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Tranche de vie: De la lumière pour Noël

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Quel joli dimanche de décembre. Cet après-midi une fragile dentelle de givre habille les grandes fenêtres de la verrière. Des flocons tourbillonnent et viennent tout barbouiller pour créer une nouvelle scène, tout aussi magique. Je ne me lasse pas de l’alternance des saisons. C’est peut-être la proximité avec le jardin. Les magnolias penchent leurs branches frileuses au-dessus de l’étang gelé, le bain d’oiseau devenu patinoire accueille des geais bleus. Bien au chaud à l’intérieur, c’est toujours un peu étrange de savoir que quelques millimètres de verre me séparent de mon jardin de glace.

J’ai terminé la décoration du sapin. Toutes illuminées, ses branches sont chargées d’ornements. Plusieurs ont été fabriqués par les enfants quand ils étaient petits. Il y a un ninja de Noël taillé dans le bois, un papillon en cure-pipes, des boules de Noël peintes de plus en plus habilement au fil des ans. Je les range toujours soigneusement après les Fêtes. Il y a dans ce sapin toute une histoire d’amour avec mes enfants. Chaque Noël, j’ai ce rituel où je m’installe dans le divan pour voyager dans le temps.

C’est ainsi que je revois défiler les pyjamas à pattes, les lulus, la suce bleue. Il y a des moments où mon cœur se gonfle de reconnaissance. Quelle chance j’ai eue d’avoir des enfants aussi merveilleux! Je leur ai donné tout l’amour et l’éducation qu’il m’était possible de leur donner. J’aurais voulu leur donner davantage, mais j’imagine que mes limites leur auront permis de dépasser les leurs. Le temps des Fêtes est souvent pour moi une période remplie de nostalgie. Alors, pour quelques jours, j’essaie de recréer la magie des Noëls de leur enfance.

De mon enfance à moi, j’ai quelques souvenirs émerveillés, dont celui d’une certaine nuit de Noël. Ma mère nous avait réveillés pour la messe de minuit. Emmitouflés jusqu’aux oreilles, nous avions dû, à la queue leu leu, affronter les bourrasques en marchant dans la neige épaisse qui brillait sous les lampadaires. Il faisait noir, le monde me semblait si différent, nos voix claires résonnaient dans le silence ouaté. En marchant vers l’église, une douce excitation m’envahissait. De loin, j’apercevais déjà les lumières, il y aurait des chants de Noël.

Quand nous sommes entrés, l’église était déjà pleine.

À voix basse, les parents essayaient de calmer les enfants surexcités. On entendait quelques personnes tousser, un agenouilloir retomber bruyamment. Il n’y avait pas de place pour s’asseoir. Les gens s’entassaient derrière et sur les côtés. Je m’étais faufilée entre les grandes personnes pour me loger tout contre une colonne de marbre. Il faisait une chaleur étouffante. Collés les uns aux autres, nous ne pouvions pas enlever nos manteaux. Mes mitaines mouillées roulées en boules dans mes poches, je me levais sur le bout des pieds pour voir ma mère et mon père qui se dirigeaient vers l’avant. Ils faisaient partie de la chorale.

Les musiciens accordaient leurs instruments en échangeant des sourires, les chanteurs chuchotaient entre eux. Le chef de chœur, tantôt affairé à placer les feuilles de musique sur le lutrin, s’était redressé. Il avait toussé discrètement. Le signal était donné. Les premières notes de «Douce Nuit, sainte nuit», avaient envahi l’église, tout le monde s’était levé. Je ne voyais plus rien, mais ça n’avait aucune importance.

Les yeux fermés je me laissais porter par l’émotion collective. Les plus menus détails me remplissaient de bonheur. J’aimais le bruit des bancs qui craquaient quand les gens bougeaient et l’odeur de l’encens qui me faisait tourner la tête. J’aimais la flamme vacillante des centaines de petites bougies qui brûlaient au pied de l’autel. La beauté des immenses vitraux me coupait le souffle. Leur lumière colorée s’éparpillait sur les murs et le plancher de mosaïque.

Par-dessus tout, j’aimais le silence enveloppant qui habitait l’espace et me donnait envie de fermer les yeux et de m’y perdre. C’était comme se blottir dans une couverture de laine très douce. Ce sentiment de paix intérieure, je l’ai recherché toute ma vie. Le rite religieux en soi ne m’intéressait pas particulièrement, je n’y comprenais pas grand-chose. C’est la découverte de ma place parmi les autres qui me fascinait. Un lien à la fois puissant et fragile. La vulnérabilité de chacun se transformait en élan de solidarité quand tous ensemble nous suivions le même rituel.

La messe achevait, mon père chantait le Minuit Chrétien.

Sa voix grave et émouvante était amplifiée par le silence qui régnait dans l’église. J’avais la gorge nouée. La chaleur commençait à me donner mal au cœur quand doucement le chœur s’est joint à lui pour la fin de la messe. Tout le monde se dirigeait lentement vers la sortie. Les sourires fleurissaient, les bons vœux jaillissaient sur le parvis de l’église. Il y avait une sorte d’élan vers les autres. J’avais envie d’en faire partie, d’aller vers eux, d’embrasser tout le monde.

Sur le chemin du retour, j’avais scruté le ciel de tous mes yeux pour apercevoir le traîneau du père Noël. En vain. Les étoiles me faisaient des clins d’œil moqueurs. J’avançais dans la neige qui tombait maintenant comme des boules de ouate qui collaient à mes mitaines mouillées. Mes pensées volaient vers le réveillon et le père Noël qui passait toujours pendant que nous étions à la messe de minuit. Le retour à la maison était toujours plus long que l’aller à l’église.

Assise sur le plancher au milieu du vestibule, j’entendais les exclamations émerveillées de mes frères et sœurs plus rapides que moi. Encore empêtrée dans mes pantalons de neige et mes bottes d’hiver, j’étais bonne dernière pour courir vers le sapin. Je me souviens m’être arrêtée sur le seuil du salon. Dans l’éclairage tamisé, le sapin inondé de lumière croulait sous les boules de Noël et les glaçons d’argent. Il trônait, majestueux.

Dessous, des cadeaux emballés de rouge, de vert et de blanc, décorés de choux dorés, de rubans frisés. La consigne était claire: tout le monde en pyjama avant de déballer les cadeaux. S’en suivait une bousculade entrecoupée de rires et de vêtements semés en cours de route. C’était bon de retrouver la chaleur de la maison.

Une fois sagement assis en pyjamas autour du sapin, la distribution commençait. Cette année-là, j’avais reçu une merveilleuse poupée aux cheveux rose pâle, à la robe de dentelle blanche étalée en corolle. Elle était tellement belle avec ses boucles roses et ses grands yeux bruns, je l’ai baptisée Belle sur-le-champ. Elle n’allait plus me quitter pour plusieurs années, partageant tous mes secrets et bien des chagrins.

Beaucoup plus tard, j’avais appris que cette année-là avait été difficile pour mes parents. Ils avaient fait le tour de la parenté pour ramasser des jouets qu’ils pourraient nous offrir à Noël. C’est ainsi que j’avais eu la chance de recevoir une poupée qui avait appartenu à ma cousine préférée. Elle n’en avait que plus de valeur. Ce Noël a sans doute été le plus beau de mon enfance. Je me souviens de jeux et de rires, de mon père qui aidait ma mère à transporter des plateaux de petits pains au jambon, des saucisses et des petits gâteaux.

Une fois les estomacs remplis de biscuits en forme d’étoiles et de bonshommes de pain d’épice, le sommeil nous gagnait les uns après les autres. Cette nuit-là je me suis endormie avec Belle blottie tout contre mon cœur.

Les lumières du sapin se reflètent à l’infini dans les fenêtres de la verrière. La magie de Noël existe encore, j’y crois. Même s’il faut chercher un peu, parfois, elle réside bel et bien dans nos cœurs. Pourtant, j’ai bien failli cesser d’y croire à quelques reprises. Simplement parce que je ne m’y arrêtais pas très souvent. Occupée par mille et une choses dont je ne me souviens même pas.

En fait, la magie de Noël est là tout le temps.

Pour moi, ce n’est pas une question de religion, c’est une question d’amour. C’est là quand je m’arrête pour ressentir qu’il y a plus grand que moi. Là aussi, quand je me sens soudée aux autres et que je partage leurs soucis, leur bonheur ou leurs souffrances ou quand je m’ouvre aux autres pour laisser tomber mes idées préconçues pour les aimer tels qu’ils sont.

Cette année encore, j’ai frôlé la catastrophe. Comment croire à la magie de Noël à travers le cynisme ambiant, les violences, la fourberie, la lâcheté, la trahison? Je ne peux juste pas me permettre de ne pas y croire. C’est peut-être pour ça que j’aime tant les sapins illuminés. Ils me ramènent aux bonheurs simples.

Dehors, il commence à faire bleu. J’ouvre un peu la porte de la verrière, il ne fait pas si froid. Les flocons tombent toujours, sans bruit.

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