Avec sa fougue, son front de boeuf, son humour et son petit côté rock, la chef de 53 ans a su se tailler une place prestigieuse dans notre gastronomie.
Première femme à recevoir le titre de chef de l’année régional et national par la Société des chefs, cuisiniers et pâtissiers du Québec, Marie-Chantal Lepage ne fait rien comme les autres.
Chef en résidence depuis 2015 au Musée National des Beaux-Arts de Québec, celle qui se décrit fièrement comme autodidacte a travaillé dans les plus grands restaurants d’ici et d’ailleurs: « Selon moi, les chefs autodidactes sont moins formatés, plus créatifs et fonceurs. Ce qui a fait mon succès, c’est que j’ai toujours cru en moi. Ça été mon meilleur investissement dans le fond! Quand tu crois en toi et que tu aimes ce que tu fais, il n’y a pas de limite! J’en suis la preuve vivante. Il n’y avait pas beaucoup de femmes dans les cuisines quand j’ai commencé, j’ai foncé et je n’ai jamais arrêté de croire en mon potentiel. »
Pour la jeune Marie-Chantal, la cuisine était un travail temporaire puisqu’elle rêvait de devenir… vétérinaire! C’est en faisant la rencontre du grand Serge Bruyère, que tout a changé. Elle a cheminé 4 ans aux côtés de celui qu’elle considère comme son mentor: « C’est lui qui m’a donné ma première chance comme femme dans une cuisine. C’est lui qui a lancé ma carrière. Je suis qui je suis grâce à Serge, il m’a encouragée et a cru en moi. Il m’a toujours accompagné. Je me rappelle lui avoir dit qu’un jour, j’allais devenir une chef réputée au Québec! »
Et vous savez quoi? Elle a réussi. Haut. la. main.
Apprendre d’un cuisinier passionné
Marie-Chantal dit être encore habitée par l’enseignement de ce cuisinier d’exception: « Le goût du détail, l’amour des beaux produits, la capacité de faire face à un stress intense durant le coup de feu, la façon de se faire respecter par ses cuisiniers sans avoir à hausser le ton tout en leur offrant des opportunités d’apprentissage. Tout ça, je l’ai acquis de Serge Bruyère. »
En 1994, elle sera nommée chef exécutive du Manoir Montmorency et y restera pendant douze ans: « J’ai mis tout mon cœur dans cette belle aventure qui m’a permis de créer une fine cuisine basée sur des ingrédients régionaux. »
Puis, en juin 2005, elle devient chef exécutive du Château Bonne Entente à Québec. Elle y dirigera une brigade d’une quarantaine de membres. « Mes amis cuisiniers disaient que c’était trop gros pour moi, que j’allais lâcher après 6 mois! C’était très dur en cuisine pour une femme à ce moment-là. » dit-elle, pensive. Malgré cela, elle y restera plus de 7 ans!
Travailler à tout prix
Marie-Chantal voulait à tout prix réussir sur le même terrain que ses collègues masculins : « Dans un sens, mes premiers patrons sont responsables de mon succès, ils m’ont tellement poussée à bout que j’ai décidé de prouver au monde entier qu’une femme chef peut atteindre le sommet! J’ai persévéré à cause d’eux et parce que je voulais tout apprendre de ce métier qui me donne encore des papillons dans le ventre ! »
Ce métier, qui apporte quelques fois des coups durs. En 2012, Marie-Chantal vit son rêve et ouvre son propre restaurant, L’Espace MC, qui fermera malheureusement en janvier 2015: « C’est sûr qu’une faillite, c’est un échec. Mais, même si je pouvais revenir en arrière et éviter la faillite de mon restaurant, je ferais pareil. Je ne ferais peut-être pas les mêmes associations mais j’ai tellement appris là-dedans, j’ai tellement eu de leçons de vie… Quand je m’arrête pour y penser et que je prends le temps de regarder en arrière, je trouve que la vie est bonne avec moi! C’est certain que je me suis pas dit ça sur le coup, mais avec le recul, je trouve que j’ai appris plein de choses avec ça, je suis devenue une meilleure personne aussi, une meilleure gestionnaire. »
Maintenant au Musée national des Beaux-Arts de Québec depuis 3 ans, elle est comme un poisson dans l’eau: « C’est génial de travailler là! Mon désir, c’est de m’inspirer des thématiques des expositions et d’amener mes plats encore plus loin. Je veux que le client voit encore de l’art dans son assiette! En février, on accueillera les oeuvres du sculpteur Alberto Giacometti et je me suis donné comme défi de créer un dessert en hommage à ses oeuvres! Ouf! »
Avec l’ouverture du superbe Pavillon Pierre-Lassonde, venait aussi la responsabilité d’y implanter un tout nouveau restaurant. « Le pavillon est fenestré, il s’ouvre sur les Plaines, c’est très lumineux, c’est encore plus WOW que je me l’imaginais. Je me suis vraiment cassé la tête pour créer un lieu axé sur le partage. Le Tempéra est très convivial, moins guindé. Les liteaux sont accrochés à la table, il y a même des cuillère-fourchette Georgette, ça, j’en rêvais! C’est vraiment un lieu épuré qui mets en valeur la nature qui entoure le Musée: c’est magnifique. Je suis privilégiée puisque je ne pouvais pas rêver mieux! »
La cuisine de Marie-Chantal Lepage
La cuisine de Marie-Chantal est une authentique cuisine régionale, teintée de ses nombreux voyages : « J’ai toujours été passionnée par les produits du Québec. Je les utilise dans tous mes plats et j’en fais la promotion lors de mes voyages à l’étranger. Mais j’aime les marier avec des saveurs internationales dont la variété ouvre encore plus grandes les portes de la création. J’ai déjà fait un tartare de Kangourou, même un tartare de chameau! Les gens sont curieux et les chefs ont un rôle éducatif. J’aime aller aux tables, décrire mes plats et en apprendre au client sur les différents produits. J’aime faire tomber les murs entre le chef et ses clients. Avant, les chefs restaient cachés mais maintenant il faut être capable d’aller à la rencontre des clients. Il faut savoir se tenir droit, bien communiquer. Il faut être fier, bien se présenter! Un bon chef, c’est un communicateur, un passionné.»
Le leadership féminin
« Selon moi, une femme gère plus en profondeur. J’explique chaque décision, chaque coupe de légumes, tous les détails sont importants. Dans ma cuisine, même le plongeur doit être rasé et porter des souliers propres. Je ne suis pas une fille qui chiale, qui crie. J’ai un côté très pédagogue. Pour moi, l’employé doit comprendre pourquoi il fait son travail. Pour réussir, il faut que tu t’entoures bien. Tu ne réussis pas seul en cuisine. »
La cinquantaine joyeuse
« J’adore la cinquantaine! Je suis fière d’avoir vécu tout ce que j’ai vécu. Mes échecs ont vraiment été formateurs puisqu’ils m’ont poussés à voir la vie autrement. Maintenant, j’ai de l’expérience, je mords encore plus dans la vie, j’ai le goût de voyager davantage, de créer des plats hallucinants et puis j’ai le goût de me gâter! Je ne retournerais en arrière pour rien au monde!
À 50 ans j’ai commencé à voir les choses différemment. Je suis plus patiente, je suis plus zen. Beaucoup plus zen. J’ai eu des soucis de santé l’an passé et ça m’a ramenée à l’essentiel. On peut dire que j’en ai vu de toutes les couleurs dans les dernières années. Que ce soit à cause du stress, de la fatigue, des évènements difficiles comme la faillite de mon restaurant, ma séparation, on peut dire que mon corps m’a parlé!
Donc en ce moment, j’ai retrouvé ma santé et j’ai le goût de vivre à fond! La cinquantaine pour moi, c’est une 2e vie, un moment de grâce, une période de grand bonheur. Pour moi, la vie commence. C’est drôle hein?
Je pense maintenant aux choses importantes, qui me font du bien, qui me sont chères. Je ne pense plus au superflu, je suis revenue à l’essentiel. Je réfléchi plus, je pèse le pour et le contre et je profite de ce que la vie m’offre!
À 50 ans, je me suis choisie. J’ai mis mon bonheur à l’avant plan. Pas que je suis égoïste mais je me suis positionnée, recentrée. »
Et si on faisait de même, n’est-ce pas les Radieuses?
Pour goûter les plats fantastiques de Marie-Chantal, rendez-vous au MNBAQ!
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2 Responses
En ce dimanche matin, blanc et froid, comme dans mon cœur, Marie-Chantal la « Radieuse »me fait beaucoup de bien! J’ai besoin de lire et de connaître ces femmes qui ont cru en elles, n’ont pas cessé malgré les grandes et petites leçons de la vie, pas toujours faciles, et continuent. Marie-Chantal est admirable, je vais essayer de penser à elle de plus en plus dans les prochains mois afin de retrouver un sens à ma vie, là où je pourrais faire une différence, apporter quelque chose à d’autres….me sentir utile et continuer à me développer. Il me reste de belles annees certainement, j’ai besoin d’y remettre de la couleur et de la chaleur….. Merci!
Louise Morneau
Merci pour votre touchant témoignage Louise. Nous vous souhaitons que le meilleur :) -Toute l’équipe des Radieuses