Ode au magasinage - Les Radieuses

Ode au magasinage

Pour plusieurs, magasiner est une activité futile, superficielle et ennuyeuse. Auprès des miens, le magasinage a plutôt mauvaise presse.

À la retraite, alors que je n’ai plus eu de rendez-vous et d’horaire programmé et que la maison est devenue un lieu sans les aléas de jeux d’enfants, il m’est venu l’idée d’un décor plus élégant. Notre maison avait connu des années de vache maigre, alors il était temps de lui redonner du lustre et une nouvelle heure de gloire qui serait adaptée à notre vie de retraite. Je n’avais pas envie de passer des journées complètes au centre d’achat ni non plus de faire systématiquement les boutiques; alors, j’ai décidé (ou décrété) que le Winners/Home Sense serait le lieu parfait pour magasiner. J’étais emballée à l’idée de revamper la maison.

Cette nouvelle activité donnait à jaser à mes enfants; elle a suscité des commentaires et alimenté quelques conversations. Ils n’y comprenaient rien! Selon eux, la retraite me créait un dur passage : je comblais un vide ou un mal-être. Je devenais à leurs yeux une étrange créature, une bibitte bizarre. Magasiner n’est pourtant pas une activité illicite. Ce n’est tout de même pas plus anormal que de consommer des billets de loterie, de s’abonner à tous les magazines à potins ou de s’adonner aux commérages. Ce n’était qu’un petit péché mignon, un peu de piment dans le quotidien.

Mes enfants m’ont gentiment fait la morale, mais je n’ai pas eu une once de malaise, car je savais que mes raisons étaient louables.

– Mon frère, te souviens-tu de nos journées d’essayages pour la rentrée scolaire?

– Oui. En ce temps-là, notre mère n’était pas davantage minimaliste qu’aujourd’hui! On en avait pour au moins une heure.

– En plus de ne pas être minimaliste, elle était perfectionniste : même nos bas devaient être dans les bons tons.

– Encore aujourd’hui, elle nous donne des leçons vestimentaires : pas de legging, de jeans troués ou de casquette pour aller dans un grand restaurant.

Avec la fermeture d’une huître, je n’ai pas bronché devant leurs attaques moqueuses. Je sais que, dans une famille, les taquineries font partie des discussions comme le pain au déjeuner. Les enfants ont lancé les hostilités, alors je pouvais tout de même argumenter un peu leurs moqueries!

– Une séance de magasinage, c’est du sérieux. À l’idée de partir à la recherche de la trouvaille et de traquer la vraie aubaine, je me sens excitée comme une puce. J’ai entrepris une nouvelle profession dont les conditions de travail ne sont que réjouissantes et, comme vous me l’avez dit, mon passé avec vous en témoigne : je suis une candidate triée sur le volet.

– Ah! Ah! Ah!

– Je ne suis pas traumatisée par vos rires! Je sais que vous êtes à mille lieues de cet univers créatif. Vos considérations sont terre à terre. Dans le fait de chercher un coussin ou un cadeau d’anniversaire original, il y a une part de créativité. Je deviens une experte en repérage. Et, au temps de la magie de Noël, trouver une jolie nappe rouge saupoudrée de paillettes, ça me met le cœur en joie. Être à l’affût du morceau qui a du style, en appareillant celui-ci à celui-là, c’est du plaisir et je crois que j’ai un goût assez sûr pour l’agencement. Je n’ai donc aucune honte à avouer que mon côté artistique y trouve son compte.

– Ah oui! Ton côté artistique!

– Les enfants, j’en suis seulement à la pratique, aux rudiments de cet art, mais au terme de mon apprentissage, vous pourrez profiter de mon nouveau talent. Je peux déjà vous donner une première leçon : la couleur a de l’importance, mais c’est le matériau et la confection qui assurent la qualité et qui donnent du style. Il faut opter pour le classique, la sobriété, le monochrome et le camaïeu; parfois, avec parcimonie, on peut oser une touche d’extravagance, une petite folie.

– En tout cas, à propos de la couleur, on sait que tu ne porteras jamais un ton de pelure de concombre ou de courgette. On sait que tu es allergique aux verts. Surtout le vert sapin de ma chambre d’ado. Hein maman!

Les enfants se sont bien amusés à mes dépens et on a tous bien ri.

Après avoir renouvelé la décoration de ma maison, j’ai fait le tour de mon placard.

J’aime les beaux vêtements, particulièrement les sous-vêtements et les souliers. Mon amie dit que je n’arriverai pas à surpasser Imelda Marcos ni non plus les sublimes toilettes dans Les feux de l’amour. J’aime le beau, mais je ne suis pas une totale écervelée; je dépense tout de même de façon rationnelle. Et oui, il faut réfléchir un tant soit peu pour purger sa garde-robe des vêtements démodés ou qui ne conviennent plus.

Au cœur d’un vaste éventail de belles choses, je suis dans une parenthèse où mon œil d’artiste est comblé. Là où magasiner me donne le plus de plaisir, c’est lorsque je cherche un vêtement qui conviendra à ma petite-fille. Alors, dans les froufrous et falbalas, je suis au pays des fées! Je souris en pensant à la petite robe blanche qui est dans le sac. Je n’allais certainement pas bouder ce plaisir! Ma petite-fille sera mignonne à croquer!

Aujourd’hui, je n’ai plus d’enfant qui me tire par la jupe, mais, dans mon magasinage, je pense tout de même à ceux que j’aime : un foulard pour son nouveau manteau d’hiver ou un vernis à ongles spécial. Je suis vraiment heureuse quand j’entends : « Merci! C’est un bon choix! ».  Je reçois le compliment avec fierté et j’en retire une satisfaction.

En me faisant plaisir si je leur fais plaisir, mon honneur d’« emmagasineuse », comme dit ma petite-fille, est sauvé.

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