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Tranche de vie : Mon roc

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C’est un dimanche paresseux. En pyjamas, un café tiède posé à côté de mon clavier, je l’observe. Il ne sait pas que je parle lui. De temps en temps il passe un commentaire sur un article dans le journal. Il s’intéresse à tout, mais réagit surtout lorsqu’il est question d’une nouvelle technologie. Il se met alors à m’en expliquer toutes les implications avec enthousiasme et je l’écoute même si je peine souvent à le suivre sur ce terrain. Je le trouve beau quand il s’anime comme ça, emporté par la fougue créatrice et visionnaire qui le caractérise. Je suis certaine qu’enfant il avait le même regard émerveillé, pétillant.

La première fois que je lui ai dit qu’il était un artiste, il m’a regardée sans comprendre. Habitué à être perçu comme un scientifique à l’esprit analytique et dénué de réactions affectives, il s’était graduellement conformé à cette image tronquée de lui-même. Moi, je trouve que c’est un rêveur et un créateur. Il parle d’équations et de champs magnétiques de la même façon que je parle de couleurs et de mosaïque.

Une bouffée de tendresse me gonfle le cœur. Penché sur une bande dessinée de La Presse, il sourit. Un rayon de soleil touche ses cheveux blancs un peu ébouriffés. Il porte une chemise de flanelle à carreaux qu’il affectionne. Je m’assure qu’il n’en manque jamais, je les remplace quand elles commencent à être trop usées. Il ne pense pas à ce genre de choses et j’aime y penser pour lui.

Quand il est arrivé dans ma vie, j’avais renoncé à trouver l’amour tel que je le concevais. Je ne sais pas trop à quoi je l’ai reconnu. Il y a de cela presque vingt ans, mais c’était hier. Je montais un escalier, il le descendait. Il a souri et son regard m’a traversée, j’en ai eu le souffle coupé. Je vais essayer de vous parler de lui, même si c’est difficile. La vie sème toujours sur notre route quelques miracles pour nous surprendre et nous donner l’envie d’aller plus loin.

Lui, c’était comme ça. Un miracle qui m’éclaboussait et me sortait tout à coup des certitudes dans lesquelles je m’étais enfermée. J’avais pourtant tout planifié. En dehors de mon travail qui remplissait mes journées, j’attendais avec impatience l’arrivée d’une petite-fille. J’avais des livres à lire, des pages à écrire, des fleurs à planter. Et puis, il faut l’avouer, j’avais peur. Bouleverser ma vie à quarante-huit ans alors que je venais tout juste d’accepter qu’un amour pareil n’existait pas, c’était tout remettre en question. Et puis, il y a eu une conférence à Paris, il m’a demandé de l’accompagner. J’ai sauté dans l’avion. On ne s’est plus jamais quittés.

Tiens, iI a fini son journal et joue au Scrabble en ligne. Je regarde ses mains. Grandes, fortes, agiles. Des mains d’artiste. Quand ma main est dans la sienne, je me sens solide. Je vous ai dit qu’il jouait du piano? Qu’il imaginait et me fabriquait de nouveaux outils pour améliorer mon confort et faciliter mon travail?

Mon roc

Donc, je veux vous parler de lui. Si c’est difficile, c’est parce que personne ne me touche autant. Il est un tel mélange de force et de vulnérabilité. Nous avons traversé ensemble bien des tempêtes et surmonté beaucoup d’obstacles. Son courage devant l’adversité me bouleverse à chaque fois. J’ai vu sa générosité rencontrer l’ingratitude et sa droiture confrontée à la traîtrise. Il n’y a pourtant aucune amertume dans son sourire. Il ne le sait pas, mais il est mon héros. Quand je le vois partir au travail le matin, le pas sûr et l’allure tranquille, je suis émue de le trouver si beau et si grand.

Pendant la pandémie, nous avons parlé de la vie, nous avons fait de nouveaux projets. Je ne savais pas que cette période pourtant pénible pour tout le monde nous rapprocherait encore plus. Souvent, je le regardais à la dérobée. Il lavait la vaisselle et pliait les vêtements encore chauds qui sortaient de la sécheuse. J’admirais ses gestes précis, sa façon soigneuse de faire les tâches ménagères avec la même attention qu’il donnait à tout ce qu’il faisait. Il n’est jamais rebuté par les menues corvées de la vie quotidienne.

Pendant le confinement, il a eu cette idée d’aller faire des balades en auto pour visiter des endroits que nous ne connaissions pas. Nous n’arrêtions nulle part. Les paysages défilaient, nous échangions un sourire en partageant un Thermos de café. Il me parlait d’une nouvelle recherche et je l’écoutais, fascinée par cette passion qui le mène toujours plus loin et par son intelligence sans cesse en éveil, souple et vive. Je lui parlais d’un nouveau cadran de montre que je rêvais de faire, de mes soucis pour le potager que je voulais redessiner. Nous avons parlé aussi de vieux souvenirs d’enfance. Je comprends ses fragilités, il comprend les miennes. Son regard si profond me touche droit au cœur. Il n’a pas changé depuis le premier jour. Et je suis toujours curieuse de lui.

C’est un homme intègre qui a une force de caractère hors du commun. Son intelligence, sa compétence et son travail acharné l’ont mené au sommet. Il est humble et généreux. Peu de gens savent qu’il a pris sous son aile des jeunes en qui il croyait. Il leur a donné des ailes sans jamais attendre de retour. Au-delà de toutes ses qualités qui sont nombreuses, ses intentions sont toujours limpides. Tous les jours, il me donne confiance. Jamais il ne m’a dit, comme d’autres l’ont fait, qu’il est trop tard pour rêver. Sa confiance est une fondation puissante sur laquelle je m’appuie quand je me sens fragile. Parce que je n’ai pas sa solidité. Je doute, toujours, de mes capacités.

La St-Valentin, pour moi, c’est un peu tous les jours. Cette semaine, il est arrivé avec un immense bouquet de fleurs roses, mauves, blanches. Un hymne au printemps. Quand je l’ai vu entrer avec son bouquet et ce sourire si doux qui illumine son regard, mon cœur a fondu. Je ne sais pas quelle bonne fée veillait sur moi le jour où je l’ai rencontré, mais tous les jours je lui en suis reconnaissante. Plus que reconnaissante je suis éblouie par la chance que j’ai eue de le croiser dans cet escalier. Moi qui ai toujours défendu farouchement mon indépendance et ma liberté, j’ai trouvé avec lui la sérénité à deux. Je me sens libre. J’ai fini par comprendre que ma liberté ne vient pas de l’autre et que j’avais moi-même installé les barreaux de ma prison. Il ne m’a jamais demandé d’être autre que moi-même. Il m’a fallu oser. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi démanteler les barrières n’a pas été chose facile.

Je me questionne parfois. Pourquoi nous? Est-ce un hasard ou y a-t-il quelque chose de plus grand qui entre en jeu? Nous étions pourtant en couple avant tous les deux, nos intentions étaient les mêmes: former un couple uni dans le respect, la transparence et l’amour. Se supporter mutuellement, croire en l’autre, l’aimer à travers les difficultés, lui offrir l’endroit le plus sûr au monde. Ne jamais blesser volontairement. Je me relis et c’est beaucoup. Forcément, cela implique que les mêmes intentions guident les deux personnes. C’est là je crois que réside la difficulté.

En acceptant toutes sortes de compromis, j’ai vécu des relations ou je pensais changer l’autre à force de donner de moi-même. Je me vidais de ma substance et je devenais anonyme.

Tiens donc, il a fini son journal. Il s’étire et je le vois à sa tête, il planifie déjà sa fin de semaine. Il a envie d’aller au marché, puis il bricolera dans son atelier. Je m’éloignais du sujet de toute façon. C’est la St-Valentin, mais ce sera comme tous les jours parce que je ne peux pas imaginer mieux. Nous préparerons ensemble un petit souper à la chandelle. Nous parlerons de tout et de rien, des oiseaux qui chantaient aujourd’hui alors que le printemps n’est pourtant pas arrivé, des enfants, de la guerre en Ukraine. Nous ferons la vaisselle ensemble, puis il me prendra dans ses bras pendant plusieurs minutes ou je me sentirai comblée. Ça ressemble à ça notre amour: simple, profond, essentiel.

C’est un bonheur que je souhaite à vous tous et toutes, le monde serait un endroit tellement différent, plus doux. Bonne St-Valentin, à l’année!

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