête et le cœur ne sont plus des alliés, même les souvenirs de bonheur ne servent à rien.

Quand on visite les résidences dédiées aux personnes en perte d’autonomie, on en voit quelques-uns si peu présents qu’ils ont leur nom écrit sur leurs vêtements. On a l’impression qu’ils sont dans leur fauteuil depuis qu’ils sont nés et qu’ils y sont à titre définitif. Ceux-là sont peu fréquentés. Pour ces vieillissants qui n’ont rien à dire à personne, personne n’a plus d’importance. Ceux-là donnent l’impression d’être murés dans le silence et seuls au monde.

Depuis le coronavirus, j’ai une peur bleue de n’être plus rien ni personne et de me retrouver dans un de ces lieux à attendre la fin de ma vie. En pensant à mon avenir, j’ai un coup de découragement. Il vaut peut-être mieux ne pas prévoir vivre trop vieux!

En attendant de retrouver le moral, je mange un double cornet de crème glacée au chocolat. On dirait que dans ces moments où les mots ne suffisent plus, ces bonnes choses sont encore meilleures que d’habitude!

Claudette Rivest

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6 Responses

  1. Les vieillissants! J’adopte dès maintenant cette désignation, juste, jolie pour remplacer les vieux, les aînées et surtout, les personnes âgées. Je me sens beaucoup mieux depuis que je suis devenue une vieillissante! Merci!

  2. Tellement criant de vérité. Nous (je) avons laissé tombé nos parents, en s’éloignant physiquement d’eux. Que ce soit pour le travail ou pour l’amour. Comme je le regrette aujourd’hui ?. Essayons d’apprendre de nos erreurs, et à l’aube de la retraite, rapprochons nous de nos enfants et petits-enfants. Nous aurons besoin d’eux, car ils nous garderont jeunes, mais ils auront également besoin de nous, car nous pouvons tellement leur apporter. Nous rapprochant de cette nouvelle vie que sera la retraite, je fais le vœu que notre vieillesse soit meilleure que celle de mes parents. Merci Madame Rivest pour ce magnifique texte.

  3. Bravo, un regard réaliste sur un cheminement renforcé par des campagnes de promotion présentant les maisons de retraites comme un éden, comme le seul issu, quel tristesse que tant de gens se sentent interpelés par l’illusion.

  4. Les gouvernements ne font rien pour les personnes vieilissantes on en a eu la preuve dernièrement.
    Ce texte est réaliste.
    Il y a des solutions pourtant . J’avais entendu Janette Bertrand dire qu’il existe à Montéal des maisons multi- générations ou les vieux et les jeunes couples y ont leurs logements, la vie est plus mouvementée et agréable, il y a de grands parcs où se recontrer, se connaître et échanger .
    Oui surtout évité d’ être pris dans les beaux appartements qui coûtent un prix de fou et qui brime les libertés de chacun avec leurs règlements.
    C’est la volonté de changer les choses qui manque aux promoteurs et aux dirigeants

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