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Tranche de vie : Une amie pour la vie

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En décembre, c’est son anniversaire et je repense à notre amitié…

— Pourquoi t’es-tu inscrite en littérature?

— J’ai choisi quelque chose qui me passionne pour ne pas lâcher.

— Moi aussi, la littérature me plaît, mais c’est le voyage qui me passionne. Je ne peux pas m’en passer! Aimes-tu voyager?

— Je n’en ai pas encore eu le loisir.

Ça m’a plu qu’une adulte m’aborde! J’ai rapidement constaté ses capacités intellectuelles. Malgré le peu de temps qu’elle consacrait à l’étude, elle assimilait vite la matière, mais, tristement, souvent, elle ressortait des cours déçue.

En groupe de travail, malgré son intelligence, elle semblait incapable d’accepter la moindre opinion divergente de la part des hommes; son ton provocateur déclenchait une réplique instantanée. Ses arguments étaient généralement supérieurs aux leurs et elle avait le dernier mot, mais l’atmosphère devenait alors désagréable. Malgré cela, je restais heureuse d’avoir cette femme comme amie.

« Les études, c’est un hobby! Je suis là pour passer le temps en attendant de repartir en voyage. » Sans aucun remords, elle partait sans même passer ses examens. À ses retours, nous nous retrouvions toutes les semaines pour un déjeuner. Nous avions toutes les deux le même plaisir coupable : les magasins de déco. Nos visites chez Bombay et IKEA étaient des heures de fantaisies et de plaisirs. Au grand dam de nos conjoints, ensemble, nous réaménagions régulièrement nos intérieurs.

Une amitié divergente

Un jour, lors d’un déjeuner où je lui parlais de mes problèmes de femme et de mère aux études, comme si quelque chose l’avait heurtée profondément, son sourire est disparu. « Il faut que tu voies combien ces deux gars envahissent ton espace. Affirme-toi! Cesse de faire la pute! »

Ses propos m’ont blessée et me sont apparus excessifs et inadaptés à la réalité du problème que j’exposais. Ça ne justifiait pas ce qu’elle disait de ceux que j’aimais. Elle ne voyait pas mon trouble. Ma tête et mon cœur trouvaient ses paroles exagérées et inacceptables. Je me répétais qu’avant elle, ma vie avait été sans grande amitié et je ne pouvais risquer de la perdre, car je la regretterais trop. Je n’ai donc pas répliqué. Il y avait nécessairement eu dans sa vie un malheur, un échec, un drame ou un triste secret pour qu’elle réagisse ainsi. Je tentais de me convaincre que les amitiés étaient comme les amours, pas parfaites tout le temps.

Je suis revenue de ce déjeuner contrariée et triste. Les sentiments emmêlés que je ressentais ont commencé à détériorer mon plaisir d’être en sa compagnie et, cette année-là, lorsqu’elle m’a annoncé qu’elle partait, pour plusieurs mois retrouver sa fille en Espagne, je me suis presque sentie délivrée. Son parti pris contre les miens allait au moins prendre fin. J’allais pouvoir étudier, passer mes examens et travailler sur mon essai de maîtrise dans le calme.

Un projet à deux?

Puis, elle a ramené le sujet du roman que nous avions projeté écrire à deux. Elle y travaillerait arrivée à destination. J’ai cru retrouver mon amie de littérature. On avait si souvent bien travaillé ensemble. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, son absence m’a manqué.

À son retour d’Europe, à la fin de juin, elle n’avait pas trouvé le temps de travailler au roman. Je n’avais plus le cœur à écouter ses récits de voyage et, pour écourter le déjeuner, j’ai prétexté avoir à avancer mon essai afin de le terminer avant la rentrée de septembre.

— C’est tout toi, ça! Travailler pendant tes vacances!

— Il faut parfois un diplôme pour être crédible.

— Tu t’obliges! Tu te restreins! Tu ne vis pas!

— Je n’ai pas ta liberté et devoir recommencer les cours coûtent cher. Je ne peux pas me permettre, comme toi, de partir en voyage.

— Tu es esclave de tes enfants!

— C’est vrai que je suis plus dépendante que toi de ceux qui m’aiment et que j’aime. Pour l’instant, je n’ai pas envie de vivre seule, loin de ma famille. J’ai juste comme but de terminer mon essai.

— Et notre roman? Je veux écrire ce roman avec toi! Je te promets d’y travailler. J’ajouterai du texte à ce que tu as commencé à écrire. Je t’apporterai ça dès notre prochain déjeuner.

Elle y a effectivement travaillé, mais quels commentaires! À peu près tous mes textes avaient été modifiés; elle me disait que les intrigues manquaient de substance et les personnages de caractère. Les répliques blessantes de notre dernier déjeuner ont résonné dans ma tête et je me suis sentie humiliée par ce qu’elle venait « d’améliorer. » Elle me semblait, soudainement, si prétentieuse et si égocentrique. La suite m’est apparue clairement : je la laisserais décider de tout dans ce roman et je travaillerais intensément à mon essai. Elle se rendit compte de ma stratégie silencieuse.

— Tu laisses tomber notre beau projet? Tu ne me fais plus confiance?

— Tu as plus de temps que moi pour le roman. J’ai juste une petite vie restreinte, tu me l’as dit. Je n’ai pas d’aventures de voyages extraordinaires à raconter. Je préfère terminer mon essai de maîtrise et le présenter aux éditeurs plutôt que de mettre mon temps sur ce roman que, de toute façon, tu as réécrit.

— Tu me dis qu’on publie chacune de notre côté?

— Oui.

— Tu devrais venir en voyage avec moi : on terminerait le roman ensemble.

— Parce que je serais là, tu trouverais le temps d’écrire? Je ne le crois pas!

— Les voyages, ça permet de découvrir et même d’apprendre sans trop d’effort les langues et ça développe l’autonomie.

— Pour ce qui est de l’autonomie, c’est parce que les voyages ont développé leur autonomie que tes enfants te téléphonent régulièrement de leur pays lointain pour que tu mettes des sous dans leurs comptes de banque!

— Les tiens sont encore sous les jupes de leur mère. Ça ne risque pas de t’arriver!

— Mes enfants voyageront quand ils seront assez autonomes pour payer leurs voyages eux-mêmes. En attendant, je préfère qu’ils travaillent et sachent ce que c’est que de gagner leur vie. Je préfère qu’ils dépensent leur propre argent plutôt que celui de leur mère!

Point sensible…

Elle est devenue rouge écarlate. J’avais touché un point sensible : le même que moi, les enfants.

Lors du congé de l’Action de grâce, elle est venue me prendre, mais c’est en silence qu’elle m’a reconduite chez moi. Par un malencontreux hasard, elle s’est retrouvée en présence de mes enfants et de mon conjoint qui ramassaient les feuilles. Debout contre la portière de sa voiture, par-dessus le toit, elle a lancé :

— Eh! Tu la laisses sortir! Mon cher, tu perds le contrôle!

Il a souri, croyant à une blague.

— Pauvres petits! Deux heures sans leur maman!

Visiblement mal à l’aise, mon conjoint a laissé tomber le râteau et est rentré. L’élastique venait de casser! On ne peut pas prétendre indéfiniment être ce que l’on n’est pas. Sur les sujets de la vie de couple, de la famille et des enfants, je n’étais pas du tout du même avis qu’elle. Les miens n’avaient pas à subir ses humeurs. Je n’allais pas la laisser servir sa morale condescendante à ma famille.

— Nos rencontres vont prendre une pause. Tes paroles envers les miens me deviennent insupportables.

Elle a fermé sa portière, elle est venue vers moi et m’a prise dans ses bras.

— Je t’aime trop pour qu’on ne se revoie plus! Pardonne-moi!

J’étais en colère! J’étais incapable de lui pardonner. On s’est quitté sans projeter un autre déjeuner. Sur un coup de colère, je venais de briser notre amitié de 10 ans. Pour alléger la lourdeur de ma décision, je me répétais que c’était elle ou ma famille! Ça m’arrangeait de croire que c’était le choix que je devais faire.

Un souvenir d’amitié

Le souvenir de mon amie a été longtemps dans mes pensées et j’ai eu souvent envie de revenir vers elle. Tous les ans, à son anniversaire, je lui écrivais et elle me répondait. Après 4 ans, j’ai cessé de lui écrire et elle ne m’a pas relancée. J’ignore ce qu’elle est devenue. Je porte très souvent le bracelet en or blanc et onyx qu’elle m’a rapporté du Portugal pour mon anniversaire.

Malgré les blessures, certaines complicités de l’amitié sont d’indestructibles souvenirs.

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