Quand je me suis installée hier soir devant mon miroir, je ne me doutais pas que ma journée allait prendre tout à coup un tournant inattendu. Prête à procéder à ma routine quotidienne, je contemplais distraitement mon reflet quand une pensée étrange a suspendu mon geste. Je me suis demandé si ce visage que je présentais à tout le monde était bien le mien. Pourquoi tout à coup cette pensée perturbante? Je ne sais pas. C’était peut-être parce qu’il m’avait fallu une fraction de seconde pour m’habituer à la couleur plus soutenue de mes sourcils. On me l’avait conseillée à la pharmacie pour accentuer ma ligne naturelle.
Immobile, j’ai scruté mon propre reflet dans le miroir. Après avoir repoussé mes cheveux vers l’arrière avec un large bandeau, je me suis mise à examiner attentivement mon visage et ses contours. L’ovale, autrefois si net, avait perdu sa fermeté. Ce relâchement s’était si lentement insinué que je ne l’avais pas trop remarqué au cours des années. Mes traits avaient changé, ils étaient moins fins. Avec le maquillage, je m’efforçais de camoufler le passage du temps, et donc le visage que je scrutais n’était pas tout à fait moi, mais une version différente. Améliorée? Peut-être. Je continuais à observer, fascinée et troublée par cette évolution inévitable. Est-ce qu’il fallait apprendre à s’adapter à ces changements ou m’engager dans un combat perdu d’avance? Une poursuite de la jeunesse à tout prix ne me tentait pas du tout, mais quelle était l’alternative?
Un résultat saisissant
Toute à mes pensées, j’ai commencé un lent travail archéologique. D’abord en enlevant méticuleusement sur un oeil le mascara noir qui donnait, il me semblait, plus de profondeur à mon regard. Avec un lait démaquillant à l’odeur de rose, j’ai effacé le fard à paupières taupe, la couleur qui pourtant m’avait semblé la plus naturelle. Puis, je me suis reculée dans ma chaise pour voir l’effet. Mon oeil, démaquillé, dévoilait maintenant une vulnérabilité choquante. L’autre, imperturbable, conservait son mystère sous une couche soigneusement appliquée de khôl et de mascara. Sous la lumière implacable de la lampe, le contraste était brutal.
Je me suis dépêchée de répéter l’opération sur l’autre œil, anxieuse de savoir si une certaine harmonie pourrait en émerger. Lentement, le démaquillant faisait son oeuvre. Le résultat était saisissant. Les deux yeux désormais nus semblaient m’observer, presque méfiants. À coup sûr, je perdais l’éclat que le maquillage apportait à mon regard. J’y perdais aussi la protection que confèrent ces artifices dans un monde obsédé par la jeunesse et la perfection. En me conformant aux attentes de la société, est-ce que je n’évitais pas tout simplement de m’exposer aux jugements? À une certaine forme d’exclusion?
La confiance envolée, je me suis sentie tout à coup distante de cette personne, dans le miroir, qui me regardait sans indulgence. Et pourtant, en y regardant de plus près, il y avait aussi une autre forme de présence, plus douce, moins imposante, terriblement authentique. J’ai même aperçu une minuscule flamme qui brillait, là, au fond de ses yeux.
Retrouver son authenticité
Je me suis précipitée vers une boîte à souvenirs et, armée de quelques vieilles photos d’enfance, j’ai comparé mon regard d’enfant à celui du miroir. J’y ai retrouvé la même lumière. Elle était donc toujours là, quelque part en moi, la petite fille qui avait couru dans les champs et rêvé de conquêtes et de liberté? Y aurait-il encore quelques autres vestiges de ma jeunesse? En cherchant bien, j’y ai retrouvé l’authenticité d’un certain sourire, le regard tantôt émerveillé par un monde de découvertes et tantôt effrayé par ses imprévisibles violences. J’y ai retrouvé aussi une aversion pour les caméras. La main levée pour bloquer l’objectif ne laissait aucun doute. J’ai fouillé mon regard d’aujourd’hui dans l’espoir d’y retrouver la douceur de ce temps où tout me semblait possible. À cette époque, l’avenir était un horizon lointain et un mystère excitant que j’avais hâte de découvrir.
Motivée par mes trouvailles, j’ai continué à retirer les couches superposées : l’anticernes, la crème de jour teintée, le rouge à lèvres, le crayon… et les cernes sont apparus. La texture de ma peau était plus fine, semée de minuscules taches apparues je ne sais quand. Autour des yeux, des ridules s’étaient formées, témoins des rires, des sourires, mais aussi des nuits d’insomnie et des inquiétudes passagères. Ce qui avait commencé par un petit jeu amusant s’était métamorphosé en une quête étrange, celle de révéler mon véritable visage. Non, ne riez pas, je ne prends pas souvent le temps de me regarder. Quand je le fais, c’est justement pour appliquer ce filtre de couleurs que j’estompe, comme une magicienne, pour mieux masquer la réalité. Une façon de réinterpréter la personne que je suis devenue dans une version plus acceptable, celle que je veux montrer au monde.
Une fois le travail fini, j’ai détaché mes cheveux qui sont retombés dans un désordre de mèches grises et blanches. Je pouvais lire la consternation sur les traits de la vieille dame qui me regardait. Un voile s’était soulevé pour révéler une vérité très intime. Disparue, l’image lisse et conforme aux attentes. Le miroir me renvoyait un visage plus doux, plus sage. En scrutant bien, je retrouvais des expressions furtives de l’enfant que j’avais été. Bizarrement et brièvement, j’en ai été rassurée. Sous les couches de transformations, je retrouvais enfin un fil conducteur. Ce sentiment a été de courte durée et vite remplacé par la déception de n’avoir pas été à la hauteur de mes rêves. Que de temps perdu à errer!
Les traces du temps
Dans le miroir, je vois les traces de mon passé dans les rides qui sont là pour me rappeler le chemin parcouru. Il en a fallu du courage pour les apprentissages, les erreurs répétées, les souffrances, les échecs et les victoires qui ont tour à tour creusé leur chemin. Ce sont ces cicatrices laissées par la vie que je cherche à effacer par le maquillage. J’essaie de lisser le passé parce qu’il torpille la vision que j’avais, enfant, de celle que je voulais devenir quand je serais grande. Pourtant, ces traces ne sont pas disgracieuses, elles ne méritent pas d’être cachées comme un défaut dont j’aurais honte. Elles ont une certaine noblesse, elles racontent mon histoire.
Hier soir, à travers ce rituel pourtant quotidien, j’ai eu l’impression de retrouver une partie négligée de moi-même. Le geste machinal auquel j’accordais si peu d’importance est devenu un moment d’introspection ou je me suis prise à apprécier la douceur de vieillir. Cela ne veut absolument pas dire que je renonce au plaisir du maquillage, mais plutôt que j’essaierai de le faire d’une façon plus ludique, non pour dissimuler, mais pour mettre en valeur la dame plus âgée que je viens tout juste d’intégrer. Elle fait maintenant partie de moi, tout comme la petite fille d’antan. Mon coeur d’enfant est toujours bien présent après tout, j’aime rire et jouer, rêver, explorer…
La magie du miroir
Un faible sourire, à la fois moqueur et indulgent, se dessine sur le visage de la vieille dame dans le miroir. Elle a l’air de se dire qu’il est à peu près temps que j’atteigne cette maturité. Elle incline la tête sur le côté en me regardant, et elle souffle doucement : « Ça ne sert à rien de fouiller plus loin pour trouver les squelettes de tes rêves inassouvis. Plutôt que de pleurer sur tout ce que tu n’as pas fait et rêvé de faire, ou sur tout ce que tu as fait et n’aurais pas dû faire, rêve à nouveau. Et cette fois-ci, ose. Va jusqu’au bout de ta vie en pleine lumière, sans essayer d’effacer une partie de toi. »
Ce matin, je me suis assise dans le jardin avec mon café. Installée dans la balançoire face au soleil, j’entends couler la rivière et je sens la vie pétiller dans mes veines, partout dans mon corps. Il me semble que rien n’est plus urgent aujourd’hui que cet instant magique, rempli de sérénité.
La synchronicité, un joli mystère
Une amie me demandait récemment sur quoi je mettais mes priorités. Comme je lui disais ma difficulté à prioriser mes activités, elle m’a suggéré d’assister à une rencontre entre femmes qui vivent ce tournant parfois difficile à naviguer. Elle m’a parlé de ce regroupement où circule une énergie nouvelle. Au début, j’étais sceptique, je ne voyais pas en quoi cela pouvait m’aider, mais, comme d’habitude, la curiosité l’a emporté.
Je me suis retrouvée sur Zoom avec une cinquantaine de femmes de partout à travers le monde. Nous arborons toutes une couronne de cheveux argentés et nous avons toutes une passion débordante pour la vie. À travers nos discussions sur des sujets aussi divers que fascinants, nos projets avancent, supportés par l’enthousiasme du groupe. Nous sommes toutes profondément engagées dans cette phase de notre vie que nous voulons à la hauteur de la personne que nous découvrons dans le miroir.
La synchronicité est un phénomène mystérieux qui m’a toujours intriguée. Cette semaine, je suis ce courant qui m’emporte, c’est certain, vers une plus grande liberté.
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