La bourse, ce mot si commun, si fréquemment murmuré, analysé, redouté, vénéré; on pense à Wall Street, la Bourse de Montréal, Toronto, Hong Kong, Vancouver, Londres; à des écrans lumineux qui clignotent, à des hommes pressés, des visages graves et fatigués, toujours occupés à calculer, spéculer, prédire. Mais il existe une autre bourse, bien plus vieille, bien plus intime. Celle que l’on porte tous, en nous. Une bourse d’émotions, de désirs, d’ambitions, de valeurs. Une bourse qui fluctue au gré de nos jours, de nos épreuves, de nos rencontres, et que personne ne peut vraiment lire, prédire, ou encore manipuler.
Cette bourse humaine ne se mesure pas en actions ou en points d’indice. Elle se révèle par des sourires échangés, des silences partagés, des mains tendues. Elle se nourrit de nos échecs, de nos petits succès, de ces instants fugaces où l’on touche à l’essentiel. Elle s’étoffe et se déchire au fil du temps, marquée par les rides et les histoires, portant des marques indélébiles de tout ce qui fait de nous ce que nous sommes.
Les actionnaires invisibles
Dans cette bourse intime, nous avons tous des actifs invisibles : le courage, la bienveillance, la résilience, la créativité, la passion. Certains jours, nos valeurs grimpent, boostées par un regard bienveillant, une parole encourageante, un rêve qui semble enfin à portée de main. D’autres jours, elles plongent sans avertissement, emportées par une déception, une trahison, une peur sourde. Pourtant, contrairement aux marchés, cette bourse-là ne se contente pas d’obéir aux lois de l’offre et de la demande. Elle est complexe, irrationnelle, profondément humaine.
Les émotions, dans cette bourse, jouent le rôle d’actionnaires invisibles. Elles prennent des parts dans notre cœur, gonflent nos rêves ou, sans crier gare, font fondre nos espoirs. Elles investissent dans nos projets, gonflent nos attentes ou provoquent des corrections brutales. La joie, par exemple, est un excellent investisseur : elle entre en force, prête à tout, toujours à la hausse, jamais sur la défensive. Mais elle est aussi vulnérable, car tout peut la faire plonger : un mot blessant, une mauvaise nouvelle, une déception. Le doute, lui, est un investisseur prudent. Il n’est pas là pour nous enrichir, mais pour nous rappeler de ne pas tout risquer. Il murmure que la vie est pleine de pièges, et que l’on ferait bien de rester sur nos gardes. Alors, on ralentit, on calcule, on se protège, parfois au point de perdre de vue ce qui faisait battre notre cœur.
Les souvenirs, eux, sont nos dividendes. Ils viennent nourrir notre bourse, l’étoffer, l’enrichir, même si leur valeur réelle demeure inquantifiable. Un éclat de rire d’enfance, le goût d’un premier baiser, la chaleur d’un moment partagé, autant de moments qui se rangent précieusement dans nos archives, comme des titres inaliénables. Ces souvenirs sont peut-être les seuls biens réellement incorruptibles, résistants aux intempéries de la vie. Ils nous aident à tenir bon dans les tempêtes, à relever la tête quand les jours deviennent gris.
Le risque de la comparaison
Dans cette bourse des humains, il y a aussi le risque de la comparaison. L’erreur de regarder dans la bourse de l’autre, d’en évaluer la valeur avec envie ou regret. C’est un piège redoutable, car à force de fixer les gains et les pertes de l’autre, on finit par ne plus voir la richesse de ce que l’on possède soi-même. On oublie que chaque bourse est unique, que chaque vie a sa propre valeur, inestimable et incomparable. Ce que nous portons est précieux, non parce qu’il est plus ou moins grand que celui des autres, mais parce qu’il est à nous, façonné par nos choix, nos sacrifices, nos erreurs.
Et puis, il y a la notion de partage. Cette bourse humaine se remplit et se vide aussi par la grâce de ce que l’on donne. Un sourire, un mot d’encouragement, une écoute attentive. Contrairement aux marchés financiers, ici, plus on donne, plus on reçoit. C’est un paradoxe merveilleux de la nature humaine : lorsque l’on donne un peu de soi, on enrichit non seulement l’autre, mais aussi notre propre bourse. On découvre qu’en ouvrant notre cœur, on libère un flux de valeurs qui semblent se multiplier à l’infini.
La beauté de l’économie humaine
En fin de compte, peut-être qu’aucune bourse, aucune richesse ne vaut plus que celle que l’on construit à travers nos liens. Cette bourse humaine, elle, repose sur la confiance, la sincérité, la générosité. Il n’est pas question ici d’accumuler sans fin, mais de semer, de récolter, de partager. C’est la beauté de cette économie humaine, où l’essentiel ne se compte pas, où la vraie richesse ne peut être perdue dans un krach ou une récession. Elle est là, dans les cœurs, dans les mains, dans les regards, une richesse qui se transmet et s’amplifie au fil du temps, une bourse indéfectible.
Alors, la prochaine fois que l’on croisera un visage, un de ces visages ordinaires, façonné par les jours et les nuits, traversé par les mêmes vents et les mêmes brumes, prenons un instant pour y lire la fortune humaine de cette bourse fragile. Une fortune qui ne s’inscrit ni dans des chiffres ni dans des courbes, mais dans les lignes douces et rugueuses d’une vie pleine. Car voyez-vous, la vraie richesse, celle qui nous habite, n’a pas besoin d’étiquettes ni de bilans; elle se sent, elle s’offre, elle se respire.
Les passeurs de sens
Cette richesse-là, elle est précieuse, fragile et forte tout à la fois. On la porte en soi comme on porte un secret ou un trésor, quelque chose qui se nourrit des autres autant qu’elle les nourrit. C’est notre raison d’être, notre ancrage dans le réel, notre promesse pour demain. Il y a là une magie discrète, une bonté en veille, une lumière pour les jours sombres et une chaleur pour les matins givrés.
C’est cette bourse-là, cette fortune intérieure, qui fait de nous des passeurs de sens. Des porteurs d’avenir, oui, des porteurs de beauté, de tendresse, de tout ce qui vaut la peine de rester debout. Ici, pas de spéculation, pas de faux indices, pas de grandes tendances ou de chiffres abstraits. Juste des valeurs humaines, simples et robustes comme des pierres de rivière, polies par le temps. Des valeurs qu’on ne met pas en vente, qu’on ne joue pas sur les marchés; elles sont ancrées en nous comme le souffle, comme le regard franc. Ce sont nos vraies richesses, nos vraies forces, celles qu’on porte au fond de soi, qui ne se mesurent pas, qui ne s’achètent pas, mais qui nous rendent, malgré tout, immensément riches.
Martin Gaudreault, artiste-photographe et scribouillard
Tant qu’à y être
Rivière-des-Prairies de Mariana Mazza – Éditions Québec Amérique.
« L’adolescence n’est facile pour personne. On se cherche une identité à travers les nouvelles expériences, les jobines et les premières amours. Mais Mariana a un avantage sur les autres, elle sait déjà quoi faire de sa vie : si elle ne meurt pas – d’ennui dans un trop long trajet d’autobus ou d’un coup de couteau dans une bagarre -, avec son talent naturel, elle sera joueuse de soccer professionnelle! Rivière-des-Prairies, c’est l’intensité de l’adolescence combinée à celle de Mariana. Tenez-vous bien : ça va chauffer. »