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Le choix d’avorter

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Depuis, notamment, l’arrivée sur la scène politique de Donald Trump, l’avortement est redevenu un sujet sensible qui soulève à nouveau les passions. Dans le documentaire Alphas, les prises de position de jeunes hommes inscrits dans le mouvement masculiniste suggèrent de retourner à la différence « naturelle » des sexes et aux rôles traditionnels de l’homme pourvoyeur et protecteur. Ces nouvelles propositions sociales ont ravivé des craintes quant à la menace d’un recul de la liberté et ébranlé mes convictions quant à la pleine sécurité des femmes. La Tranche de vie des Radieuses me semble être un lieu parfait pour revisiter la contribution des femmes à la cause de l’avortement.

À partir d’ouvrages richement documentés, dont principalement le livre de Louise Desmarais, lequel, en élaborant rigoureusement la séquence des événements et des revendications des groupes de femmes québécoises et canadiennes, constitue un précieux aide-mémoire, je vous trace le portrait bien imparfait des luttes qu’elles ont livrées depuis les avortements clandestins.

L’avortement dans l’histoire

On se souviendra des moyens utilisés à cette époque : le bain de moutarde, la consommation de gin, les douches vaginales à base de quinine (laxatif causant un dommage fœtal) ou de Lysol, les pilules d’apiol (extrait de graines de persil), l’ergot de seigle (champignon parasite de la céréale), les aiguilles à tricoter et les cintres. Les faiseuses d’anges se servaient de tiges de bois d’orme munies d’une ficelle, lesquelles, en devenant mucilagineuses, facilitaient la dilatation du col pour permettre ensuite d’introduire un instrument perforant.

Les femmes d’aujourd’hui n’en sont plus là parce qu’avant elles des militantes ont lutté longtemps et avec beaucoup d’énergie pour conquérir le droit de contrôler leur corps, leur maternité et d’avorter en sécurité. Un droit qui est un progrès des plus importants concernant l’égalité.

Depuis 2016, afin que les femmes ne se sentent pas harcelées en exerçant leur droit à l’avortement, une loi interdit les manifestations à moins de 50 mètres d’une clinique. En ce mois de novembre 2024, la Cour supérieure entend la cause de militantes et de militants antiavortement. Ces manifestants invoquent que leur droit à la libre expression a été attaqué et ils utilisent les ressources des tribunaux même en sachant que l’état de droit leur est défavorable. Cette situation rappelle la marche du 2 juin 2024 devant l’Assemblée nationale où, dans un langage déformant la réalité et avec un ton condescendant, mais apparemment raisonnable, sous le mode du sophisme et sous le couvert de donner des conseils aux femmes dont il dénigre pourtant l’intelligence et la capacité de choisir, le président de Campagne Québec-Vie affirme que : […] même dans un cas de viol, l’enfant a le droit à la vie. À l’heure actuelle, la liberté des femmes serait-elle à nouveau remise en cause?   

Ce que nous avons aujourd’hui, nous l’avons obtenu par des luttes. Aussi, pour mesurer le chemin parcouru, il est utile de retourner aux batailles du passé. Au Québec, le débat de la régulation des naissances a été ouvert le 1er juin 1963. Dans un dossier de presse de la revue Châtelaine, la journaliste Alice Parizeau a raconté la vie difficile d’une femme de 5 enfants et a posé la question : Est-ce que la société a le droit de forcer les femmes à donner la vie?

Les manifestations dans le but de légaliser l’avortement commencent avec la saga du Dr Morgentaler en 1967. En 1969, l’avortement est un acte criminel, sauf si pratiqué par un comité d’avortement thérapeutique et seulement si la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme. En 1970, dans l’état de New York, la loi légalise l’avortement sur demande jusqu’à 24 semaines de grossesse. En réaction, au Québec, les représentantes de divers organismes décident d’unir leurs forces aux 116 médecins qui déclarent avoir aidé une femme désirant un avortement parce qu’il est pratiquement impossible d’obtenir un avortement légal. Ensemble, ils réclament le retrait de l’avortement du Code criminel et l’implantation de cliniques spécialisées.

Au Québec

L’année 1977 s’annonce belle. Les législateurs s’entendent sur la mise en place de cliniques appelées cliniques Lazure. Le slogan du 8 mars 1977 est : Nous aurons les enfants que nous voulons. Malheureusement, l’Association des obstétriciens et gynécologues se prononce contre l’avortement sur demande et le Dr Daniel Lavoie s’insurge contre le geste d’imposer à la profession le commerce tragique de l’avortement. Ceci nous rappelle le geste d’Hitler qui a imposé aux médecins allemands d’éliminer ceux qui étaient considérés comme inutiles. Il n’en fallait pas plus pour que les mouvements pro-vie déclarent une guerre ouverte à ces cliniques qu’ils qualifient d’antichambre de l’avortement.

Je crois que l’affaire Chantal Daigle a été celle qui a déclenché le plus grand mouvement de solidarité des femmes québécoises. Cette même année, en décembre 1989, sous le choc de l’assassinat des 14 femmes de Polytechnique, un autre rassemblement s’est organisé. J’haïs les féministes a dit Marc Lépine. Des femmes et des hommes ont porté le brassard noir et se sont regroupés au Métropolis en compagnie de plusieurs artistes : Pauline Julien, Denise Boucher, Angèle Coutu, Marie-Claire Séguin, Marie Tifo, Pierre Curzi, Paul Piché, Jean-Claude Germain et Richard Séguin. Chantal Daigle y était! Dans La Presse, Francine Pelletier rappelle que : Le véritable enjeu, c’est le pouvoir des hommes sur les femmes. L’année 1990 a aussi soulevé un mouvement de protestation, soit celui contre le Projet de loi C-43 où Brian Mulroney proposait de recriminaliser l’avortement en excluant toujours, comme motif pouvant le justifier, les malformations congénitales, l’inceste et le viol.

L’Église catholique s’est mêlée du débat. Le président de l’Assemblée des évêques du Québec, le cardinal Maurice Roy, publie dans La Presse une lettre où il affirme que l’avortement est un crime. En réponse, à l’occasion de la Journée internationale d’action pour l’avortement, en solidarité avec les femmes de 37 pays, dont 2500 Québécoises qui défilent dans les rues, la porte-parole de la Campagne pour le droit à l’avortement réplique : De quoi se mêlent ces hommes âgés coupés du monde et des charges familiales qui, de surcroît, ont fait vœu de chasteté? Combien d’évêques auront besoin d’avortement cette année?

En mars 1995, le pape Jean-Paul lldéclare que : L’avortement, vu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent. Le Collectif des femmes passe à l’action : L’Église catholique perpétue l’oppression des femmes de tous les pays en niant le droit à la sexualité, au plaisir, à l’autonomie en les condamnant à mettre au monde des enfants non désirés. Hors de l’Église… tout le salut!  

En mai 2005, l’archevêque d’Ottawa, Mgr Marcel Gervais, exhorte les militantes et militants pro-vie à sortir le Canada de la culture de la mort. En 2006, le fondateur de l’association américaine Les prêtres pour la vie affirme que : L’enfant à naître n’appartient ni à la mère ni à l’État, mais à Dieu. En 2008, le cardinal Jean-Claude Turcotte renonce à l’Ordre du Canada, indigné que le même honneur soit accordé au Dr Henry Morgentaler. En 2009, le pape Benoît XVl, alors en Afrique, condamne l’utilisation du condom comme moyen de prévenir le sida. En mai 2010, l’archevêque de Québec, Mgr Marc Ouellet, déclare : Rien ne saurait justifier un avortement, pas même un viol. 

Un droit qui ne doit pas être pris pour acquis

En avril 2008, le Projet de loi C-484 menace à nouveau le droit à l’avortement. Le Dr Gaétan Barrette de même que la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, la députée de Deux-Montagnes, Lucie Leblanc, la députée d’Hochelaga-Maisonneuve et Louise Harel, présidente de la Commission de l’éducation, s’y opposent. Visiblement, les gains obtenus par les luttes semblent toujours à risque et jamais totalement irréversibles.

En juin 2010, la recherche intitulée Le point sur les services d’avortement au Québec constate que les Québécoises rencontrent encore beaucoup d’obstacles lorsqu’elles choisissent d’interrompre une grossesse. L’étude démontre que 13 centres d’aide à la grossesse sont reconnus comme anti-choix. Il s’avère que ces centres fournissent aux femmes des informations erronées, telles que des séquelles physiques et psychologiques, le risque de souffrir de stress postavortement, d’être stérile, d’avoir des problèmes liés à la sexualité, de développer un cancer du sein… Encore aujourd’hui, il existe des coins du Québec où l’accès à un service d’avortement est difficile.

Après près de 50 ans de revendications, nous avons toutes les raisons du monde d’être fières des militantes des années passées. Nos filles et nos petites filles ont aujourd’hui accès à l’avortement gratuit, à la pilule abortive (la pilule du lendemain) efficace à 95% si prise dans les 24 heures et à 85% si prise dans les 72 heures. C’est grâce aux luttes des femmes si nos filles et petites-filles ont la liberté d’avorter en toute sécurité.

Se souvenir

Avec amour, elles devront, à leur tour, rappeler à leurs filles que la maternité n’est pas une obligation, que mettre au monde un enfant non désiré n’est pas affectivement et socialement banal et qu’interrompre une grossesse n’est pas un geste punissable, mais un geste de responsabilité sociale et de liberté personnelle.

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