Après mes auteurs et autrices de prédilection, voici dix titres qui ont laissé sur ma peau de lectrice une marque indélébile. Pas facile, vraiment pas facile d’en choisir uniquement dix, un titre me conduisant à un autre et ainsi de suite. Avez-vous déjà remarqué qu’un roman marquant est influencé par notre humeur du moment? Par exemple, nos lectures en pandémie auront un goût marqué pour l’aventure, loin des histoires de virus et de maladies.
Par nos lectures, on aspire à décoller de nos problèmes quotidiens, ou à réfléchir sous un angle différent. Désirer se reconnaître, mais pas trop quand même! Un savant dosage entre le connu et l’inconnu. Bref, ce que j’avance est la difficulté d’évaluer un roman pour ses qualités intrinsèques uniquement, les émotions venant s’en mêler.
Vous retrouverez certains jumelages entre les auteurs et autrices de ma liste précédente. C’était assez inévitable! Profondément remués par un titre, nous avons le désir de revivre la même sensation qui nous pousse à explorer l’œuvre entière de l’auteur.
La petite et le vieux de Marie-Renée Lavoie paru chez XYZ en 2012
Quel choc, quelles émotions en lisant ce roman! Je le revis, juste en fermant les yeux. Pourtant, la narratrice est une fillette d’une dizaine d’années, on est loin de l’identification à l’héroïne. Celle-ci veut gagner de l’argent de poche en distribuant le journal tôt le matin dans le quartier de Limoilou. Qu’a-t-elle de si particulier qu’on lui emprunte sa peau durant quelques heures, que l’on s’inquiète d’elle, que l’on compatit avec elle, bref, qu’on la prend sous notre aile? Elle a le courage d’observer la vie d’adulte tout en conservant son regard d’enfant.
Cette petite est si mature qu’elle se trouve un complice, un vieux, le voisin. Une tendre et espiègle complicité se développera entre les deux, outrepassant la barrière des générations. Entre la petite et le vieux, il y a une génération dans la quarantaine, je parle du père et de la mère, densément présents, essoufflés sous les tâches assidues du quotidien. Leur petite héroïne les surprendra, même si jamais elle ne se prendra pour une adulte, conservant intactes ses qualités d’enfant. À lire et à vivre.
Garage Molinari de Jean-François Beauchemin paru chez Québec Amérique en 2007
Je l’ai lu, ça fait un lustre, pourtant l’ambiance me colle toujours à la peau, légère comme une bulle dans l’air. Pourtant, la situation n’est pas jojo, des enfants se retrouvent orphelins, Jérôme devient donc le chef de famille, non sans quelques égarements. Il prend soin de son petit frère de sept ans, mais heureusement il n’est pas seul pour le faire, la voisine de palier s’en mêle. Ce sacré petit frère a une idée en tête : refonder une famille. Alors qui de mieux que la voisine pour devenir la mère de remplacement, surtout qu’ils s’entendent si bien ensemble.
C’est à croire que des parents, c’est complètement superflu! N’empêche qu’une famille composée d’enfants (Jérôme a 19 ans), c’est insouciant, responsable et candide. Et on aime ça. Un regard se dépose sur leur vie, d’une pureté qui transcende la dure réalité et celle-ci devient magique. Chaque personnage puise le meilleur en soi et par le fait même en chacun de nous.
33, Chemin de la baleine de Myriam Beaudoin paru chez Leméac en 2009
Oh que cette histoire m’a chavirée et me chavire encore! Il ne faut pas que je m’y attarde, les larmes me montent aux yeux. C’est si beau de tristesse, si beau que cet espoir d’être aimé, jamais affaibli, jamais défaillant, toujours vivant. Une vieille dame reçoit la visite incongrue d’un jeune homme qui lui apporte un lot de lettres écrites par elle. Son cerveau a basculé dans la démence, elle ne se souvient plus avoir écrit ses lettres, elle lui demande donc la faveur de les lui lire. On y apprendra au cours de ses lignes passionnées qu’elle a aimé un écrivain qui s’est joué d’elle. Seul le lecteur le réalisera, elle, jamais. Son cri d’amour est si strident qu’il la portera au 33, rue de la Baleine, là où vit l’amour de sa vie entière : le fameux écrivain.
Le thème de l’amour à sens unique est abordé sainement pour ne pas dire saintement. Ah, ces femmes qui aiment trop… cela nous est presque toutes arrivées à un moment ou un autre de notre vie! L’amour à deux sens est le propre de l’amour mature et, avant d’être mature, on est jeune… voilà en quoi ce roman rejoint tant de femmes. Et puis, l’espoir, est-ce tuable? Un livre noble et beau sur l’amour.
Le facteur émotif de Denis Thériault paru chez XYZ en 2005
Roman bref et intense où le lecteur se sent comme un voyeur. Au lieu de poser un regard par le trou de la serrure, on fouine les lignes poétiques des lettres d’une correspondance amoureuse. Qui de mieux qu’un facteur pour perpétrer ce geste impudique de lire les écrits intimes de deux êtres qu’un océan sépare. Ne vous en faites pas, vous laisserez rapidement votre sens moral et votre cœur palpitera de concert avec celui de Bilobo, le facteur fouineur. Celui-ci devra accomplir des tours d’acrobatie littéraire, car la correspondante écrit des haïkus… Il devra apprendre à en composer lui-même! Se fera-t-il attraper la main dans le sac? Un joli et tendre suspense dont le crime commis est au nom de l’amour.
Ouvrir son cœur d’Alexie Morin paru au Quartanier en 2018
Ah, ce titre, récemment lu, qui m’a dardé directement au cœur! Un journal intime à pages et à cœur ouvert, de prime abord, la proposition est simple, mais, surtout pas, simpliste. S’ouvrir grand, aussi grand, qu’un gouffre sans fin, on peut en perdre la dignité. S’ouvrir, sans prendre garde aux représailles et pire, au jugement de l’autre qui regarde, scrute, condamne. Vous penserez peut-être que l’histoire de cette Alexie Morin est rocambolesque… Non, justement non! Ça pourrait être vous et cela a été moi, je suis devenue « elle ». J’ai vécu avec elle, en elle, pour elle cette honte qui avale tout sur son passage, pour une faute d’ignorance ou d’irréflexion.
Ouvrir son cœur parce que l’on a fermé son cerveau, pour partager avec un lecteur un vécu d’amour de jeunesse que l’on porte lourdement en soi, comme un boulet au cœur. Le premier enfant avec qui l’on vit une communion absolue, n’est-ce pas marquant pour la vie? Surtout si cette amie est appelée à disparaître. Ce n’est pas banal, rien n’est banal dans ces fragments intimes, si intimes, que la confession dans un confessionnal n’est rien, absolument rien, seulement du blabla convenu.
Jeune femme aux cheveux dénoués de Denis Robitaille paru chez Fides en 2019
Ce roman, je devrai le relire pour être certaine que je ne l’ai pas rêvé! Le roman de l’équilibre, entre le passé et le présent, entre le mal et le bien, entre l’art et l’usuel. Sur la quatrième de couverture, on trouve ces mots : « un roman sur la puissance créatrice du regard ». Je réponds « oui », et je me soumets de tout mon être à la puissance de ce regard. Comment se joue-t-il ce regard quand il se pose sur une œuvre d’art? Quoi de plus statique qu’un regard posé sur un tableau accroché à un mur? Et pourtant tout nous éloigne de l’immobilité dans cette histoire mouvante. L’histoire d’une toile, envoûtante par ce qu’elle dégage, et l’auteur va au-delà, il nous la sort du présent, l’amène dans le passé où une histoire dégringolera sous nos yeux ébahis. Rien n’est gratuit, tout détail est pesé, autour de cette toile qui traverse les temps, les époques, les propriétaires.
Si vous aimez les suspenses, vous en avez un sous la main, si vous aimez l’art, vous vivrez dans l’univers des courtiers d’art, des galeristes, des peintres. Vous gratterez derrière la croûte d’une peinture pour y retrouver les veines à fleur de peau. Et à la suite de ces descriptions attentives de grandes œuvres, votre œil en sortira plus complet, plus expert, plus conscient.
Six degrés de liberté de Nicolas Dickner paru chez Alto en 2015
On dit de cette histoire, et j’acquiesce amplement, qu’elle est ingénieuse. C’est plus qu’être intelligente, n’est-ce pas? C’est simple, c’est du Dickner. Cet auteur a une approche cérébrale des histoires, je me dis qu’il en faut de ces êtres sur une planète comme la nôtre. Je prétends qu’il construit l’histoire dans sa tête, comme un édifice, avant de la sentir par ses pores de peau.
Vous, êtres émotifs, ne fuyez pas pour autant, pensant qu’il vous faut à tout prix, pour dévorer une histoire, qu’elle soit généreusement enrobée d’émotions. Je n’ai pas dit que vous n’éprouverez pas d’émotions! Nuance. S’il y a une personne qui carbure à l’émotion, c’est moi et j’ai englouti ce roman qui m’a captivée à 6 mille degrés d’intensité. Dickner nous offre un buffet à volonté d’émotions, pourvu qu’on en éprouve soi-même. Il y a énormément d’espace et de liberté pour le lecteur dans cette histoire abracadabrante nous entretenant d’un conteneur, cellule humaine sur une mer d’autres conteneurs. Attention, les personnages sont intelligents, je vous en avise, plus que la moyenne. Un peu comme un téléphone intelligent qui nous dépasse parfois de ses fonctionnalités.
Du récit, certains retiendront la magie d’empocher du magot en échange d’un extravagant talent en informatique, un autre, retiendra l’idée de voyager léger, original et incognito, un autre savourera la relation père dément et fille aimante, et un dernier étudiera la douance des tempéraments autistes (attention, le personnage n’est pas étiqueté comme tel, c’est moi qui le lui accole). Une histoire complète, complexe, un casse-tête à cent morceaux où l’on se pense emmêler et puis, tout à coup apparaît l’image révélée dans sa totalité.
La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette paru au Marchand de feuilles en 2015
Roman célébré au Québec et dont la popularité perdure, en passe de devenir un jour un classique de notre littérature. Comment s’explique ce succès fulgurant? Avant tout, pour son authenticité. Le lecteur réclame des histoires vraies, des histoires où l’on ne nous montre pas que la surface lisse des gens et des évènements. L’auteure et cinéaste ne ménage pas ses lecteurs, elle leur sert la vérité sur un plateau de réalisme. Est-ce possible qu’une femme normalement constituée abandonne ses enfants en bas âge? Est-ce qu’une telle personne est un monstre? Non, on l’apprend dans ses lignes poignantes d’émotions qui nous tordent le cœur.
Assez souvent, on se plaît à détester certains personnages, mais ici, il est difficile de détester cette femme, épouse du peintre Barbeau. La narratrice, sa petite-fille, ne la condamne pas, comment, nous, qui n’avons pas souffert de cet abandon, pourrions-nous le faire? Peut-être que cela va nourrir au fond de notre être, une petite bête qui clame que les femmes « mères » n’ont plus de vie à elles, avec aucun droit de s’être trompé en devenant mère, même celles qui n’ont pas su soupeser le poids de la maternité. On met au monde de petits êtres qui dépendent de nous, cet acte nous enchaîne pour la vie. Cette petite bête est taboue et on aime crever les tabous pour comprendre de quoi ils sont faits. Pour ainsi tenter de comprendre l’incompréhensible.
Étincelle de Michèle Plomer paru au Marchand de feuilles en 2016
Ce n’est pas par hasard que je fais voisiner ces deux titres. Premièrement, les deux sont parus à l’excellente maison d’édition Marchand de feuilles et deuxièmement, ce sont deux histoires basées sur du vécu poignant, rédigées par une femme, et à même pas une année d’intervalle. Étincelle aurait pu briller de tous ses feux, mais je considère que La femme qui fuit lui a fait un peu d’ombre. Ça arrive ces choses-là dans le milieu littéraire. Heureusement, il y a toujours moyen de se reprendre. Ce titre vaut son pesant d’or pour qui a en haute estime l’amitié féminine. C’est une histoire sur l’amitié belle et pure, et son lot de culpabilité. Il suffit parfois d’un geste, d’un refus par exemple, pour déclencher une catastrophe. Je n’en dis pas plus, je marche sur des œufs pour vous garder le suspense de chacune de ses pages.
On entend énormément parler de notre système de santé au Québec, évidemment moins celui d’autres pays. Que diriez-vous d’une histoire de santé qui se déroule en Chine? Quoi de mieux qu’une histoire véridique pour visiter les coulisses d’un pays, tout ce qui n’est pas pour les yeux des touristes. Ce voyage est gratuit, prenez votre envol sur les pages de ce roman haletant de Michèle Plomer qui gagne à être connue. Lire un titre de sa plume et vous voudrez fouiller son univers, avec cette assurance d’être portée plus loin que vous.
L’orangeraie de Larry Tremblay paru chez Alto en 2013
Vous ne l’avez pas encore lu? Chanceux, vous êtes! Premièrement, vu ses fréquentes rééditions, vous l’aurez à moindre coût, mais surtout vous découvrirez une histoire sur la guerre tellement humaine que vous en oublierez la dureté du propos. En tout cas, moi, je l’ai oublié, j’en ai retenu les sentiments forts entre les membres d’une même famille. C’est une histoire qui laisse des images fortes qui s’ancrent à tout jamais dans notre cerveau. Jamais, l’auteur creuse la férocité ou l’horreur, je ne sais pas comment il y arrive, c’est presque magique, car ce n’est pas la dureté que l’on retient de cette histoire sobre qui ne fuit pas ou camoufle la réalité. On sort de notre zone de confort, mais ce n’est pas gratuit. Je vous assure qu’on en ressort grandi. C’est un roman également dont on ne devine pas les rebondissements, l’histoire étonne et détonne (les mots d’ordre d’Alto).
Maintenant que je vous ai dévoilé les pans de mon cœur littéraire, j’ai envie de vous renvoyer la balle : quel est le titre qui vous fait envie parmi ma dizaine? Et quant à vous compromettre, pourquoi ne pas me donner quelques-uns des titres qui vous ont à jamais marquée? Je vais prendre des notes! Après tout, nous sommes ici pour nous inspirer les unes et les autres.
Comme chez Les Radieuses, on aime les concours, je ferai tirer un des romans ci-haut mentionnés parmi les commentatrices. La lecture est encore une activité sécuritaire dans cette fin de pandémie. On achève, avec les vaccins, on va bientôt reprendre le voisinage!
Bonnes lectures!
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6 Responses
Le livre que j’aurais envie de lire : 33, chemin de la Baleine.
Le titre qui m’a fait évoluer dernièrement : Que vous ai-je raconté ? par Geneviève Amyot et Jean Désy.
Pourquoi ? d’abord parce que je suis intéressée par le genre épistolaire. Écrire des lettres a toujours été un désir inasouvi. Ensuite par curiosité. Comment une famille peut survivre quand l’un des deux (plus souvent l’homme) quitte la famille pour satisfaire son idéal (comme voler vers les étoiles, explorer ou défier le monde) sur une longue période de temps laissant l’autre avec toute la responsabilité de la famille ?
Par la suite, j’ai lu Je t’écrirai encore demain de Geneviève Amyot et Coureur de froid de Jean Désy.
Merci pour cette belle liste de lecture. Ca fera mon été
Marielle
JE VOUDRAIS LIRE LA FEMME QUI FUIT, ETINCELLE ET L’ORANGERAIE. JE VIENS DE LIRE KUKUM ET C’ÉTAIT DU BONBON: LES IMAGES COULAIENT DANS MA TÊTE!
Habituellement je préfère les histoires de fantastique ou de science fiction. Mais votre plume m’a donné envie de lire vos romans. Votre lyrisme et la description de vos émotions éprouvées lors de vos lectures n’attirent vers votre genre de livre. Étonnez-moi encore! Ça me plaît!
Depuis que j’écris dans Tranche de vie, j’ai découvert votre chronique et je lis plusieurs des livres que vous suggérez. Le livre qui m’attire présentement est celui de madame Myriam Beaudoin: 33 Chemin de la Baleine.
Claudette Rivest
Grand merci à vous toutes pour chacun de vos commentaires, je les apprécie comme de l’or en barre !
Désolée du retard, mais j’arrive enfin avec le résultat du concours « maison » parmi vous qui avez gentiment laissé un commentaire.
J’ai sorti mon chapeau de vacancière pour y déposer chacun de vos noms et c’est Marsi, mon mari qui a tiré le nom d’une lectrice assidue : Louise Aubé.
Je vous laisse ici mon adresse courriel afin que vous m’acheminiez votre adresse postale que je puisse avec plaisir vous poster un livre parmi ces 10 coups de cœur. Lequel ? Ce sera une surprise.
[email protected]
Merci encore de votre précieuse participation, c’est ma récompense, je vous lis et vous relie entre vous, afin de toujours mieux comprendre vos goûts et besoins.
À une prochaine !